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Immunité en baisse, risque infectieux en hausseGrâce aux progrès thérapeutiques enregistrés au cours de cette dernière décennie dans la lutte contre le VIH, l'espérance de vie des patients porteurs du VIH a quasi rattrapé celle de la population générale. Mais, revers de la médaille, ce vieillissement des populations VIH s'accompagne d'une augmentation des pathologies liées à l'âge, pathologies cardiovasculaires, pulmonaires, rhumatismales et, bien évidemment, cancer non liés au SIDA. Nombre de traitements de chimiothérapie éliminent non seulement les cellules malignes mais aussi des cellules saines, ce compris les cellules CD4 ainsi que d'autres cellules du système immunitaire. De plus, le recours fréquent à la radiothérapie attaque les populations de globules blancs dont le nombre peut, lui aussi, fortement diminuer. Pareille diminution des défenses immunitaires augmente la probabilité d'infections ce qui constitue un danger pour les patients cancéreux en général et un risque encore plus grand pour les patients vivant avec le VIH. Afin de mieux évaluer ce risque immunitaire lié aux traitements anticancéreux, le Dr Keri Calkins de l'Ecole de Santé Publique Bloomberg, Université Johns Hopkins (Baltimore), et ses collègues ont mis sur pied une étude observationnelle afin d'évaluer l'effet des traitements anticancéreux sur le nombre de CD4, sur l'évolution de la charge virale ainsi que l'impact de ces marqueurs sur la mortalité des personnes vivant avec le VIH traitées pour un cancer.Évaluation du risque lié aux traitements du cancerIl s'agit d'une étude observationnelle incluant 196 patients adultes vivant avec le VIH et traités par antirétroviraux chez qui un cancer avait été nouvellement diagnostiqué entre janvier 1997 et mars 2016. Près de 70% de cette cohorte était constituée d'hommes dont l'âge moyen était de 50 ans. Environ 90% étaient sous traitement antirétroviral mais seuls 2/3 présentaient une charge virale indétectable. De plus, la fonction immunitaire de nombre de ces patients était déjà bien compromise puisque 60% présentaient un nombre initial de CD4 < 350 cellules et environ la moitié avait un diagnostic antérieur de SIDA. Les types de cancers les plus couramment diagnostiqués étaient le lymphome (17%), le cancer du poumon (12%), le sarcome de Kaposi (11%), le cancer du foie (8%), le cancer anal (7%), le cancer de la prostate (7%), le lymphome Hodgkinien (7%), le cancer du sein (6%), le cancer rénal (6%) et un cancer de la sphère ORL (4%). Sur le plan des traitements administrés, 118 patients (60%) avaient été traités par chimiothérapie ou radiothérapie souvent en combinaison avec de la chirurgie ou d'autres modalités thérapeutiques: 71 patients n'avaient été traités que par chimiothérapie, 21 patients n'avaient reçu que de la radiothérapie et 26 étaient traités par combinaison chimiothérapie + radiothérapie. Sur les 78 patients restants, qui constituent une sorte de groupe "placebo", 46 patients ont été traités par chirurgie seule ou hormonothérapie ou immunothérapie et 25 patients n'ont été soumis à aucun traitement spécifique.Impact immunitaire Après chimiothérapie, radiothérapie ou combinaison de ces deux modalités, on constate chez les patients ayant un nombre initial de CD4 > 500 cellules une forte diminution de cellules CD4 de l'ordre de 205 cellules en moyenne peu après le traitement. Chez les patients dont le nombre de CD4 était inférieur à 350 cellules à l'inclusion, la baisse est moindre, de l'ordre de 45 cellules en moyenne. Par contre, on ne constate pas de baisse similaire au sein du groupe des patients traités par chirurgie seule ou autres types de traitements ainsi que chez les patients non traités.Impact sur la charge viraleChimiothérapie et radiothérapie n'ont aucun impact nuisible apparent sur la charge virale.Au contraire, un certain nombre de patients qui ne présentaient pas une charge virale indétectable lors de l'inclusion dans l'étude ont vu leur charge virale diminuer et, pour bon nombre, devenir indétectable. Pour tenter d'expliquer ce fait, les auteurs suggèrent qu'une surveillance et une implication plus grande dans le traitement antirétroviral durant le traitement anticancéreux pourraient avoir amélioré l'observance et l'acceptation du traitement antirétroviral.Impact sur la mortalitéAprès un traitement du cancer, les patients sous chimiothérapie ou radiothérapie présentaient un risque de décès significativement plus élevé comparativement aux patients traités par chirurgie, autres modalités ou n'ayant reçu aucun traitement. Après ajustement pour des facteurs tels que la charge virale, le type de cancer, etc., les auteurs évaluent que chaque diminution de 100 cellules CD4 est associée à une augmentation de 27% du risque de mortalité.Regain en cellules CD4 très variable en post traitement La bonne nouvelle est que le nombre de CD4 augmente à nouveau dans le groupe chimiothérapie et radiothérapie après la fin du traitement. Ainsi, les patients dont le nombre de CD4 était initialement inférieur à 350 cellules ou compris entre 350 et 500 cellules ont vu ce nombre augmenter, voire dépasser le niveau initial, dans les trois mois après arrêt du traitement contre le cancer. Par contre, pour les patients dont le nombre initial de CD4 était supérieur à 500 cellules, le retour vers le niveau initial est beaucoup plus lent, de l'ordre d'une année. On constate même, chez un petit nombre de ces patients, que le retour vers un seuil initial en CD4 n'est toujours pas effectif 5 ans après arrêt du traitement contre le cancer.L'immunothérapie comme solution ?Pour les auteurs, deux conclusions s'imposent suite aux résultats observés lors de cette étude. Premièrement, il est clair que des études complémentaires doivent être menées pour mieux comprendre et évaluer les effets immunosuppresseurs induits par un traitement du cancer chez les adultes vivant avec le VIH ceci afin de mieux déterminer le point d'équilibre entre efficacité du traitement anticancéreux et coût potentiel d'une immunosuppression supplémentaire et ainsi faciliter la décision thérapeutique. Deuxièmement, ces résultats soulignent toute l'importance de la surveillance du statut immunitaire du patient durant et après le traitement contre le cancer étant donné la diminution du nombre de CD4 après traitement et l'état immunitaire souvent déjà précaire de certains patients avant traitement oncologique. Par contre, ces résultats ne suggèrent en rien que les personnes vivant avec le VIH devraient se voir refuser un traitement anticancéreux standard. Depuis l'avènement de traitements hautement efficaces contre le VIH, des études ont montré que de nombreux patients VIH peuvent tolérer des traitements anticancéreux standards et, exception faite de certains patients à l'immunité fortement compromise, les résultats obtenus sont comparables à ceux de la population générale. De plus, nombres de molécules anti-VIH récentes n'ont pas d'interactions significatives avec les traitements courants de chimiothérapie. Enfin, et pour terminer sur une note optimiste, de récents travaux ont montré que l'immunothérapie par inhibiteurs de contrôle apparaît sûre et tout aussi efficace chez les personnes vivant avec le VIH, une situation toute récente que la présente étude n'a pu évaluer, seuls deux patients inclus ayant bénéficié de ce type nouveau de traitement anticancéreux.Réf: Calkins KL et al. JAMA Oncology, consultation en ligne libre avant publication.