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Pour beaucoup de médecins et de scientifiques, la soudaine aggravation de la Covid-19 serait le plus souvent liée à une surréaction du système immunitaire qui s'emballe en relâchant une production excessive de cytokines. "Les preuves s'accumulent pour indiquer qu'une majorité des patients atteints d'une forme sévère sont sujets à un syndrome de choc cytokinique," écrivaient en mars dernier des chercheurs de l'University College London Hospitals. (1)Deux nouvelles recherches, une néerlandaise (2), l'autre américaine (3), montrent au contraire que le fameux "orage cytokinique" ne contribue à la gravité de la Covid-19 que dans un petit nombre de cas.Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs du département de soins intensifs du centre médical universitaire de Radboud ont comparé les taux de trois cytokines essentielles - le facteur de nécrose tumorale (Tumor Necrosis Factor ou TNF), l'interleukine 6 (IL-6) et l'interleukine 8 (IL-8) - dans le sang des patients admis aux soins intensifs avec plusieurs affections distinctes (Covid-19 avec un syndrome de détresse respiratoire aiguë ou SDRA, choc septique bactérien avec ou sans SDRA, arrêt cardiaque ou traumatisme grave). Les concentrations de cytokines ont été mesurées avec les mêmes méthodes pour chaque groupe.Les concentrations plasmatiques des trois cytokines se sont avérées significativement plus faibles chez les patients atteints de Covid-19 que chez les patients présentant un choc septique avec SDRA. Les concentrations d'IL-6 et d'IL-8 étaient également plus faibles chez les patients porteurs d'un Covid-19 que chez les patients présentant un choc septique sans SDRA. Le taux de TNF était plus élevé chez les patients Covid-19 que chez les patients traumatisés. Il n'y avait pas de différence dans les taux d'IL-6 entre les patients Covid-19 et les patients ayant subi un arrêt cardiaque ou un traumatisme, et les taux d'IL-8 étaient plus faibles chez les patients Covid-19 qu'après un arrêt cardiaque.Une deuxième étude de la faculté de médecine de l'Université de Washington à Saint-Louis et du St Jude Children's Research Hospital de Memphis est venue corroborer ces résultats. Les chercheurs ont analysé des cellules et des molécules immunitaires dans des échantillons sanguins de 168 patients atteints de Covid-19, 26 patients grippés et 16 témoins sains. Ils ont également recueilli des informations sur la façon dont chaque patient s'est comporté - a-t-il eu besoin de soins intensifs ou d'une ventilation mécanique ? - et s'il a survécu.Les chercheurs ont trouvé des niveaux similaires de cellules inflammatoires dans le sang de patients atteints de Covid-19 et de patients grippés. Au total, seuls sept patients Covid-19 (un peu plus de 4%) ont montré des signes d'une tempête de cytokines, avec des niveaux extrêmement élevés de cytokines. De plus, la majorité des patients Covid-19 souffrant d'insuffisance respiratoire aiguë non seulement n'ont pas connu cette tempête, mais ils avaient même moins d'inflammation que les patients grippaux qui étaient tout aussi malades qu'eux."L'orage cytokinique" serait donc une fausse piste et Sean Leng, professeur de médecine et d'immunologie à l'université Johns Hopkins, va jusqu'à dire que la gravité de la maladie serait due à un phénomène exactement inverse, c'est-à-dire non pas un emballement mais un affaiblissement du système immunitaire. Si les résultats des deux études mentionnées devaient se confirmer, cela remettrait en cause les thérapies anticytokines actuellement administrées aux patients souffrant de formes graves de Covid-19, et la majorité des patients Covid-19 ne seraient pas non plus candidats à un traitement par des corticostéroïdes tels que la dexaméthasone. "Diriger les thérapies immunosuppressives vers le seul petit sous-ensemble de patients ayant une réponse immunitaire hyperactive est la seule façon de savoir si ces approches sont finalement utiles," conclut le Dr Philip Mudd.(références :(1) The Lancet, 16 mars 2020, doi : 10.1016/S0140-6736(20)30628-0,(2) JAMA, 3 septembre 2020, doi : 10.1001/jama.2020.17052,(3) Science Advances, 13 novembre 2020, doi : 10.1126/sciadv.abe3024)