L' appellation "maladie rare" est sans doute un peu trompeuse, puisque cette problématique concerne pas moins de 30 millions de personnes à l'échelon européen (1). Le temps moyen écoulé avant qu'un diagnostic ne soit posé est de cinq à sept ans (2) mais, dans certains cas, ce délai peut atteindre plusieurs décennies (3). Dans 80% des cas, les maladies rares sont sous-tendues par un terreau génétique (1) - comprenez, par une anomalie au niveau d'un gène ou d'un chromosome. À côté d'une formation et d'une connaissance suffisante du corps médical (4), les tests génétiques peuvent contribuer àmieux orienter le processus vers un possible diagnostic (5).

L'angle mort

Dans quelle mesure la population est-elle ouverte aux tests génétiques et favorable à l'idée ? La question a été investiguée dans un récent sondage réalisé par iVOX à la demande de Takeda (6). L'enquête a porté sur 1.079 personnes représentatives de la population belge en termes de sexe, de langue, d'âge et de diplômes obtenus, dont 79 (qualifiées de "patients" dans la suite de cet article) étaient atteintes d'une maladie rare. La marge d'erreur maximale dans les réponses s'élève à 2,98% pour ce groupe de 1.079 Belges. Dans le groupe des patients atteints de maladies rares, 30% avaient prévu ou effectué un dépistage génétique - une minorité par rapport à la proportion estimée à 80% des maladies génétiques dans la population atteinte de maladies rares. Les patients qui n'ont pas eu recours au dépistage génétique citaient comme principaux motifs un sentiment de honte ou de culpabilité vis-àvis de leur famille, amis ou collègues, mais aussi le droit de ne pas savoir. Si ces arguments semblent difficiles à contrer dans l'immédiat, une prise de conscience sociétale plus large pourrait changer la donne. Comme l'a affirmé un jour Tedros Ghebreyesus, directeur de l'Organisation Mondiale de la Santé, "l'implication active de la population a toujours été un facteur déterminant pour la réussite de processus visant à améliorer la santé publique, et je sais que c'est également vrai en ce qui concerne les maladies rares [...]." (7) Comme en témoigne l'enquête susmentionnée (6), la route est encore longue aussi bien à l'échelon international qu'au niveau belge. Un peu plus de 4 Belges sur 10 sont par exemple convaincus qu'une maladie n'est rare que lorsqu'elle touche moins d'un individu sur 50.000. Seuls 17% savent à juste titre que l'on parle d'une maladie rare lorsque la prévalence n'est pas supérieure à 1 personne sur 2 000. Même dans le groupe de patients atteints d'une maladie rare, seuls 25 % connaissent la bonne définition (vs 16 % des non-patients).

Un autre résultat interpelant concerne l'attitude des Belges qui ne sont pas confrontés à une maladie rare chez eux mêmes ou chez leurs proches : si un dépistage génétique devait révéler une maladie rare chez un membre de leur famille, 79 % voudraient bénéficier eux-mêmes d'un dépistage génétique. On peut toutefois se demander si ces personnes ne changeraient pas d'avis s'il devait s'avérer qu'un de leurs proches est effectivement porteur d'une anomalie génétique, car on réagit souvent différemment lorsqu'on est concerné de près par une maladie que lorsque ce n'est pas le cas. Quoi qu'il en soit, ce chiffre signifie tout de même qu'a priori, 8 répondants sur 10 voudraient que le patient index les informe d'un résultat positif à un test génétique, ce qui place évidemment aussi ce dernier devant un dilemme moral. En exerçant son droit de ne pas savoir, il prive ses proches d'informations potentiellement importantes.

Une approche nouvelle

Compte tenu de l'évolution rapide des techniques diagnostiques et thérapeutiques, des auteurs américains ont, dès 2014, exposé une vision nouvelle du droit de ne pas savoir (8), soulignant que celui-ci remonte à une époque où les tests génétiques n'existaient que pour un nombre limité de maladies et où les perspectives de traitement étaient souvent à peu près inexistantes. Aujourd'hui, les temps ont changé et le nombre de traitements efficaces ne cesse d'augmenter. De ce point devue, refuser un test génétique peut donc revenir à se priver - et éventuellement à priver les autres - d'interventions importantes voire salvatrices. Le Journal du médecin a réfléchi à la question avec le Dr Vincent Seynhaeve, directeur médical chez Takeda. "Pourquoi ne pas dépister génomiquement par défaut tout le monde, ou du moins la population à haut risque, moyennant le respect de la confidentialité", relate le Dr Seynhaeve.

"Ce serait évidemment une décision lourde de conséquences, qui devrait faire l'objet d'un débat sociétal. Une telle approche aurait toutefois l'avantage de pouvoir potentiellement diagnostiquer certaines maladies à un stade extrêmement précoce car on connait les gènes prédisposants. Dans le contexte d'un dépistage universel, le droit de ne pas savoir pourrait être préservé par une possibilité d'opt-out." "Même dans ce cas, je pense qu'il est du devoir éthique du prestataire de soins de contacter l'intéressé s'il s'avère qu'il souffre d'une maladie grave mais susceptible d'être traitée. C'est aussi pour cela qu'il est important que les médecins se chargent d'encadrer et d'informer correctement les patients sur le dépistage des maladies génétiques rares. En outre, une réflexion sociétale pourrait aussi sensibiliser les patients concernés au rôle qu'ils peuvent jouer si, en acceptant un diagnostic précoce, ils limitent les dégâts non seulement pour eux-mêmes mais aussi pour leurs proches et pour la collectivité." Les autorités aussi sont concernées à ce niveau, commente encore le Dr Seynhaeve :"Dans les maladies rares, la présence de certains symptômes est souvent un critère important pour l'éligibilité au remboursement d'un médicament. En d'autres termes, la maladie a la possibilité d'évoluer. Une autre piste serait de rembourser sur la base des tests génétiques et de s'efforcer ainsi préventivement de protéger le mieux possible le patient et sa qualité de vie."

(1) Website Commission européenne, page Rare Diseases.

(2) https://www.takeda.com/en-be/what-we-do/rare-diseases/

(3) Patient Relat Outcome Meas. 2017 Sep 13 ; 8 : 97-110.

(4) Orphanet J Rare Dis. 2020 Jan 17 ; 15(1) : 18.

(5) Genome Med. 2022 Feb 28 ; 14(1) : 23.

(6) iVOX-peiling 'Takeda : zeldzame ziekten', 2021.

(7) WHO (who.int), statement by Tedros Ghebreyesus, candidate to the position of WHO Director-General (February 2017).

(8) Am J Bioeth. 2014 Mar ; 14(3) : 28 -31.

L' appellation "maladie rare" est sans doute un peu trompeuse, puisque cette problématique concerne pas moins de 30 millions de personnes à l'échelon européen (1). Le temps moyen écoulé avant qu'un diagnostic ne soit posé est de cinq à sept ans (2) mais, dans certains cas, ce délai peut atteindre plusieurs décennies (3). Dans 80% des cas, les maladies rares sont sous-tendues par un terreau génétique (1) - comprenez, par une anomalie au niveau d'un gène ou d'un chromosome. À côté d'une formation et d'une connaissance suffisante du corps médical (4), les tests génétiques peuvent contribuer àmieux orienter le processus vers un possible diagnostic (5).L'angle mortDans quelle mesure la population est-elle ouverte aux tests génétiques et favorable à l'idée ? La question a été investiguée dans un récent sondage réalisé par iVOX à la demande de Takeda (6). L'enquête a porté sur 1.079 personnes représentatives de la population belge en termes de sexe, de langue, d'âge et de diplômes obtenus, dont 79 (qualifiées de "patients" dans la suite de cet article) étaient atteintes d'une maladie rare. La marge d'erreur maximale dans les réponses s'élève à 2,98% pour ce groupe de 1.079 Belges. Dans le groupe des patients atteints de maladies rares, 30% avaient prévu ou effectué un dépistage génétique - une minorité par rapport à la proportion estimée à 80% des maladies génétiques dans la population atteinte de maladies rares. Les patients qui n'ont pas eu recours au dépistage génétique citaient comme principaux motifs un sentiment de honte ou de culpabilité vis-àvis de leur famille, amis ou collègues, mais aussi le droit de ne pas savoir. Si ces arguments semblent difficiles à contrer dans l'immédiat, une prise de conscience sociétale plus large pourrait changer la donne. Comme l'a affirmé un jour Tedros Ghebreyesus, directeur de l'Organisation Mondiale de la Santé, "l'implication active de la population a toujours été un facteur déterminant pour la réussite de processus visant à améliorer la santé publique, et je sais que c'est également vrai en ce qui concerne les maladies rares [...]." (7) Comme en témoigne l'enquête susmentionnée (6), la route est encore longue aussi bien à l'échelon international qu'au niveau belge. Un peu plus de 4 Belges sur 10 sont par exemple convaincus qu'une maladie n'est rare que lorsqu'elle touche moins d'un individu sur 50.000. Seuls 17% savent à juste titre que l'on parle d'une maladie rare lorsque la prévalence n'est pas supérieure à 1 personne sur 2 000. Même dans le groupe de patients atteints d'une maladie rare, seuls 25 % connaissent la bonne définition (vs 16 % des non-patients).Un autre résultat interpelant concerne l'attitude des Belges qui ne sont pas confrontés à une maladie rare chez eux mêmes ou chez leurs proches : si un dépistage génétique devait révéler une maladie rare chez un membre de leur famille, 79 % voudraient bénéficier eux-mêmes d'un dépistage génétique. On peut toutefois se demander si ces personnes ne changeraient pas d'avis s'il devait s'avérer qu'un de leurs proches est effectivement porteur d'une anomalie génétique, car on réagit souvent différemment lorsqu'on est concerné de près par une maladie que lorsque ce n'est pas le cas. Quoi qu'il en soit, ce chiffre signifie tout de même qu'a priori, 8 répondants sur 10 voudraient que le patient index les informe d'un résultat positif à un test génétique, ce qui place évidemment aussi ce dernier devant un dilemme moral. En exerçant son droit de ne pas savoir, il prive ses proches d'informations potentiellement importantes.Une approche nouvelleCompte tenu de l'évolution rapide des techniques diagnostiques et thérapeutiques, des auteurs américains ont, dès 2014, exposé une vision nouvelle du droit de ne pas savoir (8), soulignant que celui-ci remonte à une époque où les tests génétiques n'existaient que pour un nombre limité de maladies et où les perspectives de traitement étaient souvent à peu près inexistantes. Aujourd'hui, les temps ont changé et le nombre de traitements efficaces ne cesse d'augmenter. De ce point devue, refuser un test génétique peut donc revenir à se priver - et éventuellement à priver les autres - d'interventions importantes voire salvatrices. Le Journal du médecin a réfléchi à la question avec le Dr Vincent Seynhaeve, directeur médical chez Takeda. "Pourquoi ne pas dépister génomiquement par défaut tout le monde, ou du moins la population à haut risque, moyennant le respect de la confidentialité", relate le Dr Seynhaeve."Ce serait évidemment une décision lourde de conséquences, qui devrait faire l'objet d'un débat sociétal. Une telle approche aurait toutefois l'avantage de pouvoir potentiellement diagnostiquer certaines maladies à un stade extrêmement précoce car on connait les gènes prédisposants. Dans le contexte d'un dépistage universel, le droit de ne pas savoir pourrait être préservé par une possibilité d'opt-out." "Même dans ce cas, je pense qu'il est du devoir éthique du prestataire de soins de contacter l'intéressé s'il s'avère qu'il souffre d'une maladie grave mais susceptible d'être traitée. C'est aussi pour cela qu'il est important que les médecins se chargent d'encadrer et d'informer correctement les patients sur le dépistage des maladies génétiques rares. En outre, une réflexion sociétale pourrait aussi sensibiliser les patients concernés au rôle qu'ils peuvent jouer si, en acceptant un diagnostic précoce, ils limitent les dégâts non seulement pour eux-mêmes mais aussi pour leurs proches et pour la collectivité." Les autorités aussi sont concernées à ce niveau, commente encore le Dr Seynhaeve :"Dans les maladies rares, la présence de certains symptômes est souvent un critère important pour l'éligibilité au remboursement d'un médicament. En d'autres termes, la maladie a la possibilité d'évoluer. Une autre piste serait de rembourser sur la base des tests génétiques et de s'efforcer ainsi préventivement de protéger le mieux possible le patient et sa qualité de vie."(1) Website Commission européenne, page Rare Diseases. (2) https://www.takeda.com/en-be/what-we-do/rare-diseases/ (3) Patient Relat Outcome Meas. 2017 Sep 13 ; 8 : 97-110. (4) Orphanet J Rare Dis. 2020 Jan 17 ; 15(1) : 18. (5) Genome Med. 2022 Feb 28 ; 14(1) : 23.(6) iVOX-peiling 'Takeda : zeldzame ziekten', 2021. (7) WHO (who.int), statement by Tedros Ghebreyesus, candidate to the position of WHO Director-General (February 2017). (8) Am J Bioeth. 2014 Mar ; 14(3) : 28 -31.