Le Dr Jasmine Nguyen est hématologue au CHR de Namur. Son oncle, 77 ans, souffre d'une hémiplégie gauche totale suite à un AVC survenu en 2014 et souhaite l'euthanasie depuis lors. " C'était un grand baroudeur qui a eu une vie bien remplie, et qui n'acceptait pas être diminué par son AVC ", confie-t-elle. " Il souffrait de sa perte d'autonomie, il désirait l'euthanasie. " En tant que membre de la famille, l'hématologue ne peut cependant rien faire.

Début mai 2019, Jasmine Nguyen réfère le cas de son oncle au Dr Laurent Carlier, chef du service des soins palliatifs du CHR de Namur, et se met à l'écart du processus de demande d'euthanasie. La suite est on ne peut plus classique. " J'ai reçu le patient en consultation. Deux autres médecins ont vu le patient, dont un psychiatre. Sa demande répondait aux critères de la loi sur l'euthanasie ", confirme le Dr Carlier.

L'euthanasie est prévue le 12 juin, afin de respecter le délai d'un mois entre la demande d'euthanasie et l'acte. " Le patient n'avait qu'une seule demande : ne pas prévenir sa fille ainée car elle s'opposait à l'euthanasie ", précise le spécialiste. Malgré tout, la famille est prévenue. " J'ai rapidement eu la fille ainée au bout du fil, fâchée. Elle ne voulait effectivement pas que l'on euthanasie son père. Je lui ai expliqué les tenants et les aboutissants de la démarche. J'ai laissé la porte ouverte à une rencontre durant le mois de délai restant avant l'euthanasie. Je n'ai eu aucune nouvelle jusqu'au 6 juin. "

Le 6 juin en question, le Dr Carlier reçoit un fax du tribunal de 1ère instance de Liège : une ordonnance suspend l'euthanasie. Le président du tribunal, saisi par la fille ainée du patient quelques jours avant l'euthanasie, a prononcé ce jugement sous les motifs suivants :

1. " L'absolue nécessité est avérée à suffisance par l'imminence de l'euthanasie " ;

2. " Le lien très proche de parenté entre la requérante et la circonstance qu'elle semble n'avoir pas été informée des intentions de son père d'une part, " l'influence indirecte " des proches du candidat à l'euthanasie (...) et de " la pression de la famille " que dénonce la requérante d'autre part. "

Le magistrat nomme dans la foulée un expert afin d'examiner l'état du patient. Ce dernier accepte, la mission " sous réserve qu'il me soit accordé un délai supplémentaire pour rencontrer l'intéressé (août- septembre 2019) et pour déposer mon rapport (fin septembre 2019) ".

Le Dr Carlier est stupéfait par cette ordonnance. " À ce moment, je me suis demandé à quoi servait la loi euthanasie. Le magistrat aurait pu me contacter pour avoir de plus amples informations, ce qu'il n'a pas fait. "

Le médecin contacte alors le service juridique de l'hôpital. Ce dernier ne sachant pas quoi faire, il indique de se plier à l'ordonnance. Le Dr Carlier se conforme à cette décision et postpose l'acte médical. Entretemps, l'état du patient se dégrade. " Il a répété son envie d'en finir. Il voulait aller en Suisse pour recourir au suicide assisté, voulait même qu'on le défenestre ", confirme Jasmine Nguyen. " Vu la situation, on ne pouvait pas prolonger ses souffrances ", insiste Laurent Carlier.

Reste le problème de l'ordonnance. Sur conseil, Jasmine Nguyen se tourne vers Jacqueline Herremans, spécialiste reconnue de l'euthanasie, pour trouver une solution. L'avocate rencontre le patient et suggère d'introduire une tierce-opposition afin de renverser l'ordonnance. Une nouvelle date pour l'euthanasie est fixée le 17 juin. " Le patient n'aurait pas pu tenir plus longtemps. Nous avons donc attendu que cette tierce-opposition soit signifiée à la partie adverse et pratiqué l'euthanasie le 17 juin ", détaille Laurent Carlier, avant d'ajouter : " La dernière semaine de vie du patient a été épouvantable. Le jour de l'euthanasie, nous ressentions son stress. Le patient était terrorisé que sa fille arrive. On a dû demander au gardiennage de surveiller l'entrée pour éviter qu'elle ne débarque. "

Les ennuis commencent

Ce 17 juin, lorsque Jasmine Nguyen rentre à son domicile, la police l'attend. Plus tard dans la soirée, Laurent Carlier est à son tour interpelé. Ils sont suspectés d'assassinat. " Laurent était serein par rapport à cette accusation ", confie le Dr Nguyen. " Jusqu'à ce que la direction lui tombe dessus. "

" Ma première suspension m'a été signifiée par mail le 26 juin, 30 minutes après une réunion avec la direction et le service juridique, durant laquelle ils m'avaient assuré de leur soutien", indique Laurent Carlier.

Le lendemain, c'est un médecin effondré qui est convoqué par le Comité de gestion de l'hôpital. Sur le chemin qui mène à son audition, il croise une cinquantaine de membres du personnel qui forment une haie d'honneur. " Le Dr Carlier avait tout le soutien du personnel de l'hôpital ", témoigne le Dr Jean-Philippe Hermanne, consulté pour avis dans l'euthanasie du patient. Il accompagne le Dr Carlier lors de cette audition. " Il y avait beaucoup d'émotion. Le sentiment que j'ai eu lors de cette audition ? Il n'y avait pas d'agressivité, plutôt de la compréhension, mais également la volonté farouche de protéger l'image de l'institution. Certains voulaient révoquer le Dr Carlier purement et simplement. Heureusement, d'autres ont pris position pour mettre le holà. "

Effectivement, le médecin n'est pas révoqué, mais suspendu, dès le lendemain, une première fois, puis une deuxième, et une troisième fois. Avant d'être finalement révoqué fin septembre 2019. " Je m'attendais à ce que la direction de l'hôpital me soutienne, mais au contraire, elle m'a très vite signifié ma suspension dès lors que le dossier médical a été saisi par le parquet ", témoigne Laurent Carlier. " Je me suis senti massacré par les gestionnaires, par le directeur médical, et par le conseil médical. "

Le Dr Laurent Carlier est un médecin reconnu par ses pairs au sein de l'institution. "C'est quelqu'un qui n'a pas froid aux yeux, qui n'a pas peur de prendre des risques. Et qui est motivé par l'intérêt du patient et non par l'aspect pécuniaire ou par la gloriole", analyse le Dr Jean-Philippe Hermanne., DR
Le Dr Laurent Carlier est un médecin reconnu par ses pairs au sein de l'institution. "C'est quelqu'un qui n'a pas froid aux yeux, qui n'a pas peur de prendre des risques. Et qui est motivé par l'intérêt du patient et non par l'aspect pécuniaire ou par la gloriole", analyse le Dr Jean-Philippe Hermanne. © DR

Jasmine Nguyen, suspectée de complicité d'assassinat, n'est quant à elle pas suspendue de ses fonctions.

Quelles sont les fautes commises ?

Le cas de l'euthanasie est relativement simple : il s'agit d'un patient somatique atteint d'une maladie incurable qui désire l'euthanasie. Le dossier n'a d'ailleurs pas posé problème au niveau de la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de la loi relative à l'euthanasie. " La seule erreur que nous avons commise est de prévenir la fille du patient, contre sa volonté ", admet Laurent Carlier.

Le Comité d'éthique médicale du CHR de Namur (CEM) conforte le Dr Carlier dans sa décisionde poursuivre la procédure d'euthanasie. Une décision qui " ne nous semble pas poser de problème éthique ". Le CEM s'est ensuite positionné sur le volet juridique de l'affaire, qui se divise en deux : le civil (le non-respect d'une ordonnance) et le pénal (assassinat).

Sur ce dernier point, le CEM se réfère à la loi. " Dès lors qu'un patient est capable d'exprimer sa volonté, les proches ne peuvent s'opposer à l'euthanasie aussi bien au sens de la loi relative à l'euthanasie, qu'au sens de la loi relative aux droits du patient. " Cet avis est renforcé par le parquet lui-même. " À ce stade - il ne restait que deux auditions au dossier, ndlr - , on ne se dirigeait pas vers d'inculpation, et donc pas d'assassinat ", confirmait début janvier Charlotte Fosseur, magistrate de presse au parquet de Namur. On se dirigerait donc vers un non-lieu.

Au niveau civil, la tierce-opposition à l'ordonnance a été plaidée en septembre 2019. Sans débat contradictoire. Et devant le même président du tribunal de 1ère instance de Liège qui avait émis l'ordonnance. " Nous avons été déboutés ", explique Laurent Carlier. " La tierce-opposition a été jugée sans objet, puisque l'un des deux requérants - le patient - était décédé entre temps. " Le Dr Carlier a décidé de faire appel de cette décision.

Le danger de la jurisprudence

Un magistrat peut-il s'immiscer dans une procédure d'euthanasie, alors que l'esprit de la loi de 2002 était d'éviter toute triangulation et de centrer la procédure sur le patient et l'équipe soignante ? La question est importante, car la réponse pourrait remettre en cause la pratique de l'euthanasie. " Si l'appel ne réussit pas à résoudre ce problème, cela créera un climat d'insécurité monstrueux dans la pratique de l'euthanasie, et dans la pratique de tout acte médical où peut s'immiscer une tierce personne ", résume Jasmine Nguyen.

" Le Dr Carlier n'a pas respecté l'ordonnance, mais cela est justifié. Il y avait urgence ",estime le Dr Hermanne. " Une urgence médicale et, surtout, morale. Certains médecins ne l'auraient pas fait pour deux raisons : il n'y avait pas d'accord unanime dans la famille, et ils auraient eu peur de l'ordonnance. Le Dr Carlier, quant à lui, a respecté sa promesse envers le patient, qui a tout de même vu la date de son euthanasie reportée à maintes reprises. L'autorisation d'une euthanasie, ce n'est pas un juge qui la donne. C'est le patient. "

" Au sens de la loi du 28 mai 2002, si les conditions légales sont respectées - ce qui semble être le cas en l'espèce - , le médecin avait le droit de pratiquer, à la demande du patient, l'euthanasie. Aucune autre condition n'est légalement imposée ", ajoute le CEM. " Éthiquement, dès lors que le patient est dans les conditions pour recevoir l'euthanasie, il nous semble essentiel de pouvoir rencontrer sa demande dans le délai qui avait été initialement convenu entre les équipes soignantes et le patient sans souffrir d'un report de ce délai pour une durée indéterminée. En effet, la mise en route d'une expertise tel que demandé dans le cadre de l'ordonnance aurait reporté les soins prévus non pas dans le délai prévu par le juge, mais pour un délai bien plus long, ce qui n'est pas acceptable dans le cadre d'une prise en charge de soins. "

" Cela ouvre la porte à la négation du droit d'un patient à demander l'euthanasie et à son médecin traitant d'accepter de pratiquer ce geste ", indique pour sa part Jacqueline Herremans. " Ceci constituerait un précédent fâcheux qui compromettrait une application sereine de la loi relative à l'euthanasie. Sans caricaturer du tout le propos, la conséquence qui pourrait en découler serait que demain, un médecin saisi d'une demande d'euthanasie se sentirait obligé de recueillir le 'consentement' de tout proche (pourquoi s'arrêter en effet aux enfants ?) avant de respecter la demande d'un patient qui répondrait à toutes les conditions posées par la loi. Ceci va à l'encontre de la philosophie de la loi relative à l'euthanasie. Le choix posé par le législateur était d'éviter la tribunalisation de la demande d'euthanasie. "

L'absence de soutien de l'institution

Si l'on a abordé le volet juridique, reste le volet institutionnel. Sans avoir commis d'erreur médicale ni morale, le Dr Laurent Carlier, 23 ans d'ancienneté dans l'institution, s'est fait suspendre à trois reprises avant d'être finalement révoqué. Le tout, sans motif véritable. " Le CHR a fait preuve d'hypocrisie en parlant de 'suspension non disciplinaire' ", estime Laurent Carlier. " Comment peut-on penser qu'une suspension qui affecte un médecin, entraîne un préjudice financier et une rupture sociale soit non disciplinaire ? " Car outre les problèmes judiciaires, le médecin s'est rapidement retrouvé dans des problèmes financiers, notamment à cause des frais d'avocat qu'il continue d'assumer seul, l'assurance juridique de l'hôpital ne les prenant pas en charge.

Autre fait remarquable : les suspensions et la révocation ne couvrent que le poste de chef de service des soins palliatifs, et non celui d'urgentiste, casquette qu'endosse le Dr Carlier depuis plus de 20 ans au CHR. " On témoignait par là notre confiance ", justifie Gilles Mouyard, président du CHR Sambre & Meuse (CHRSM). " Le problème n'est pas survenu dans son activité au sein du service des urgences. À aucun moment, en faisant cette proposition, nous voulions être machiavéliques ou avoir des arrière-pensées. Nous avons essayé de faire les choses le mieux possible. "

" Cela prouve que les décisions sont aberrantes ", juge au contraire Jean-Philippe Hermanne. " Soit on suspend le médecin pour toutes ses activités soit on ne le suspend pas. " Une décision qui a encore moins de sens si l'on s'attarde sur le cas du Dr Nguyen, qui n'a pas été suspendue. " C'est simple, je suis la seule hématologue du CHR ", interprète l'intéressée. " Le service aurait été bien mis à mal s'ils m'avaient suspendue. J'ai demandé à plusieurs reprises aux gestionnaires pourquoi ils ne m'avaient pas suspendue. Je n'ai pas eu de réponse. " Gilles Mouyard n'était apparemment pas au courant de ces faits, ni même de la possibilité de poursuite à l'encontre du Dr Nguyen. " De ce que je connais du dossier répressif, à aucun moment le nom du Dr Nguyen n'a été cité avec un risque d'inculpation. "

Bouleversé par la tournure des événements, surtout par le non-soutien de l'hôpital, Laurent Carlier a remis un certificat médical couvrant l'ensemble de ses activités. Ce qui lui sera reproché. Pourtant, l'homme souffre de " trouble anxieux réactionnel " et l'interruption de travail est " impérative " juge un psychiatre. " En raison de la profession médicale, je soutiens entièrement l'arrêt de travail, tant pour sa sécurité que pour celle de ses patients. "

" Le Dr Carlier a fait son job. Le patient était satisfait. Il n'y a donc pas d'erreur médicale ", souligne Jean-Philippe Hermanne. " Mais d'un point de vue juridique, alors que le médecin respecte la loi euthanasie, il ne respecte pas une ordonnance. J'estime cependant que ce problème est et doit rester entre le Dr Carlier et le juge. Le médecin n'a donc pas fait d'erreur par rapport à l'institution. La réaction de l'hôpital face à ce médecin qui a fait son travail, on ne l'a pas comprise. "

La peur et la méconnaissance comme moteur

" Ils ont pris peur, ils ont agi dans la panique et l'ignorance", expriment tous les médecins interrogés. Des sources bien informées parlent d'un comité de gestion comportant de nouvelles têtes pour justifier cette panique. Et soulignent le manque de connaissances de certains administrateurs des rouages du système de santé et donc, de la loi relative à l'euthanasie. Le tort du Dr Carlier ? Il a fait cavalier seul. Il aurait pu avertir le directeur médical plus tôt de la situation. Mais cela vaut-il une suspension ?

" Tout au début du dossier, lors du premier comité de gestion, j'ai entendu des mots très durs concernant le Dr Carlier. Alors que l'on ne connaissait pas le dossier. Des mots comme 'assassin'. Cela fait peur quand on entend des mots tels que ceux-là. Et après coup, je me dis qu'on n'a pas si mal géré la situation ", se défend Gilles Mouyard. " Parce qu'il a fallu temporiser, parce que cela n'a pas duré trop longtemps. Les choses se sont ensuite déroulées normalement, avec la réintégration au final. "

On peut en tout cas affirmer que le CA n'est pas le seul à blâmer. Le service juridique l'a peut-être mal informé. Et surtout, la direction médicale et le conseil médical aurait pu, aurait dû défendre le médecin. " Durant toute cette période, alors que le conseil médical était censé me soutenir, du moins m'entendre, je n'ai pas eu le moindre contact ", affirme le Dr Carlier. Ce que Gilles Mouyard réfute. " Il dit avoir voulu prendre contact avec la direction, ce que la direction a refusé. J'ai vérifié : c'est faux. Il n'y a jamais eu de notre côté, à aucun moment - ou alors on me cache des choses - une volonté de ne pas avoir de contact avec lui. "

L'affaire a pris une telle ampleur au sein du corps médical qu'elle a été débattue lors de l'Assemblée générale des médecins du 20 novembre 2019. " L'AG a connu une participation massive et était extrêmement tendue ", témoigne le Dr Hermanne, présent ce soir-là. " C'était une AG difficile, où les médecins étaient nerveux et le conseil médical était dans ses petits souliers. Il y a eu une prise de bec entre l'ensemble des médecins et le conseil médical sur l'affaire Carlier. Les trois derniers présidents du conseil médical étaient d'ailleurs présents dans l'assemblée des médecins et ont, chacun à leur tour, commenté la situation difficile du Dr Carlier."

La pression fût telle qu'un vote immédiat est décidé concernant la révocation du Dr Carlier. Alors que les votes se font généralement sous enveloppe, c'est exceptionnellement à main levée que " l'unanimité des médecins s'est prononcée en faveur de sa réintégration ". Lors de cette AG mouvementée, le conseil médical s'est vu bousculé. Acculé par les médecins, il est sommé de réparer son erreur dans l'affaire Carlier. Ce qu'il fera, adressant un courrier aux gestionnaires en faveur de la réintégration du spécialiste.

Il faudra cependant attendre le 11 février 2020 pour que le CA décide de réintégrer " à titre provisoire " le Dr Carlier " jusqu'à ce qu'il soit statué définitivement sur l'appel formé contre la décision déclarant sans objet la tierce-opposition formée à l'encontre de l'ordonnance rendue le 6 juin 2019 ". Et le courrier officiel d'ajouter : " Cette réintégration à titre provisoire interviendra sous toutes réserves et ne préjuge en rien de l'attitude qui devrait être adoptée par le CHR Sambre et Meuse s'il advenait que le Dr Carlier devait être inculpé dans le cadre d'une procédure pénale. Ainsi, le CHRSM ne renonce à aucune demande ni à aucun moyen à l'égard du Dr Carlier. "

Une proposition qui relève plus de la prudence que du soutien. " On peut soutenir quelqu'un tout en restant prudent ", affirme Gilles Mouyard. " Je n'ai plus aucune envie de revenir. L'attitude des dirigeants a eu un impact considérable sur ma santé, ma vie de famille et mon avenir ", confie Laurent Carlier. " J'ai désormais d'autres projets. J'ai attendu longtemps, mais l'absence de nouvelles m'a poussé à aller voir ailleurs. "

Il n'est pas le seul à avoir pris position. Jean-Philippe Hermanne a également décidé de démissionner de son poste de chef du service d'oncologie du CHR. Pour l'homme, cet événement est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. En 23 ans de carrière dans l'institution, il n'avait jamais connu pareille situation. " Je n'ai plus confiance en la direction ", exprime quant à elle le Dr Nguyen, retenue par ses patients. " C'est dégueulasse, mais on marche à la pitié en tant que médecin. "

" Aurais-je pratiqué l'euthanasie si j'avais su les conséquences ? Oui. Je ne regrette pas mon geste. Le patient doit rester au centre des préoccupations", conclut Laurent Carlier. " Je trouve qu'il est important de se battre. Si on ne le fait pas, on s'expose à des situations où des tiers peuvent s'opposer à tout acte médical. Ce qu'il faut défendre, c'est la liberté thérapeutique du médecin et celle du patient, ainsi que le bien-être et le confort de chaque personne. "

20 ans d'écart dans les mentalités

Janvier 2000, en plein débat sur la future loi euthanasie du 28 mai 2002. À la suite d'une dénonciation anonyme, les Drs Radoux et Chevolet, du CHR de la Citadelle à Liège, sont inculpés d'assassinat. Leur tort ? Avoir mis fin au calvaire d'un patient, à sa demande : atteint d'une insuffisance respiratoire grave, il ne survivait qu'à l'aide d'un respirateur dont il ne voulait plus.

Contrairement à l'histoire qui nous occupe, la direction hospitalière a directement soutenu ses médecins, allant même en justice contre la dénonciation anonyme pour non-respect du secret professionnel. À l'époque, c'est la justice qui pose problème. " Il n'y a pas eu d'erreur, ni médicale, ni sur la personne ", justifie alors la direction de l'hôpital. Les chambres syndicales de Liège et de Luxembourg fustigent quant à elles " un acharnement inadmissible à l'égard d'un médecin qui a fait son devoir ". Même les médecins voisins des Cliniques St-Joseph (depuis CHC) s'insurgent " contre l'attitude choquante de la justice qui a traité leur confrère comme un criminel alors que ce médecin n'a fait que son travail ".

Un autre cas similaire a eu lieu à l'Institut Jules Bordet avec l'affaire Jean-Marie Lorand en juillet 2000. La direction avait également soutenu son médecin malgré la nomination d'un juge d'instruction. " J'ai pris contact avec le directeur médical de Bordet à l'époque, Janos Frühling ; il m'a reçu dans son bureau, je lui ai présenté l'affaire dans le détail, il m'a assuré de son entier soutien. 'Il faut prendre toutes les mesures nécessaires pour vous protéger', m'a-t-il dit avant de me conseiller de prendre un avocat ", raconte le Dr Dominique Rossignol, qui a pratiqué l'euthanasie du patient, au Soir en 2007.

Si les médecins n'ont pas changé de discours en 20 ans, la vision de l'institution, elle, a évolué. Même si une situation n'est pas l'autre, l'histoire témoigne du grand écart d'interprétation.

Le Dr Jasmine Nguyen est hématologue au CHR de Namur. Son oncle, 77 ans, souffre d'une hémiplégie gauche totale suite à un AVC survenu en 2014 et souhaite l'euthanasie depuis lors. " C'était un grand baroudeur qui a eu une vie bien remplie, et qui n'acceptait pas être diminué par son AVC ", confie-t-elle. " Il souffrait de sa perte d'autonomie, il désirait l'euthanasie. " En tant que membre de la famille, l'hématologue ne peut cependant rien faire.Début mai 2019, Jasmine Nguyen réfère le cas de son oncle au Dr Laurent Carlier, chef du service des soins palliatifs du CHR de Namur, et se met à l'écart du processus de demande d'euthanasie. La suite est on ne peut plus classique. " J'ai reçu le patient en consultation. Deux autres médecins ont vu le patient, dont un psychiatre. Sa demande répondait aux critères de la loi sur l'euthanasie ", confirme le Dr Carlier. L'euthanasie est prévue le 12 juin, afin de respecter le délai d'un mois entre la demande d'euthanasie et l'acte. " Le patient n'avait qu'une seule demande : ne pas prévenir sa fille ainée car elle s'opposait à l'euthanasie ", précise le spécialiste. Malgré tout, la famille est prévenue. " J'ai rapidement eu la fille ainée au bout du fil, fâchée. Elle ne voulait effectivement pas que l'on euthanasie son père. Je lui ai expliqué les tenants et les aboutissants de la démarche. J'ai laissé la porte ouverte à une rencontre durant le mois de délai restant avant l'euthanasie. Je n'ai eu aucune nouvelle jusqu'au 6 juin. " Le 6 juin en question, le Dr Carlier reçoit un fax du tribunal de 1ère instance de Liège : une ordonnance suspend l'euthanasie. Le président du tribunal, saisi par la fille ainée du patient quelques jours avant l'euthanasie, a prononcé ce jugement sous les motifs suivants :1. " L'absolue nécessité est avérée à suffisance par l'imminence de l'euthanasie " ;2. " Le lien très proche de parenté entre la requérante et la circonstance qu'elle semble n'avoir pas été informée des intentions de son père d'une part, " l'influence indirecte " des proches du candidat à l'euthanasie (...) et de " la pression de la famille " que dénonce la requérante d'autre part. "Le magistrat nomme dans la foulée un expert afin d'examiner l'état du patient. Ce dernier accepte, la mission " sous réserve qu'il me soit accordé un délai supplémentaire pour rencontrer l'intéressé (août- septembre 2019) et pour déposer mon rapport (fin septembre 2019) ".Le Dr Carlier est stupéfait par cette ordonnance. " À ce moment, je me suis demandé à quoi servait la loi euthanasie. Le magistrat aurait pu me contacter pour avoir de plus amples informations, ce qu'il n'a pas fait. "Le médecin contacte alors le service juridique de l'hôpital. Ce dernier ne sachant pas quoi faire, il indique de se plier à l'ordonnance. Le Dr Carlier se conforme à cette décision et postpose l'acte médical. Entretemps, l'état du patient se dégrade. " Il a répété son envie d'en finir. Il voulait aller en Suisse pour recourir au suicide assisté, voulait même qu'on le défenestre ", confirme Jasmine Nguyen. " Vu la situation, on ne pouvait pas prolonger ses souffrances ", insiste Laurent Carlier.Reste le problème de l'ordonnance. Sur conseil, Jasmine Nguyen se tourne vers Jacqueline Herremans, spécialiste reconnue de l'euthanasie, pour trouver une solution. L'avocate rencontre le patient et suggère d'introduire une tierce-opposition afin de renverser l'ordonnance. Une nouvelle date pour l'euthanasie est fixée le 17 juin. " Le patient n'aurait pas pu tenir plus longtemps. Nous avons donc attendu que cette tierce-opposition soit signifiée à la partie adverse et pratiqué l'euthanasie le 17 juin ", détaille Laurent Carlier, avant d'ajouter : " La dernière semaine de vie du patient a été épouvantable. Le jour de l'euthanasie, nous ressentions son stress. Le patient était terrorisé que sa fille arrive. On a dû demander au gardiennage de surveiller l'entrée pour éviter qu'elle ne débarque. "Ce 17 juin, lorsque Jasmine Nguyen rentre à son domicile, la police l'attend. Plus tard dans la soirée, Laurent Carlier est à son tour interpelé. Ils sont suspectés d'assassinat. " Laurent était serein par rapport à cette accusation ", confie le Dr Nguyen. " Jusqu'à ce que la direction lui tombe dessus. "" Ma première suspension m'a été signifiée par mail le 26 juin, 30 minutes après une réunion avec la direction et le service juridique, durant laquelle ils m'avaient assuré de leur soutien", indique Laurent Carlier.Le lendemain, c'est un médecin effondré qui est convoqué par le Comité de gestion de l'hôpital. Sur le chemin qui mène à son audition, il croise une cinquantaine de membres du personnel qui forment une haie d'honneur. " Le Dr Carlier avait tout le soutien du personnel de l'hôpital ", témoigne le Dr Jean-Philippe Hermanne, consulté pour avis dans l'euthanasie du patient. Il accompagne le Dr Carlier lors de cette audition. " Il y avait beaucoup d'émotion. Le sentiment que j'ai eu lors de cette audition ? Il n'y avait pas d'agressivité, plutôt de la compréhension, mais également la volonté farouche de protéger l'image de l'institution. Certains voulaient révoquer le Dr Carlier purement et simplement. Heureusement, d'autres ont pris position pour mettre le holà. "Effectivement, le médecin n'est pas révoqué, mais suspendu, dès le lendemain, une première fois, puis une deuxième, et une troisième fois. Avant d'être finalement révoqué fin septembre 2019. " Je m'attendais à ce que la direction de l'hôpital me soutienne, mais au contraire, elle m'a très vite signifié ma suspension dès lors que le dossier médical a été saisi par le parquet ", témoigne Laurent Carlier. " Je me suis senti massacré par les gestionnaires, par le directeur médical, et par le conseil médical. " Jasmine Nguyen, suspectée de complicité d'assassinat, n'est quant à elle pas suspendue de ses fonctions. Le cas de l'euthanasie est relativement simple : il s'agit d'un patient somatique atteint d'une maladie incurable qui désire l'euthanasie. Le dossier n'a d'ailleurs pas posé problème au niveau de la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de la loi relative à l'euthanasie. " La seule erreur que nous avons commise est de prévenir la fille du patient, contre sa volonté ", admet Laurent Carlier.Le Comité d'éthique médicale du CHR de Namur (CEM) conforte le Dr Carlier dans sa décisionde poursuivre la procédure d'euthanasie. Une décision qui " ne nous semble pas poser de problème éthique ". Le CEM s'est ensuite positionné sur le volet juridique de l'affaire, qui se divise en deux : le civil (le non-respect d'une ordonnance) et le pénal (assassinat).Sur ce dernier point, le CEM se réfère à la loi. " Dès lors qu'un patient est capable d'exprimer sa volonté, les proches ne peuvent s'opposer à l'euthanasie aussi bien au sens de la loi relative à l'euthanasie, qu'au sens de la loi relative aux droits du patient. " Cet avis est renforcé par le parquet lui-même. " À ce stade - il ne restait que deux auditions au dossier, ndlr - , on ne se dirigeait pas vers d'inculpation, et donc pas d'assassinat ", confirmait début janvier Charlotte Fosseur, magistrate de presse au parquet de Namur. On se dirigerait donc vers un non-lieu.Au niveau civil, la tierce-opposition à l'ordonnance a été plaidée en septembre 2019. Sans débat contradictoire. Et devant le même président du tribunal de 1ère instance de Liège qui avait émis l'ordonnance. " Nous avons été déboutés ", explique Laurent Carlier. " La tierce-opposition a été jugée sans objet, puisque l'un des deux requérants - le patient - était décédé entre temps. " Le Dr Carlier a décidé de faire appel de cette décision.Un magistrat peut-il s'immiscer dans une procédure d'euthanasie, alors que l'esprit de la loi de 2002 était d'éviter toute triangulation et de centrer la procédure sur le patient et l'équipe soignante ? La question est importante, car la réponse pourrait remettre en cause la pratique de l'euthanasie. " Si l'appel ne réussit pas à résoudre ce problème, cela créera un climat d'insécurité monstrueux dans la pratique de l'euthanasie, et dans la pratique de tout acte médical où peut s'immiscer une tierce personne ", résume Jasmine Nguyen." Le Dr Carlier n'a pas respecté l'ordonnance, mais cela est justifié. Il y avait urgence ",estime le Dr Hermanne. " Une urgence médicale et, surtout, morale. Certains médecins ne l'auraient pas fait pour deux raisons : il n'y avait pas d'accord unanime dans la famille, et ils auraient eu peur de l'ordonnance. Le Dr Carlier, quant à lui, a respecté sa promesse envers le patient, qui a tout de même vu la date de son euthanasie reportée à maintes reprises. L'autorisation d'une euthanasie, ce n'est pas un juge qui la donne. C'est le patient. "" Au sens de la loi du 28 mai 2002, si les conditions légales sont respectées - ce qui semble être le cas en l'espèce - , le médecin avait le droit de pratiquer, à la demande du patient, l'euthanasie. Aucune autre condition n'est légalement imposée ", ajoute le CEM. " Éthiquement, dès lors que le patient est dans les conditions pour recevoir l'euthanasie, il nous semble essentiel de pouvoir rencontrer sa demande dans le délai qui avait été initialement convenu entre les équipes soignantes et le patient sans souffrir d'un report de ce délai pour une durée indéterminée. En effet, la mise en route d'une expertise tel que demandé dans le cadre de l'ordonnance aurait reporté les soins prévus non pas dans le délai prévu par le juge, mais pour un délai bien plus long, ce qui n'est pas acceptable dans le cadre d'une prise en charge de soins. "" Cela ouvre la porte à la négation du droit d'un patient à demander l'euthanasie et à son médecin traitant d'accepter de pratiquer ce geste ", indique pour sa part Jacqueline Herremans. " Ceci constituerait un précédent fâcheux qui compromettrait une application sereine de la loi relative à l'euthanasie. Sans caricaturer du tout le propos, la conséquence qui pourrait en découler serait que demain, un médecin saisi d'une demande d'euthanasie se sentirait obligé de recueillir le 'consentement' de tout proche (pourquoi s'arrêter en effet aux enfants ?) avant de respecter la demande d'un patient qui répondrait à toutes les conditions posées par la loi. Ceci va à l'encontre de la philosophie de la loi relative à l'euthanasie. Le choix posé par le législateur était d'éviter la tribunalisation de la demande d'euthanasie. "Si l'on a abordé le volet juridique, reste le volet institutionnel. Sans avoir commis d'erreur médicale ni morale, le Dr Laurent Carlier, 23 ans d'ancienneté dans l'institution, s'est fait suspendre à trois reprises avant d'être finalement révoqué. Le tout, sans motif véritable. " Le CHR a fait preuve d'hypocrisie en parlant de 'suspension non disciplinaire' ", estime Laurent Carlier. " Comment peut-on penser qu'une suspension qui affecte un médecin, entraîne un préjudice financier et une rupture sociale soit non disciplinaire ? " Car outre les problèmes judiciaires, le médecin s'est rapidement retrouvé dans des problèmes financiers, notamment à cause des frais d'avocat qu'il continue d'assumer seul, l'assurance juridique de l'hôpital ne les prenant pas en charge.Autre fait remarquable : les suspensions et la révocation ne couvrent que le poste de chef de service des soins palliatifs, et non celui d'urgentiste, casquette qu'endosse le Dr Carlier depuis plus de 20 ans au CHR. " On témoignait par là notre confiance ", justifie Gilles Mouyard, président du CHR Sambre & Meuse (CHRSM). " Le problème n'est pas survenu dans son activité au sein du service des urgences. À aucun moment, en faisant cette proposition, nous voulions être machiavéliques ou avoir des arrière-pensées. Nous avons essayé de faire les choses le mieux possible. "" Cela prouve que les décisions sont aberrantes ", juge au contraire Jean-Philippe Hermanne. " Soit on suspend le médecin pour toutes ses activités soit on ne le suspend pas. " Une décision qui a encore moins de sens si l'on s'attarde sur le cas du Dr Nguyen, qui n'a pas été suspendue. " C'est simple, je suis la seule hématologue du CHR ", interprète l'intéressée. " Le service aurait été bien mis à mal s'ils m'avaient suspendue. J'ai demandé à plusieurs reprises aux gestionnaires pourquoi ils ne m'avaient pas suspendue. Je n'ai pas eu de réponse. " Gilles Mouyard n'était apparemment pas au courant de ces faits, ni même de la possibilité de poursuite à l'encontre du Dr Nguyen. " De ce que je connais du dossier répressif, à aucun moment le nom du Dr Nguyen n'a été cité avec un risque d'inculpation. "Bouleversé par la tournure des événements, surtout par le non-soutien de l'hôpital, Laurent Carlier a remis un certificat médical couvrant l'ensemble de ses activités. Ce qui lui sera reproché. Pourtant, l'homme souffre de " trouble anxieux réactionnel " et l'interruption de travail est " impérative " juge un psychiatre. " En raison de la profession médicale, je soutiens entièrement l'arrêt de travail, tant pour sa sécurité que pour celle de ses patients. " " Le Dr Carlier a fait son job. Le patient était satisfait. Il n'y a donc pas d'erreur médicale ", souligne Jean-Philippe Hermanne. " Mais d'un point de vue juridique, alors que le médecin respecte la loi euthanasie, il ne respecte pas une ordonnance. J'estime cependant que ce problème est et doit rester entre le Dr Carlier et le juge. Le médecin n'a donc pas fait d'erreur par rapport à l'institution. La réaction de l'hôpital face à ce médecin qui a fait son travail, on ne l'a pas comprise. "" Ils ont pris peur, ils ont agi dans la panique et l'ignorance", expriment tous les médecins interrogés. Des sources bien informées parlent d'un comité de gestion comportant de nouvelles têtes pour justifier cette panique. Et soulignent le manque de connaissances de certains administrateurs des rouages du système de santé et donc, de la loi relative à l'euthanasie. Le tort du Dr Carlier ? Il a fait cavalier seul. Il aurait pu avertir le directeur médical plus tôt de la situation. Mais cela vaut-il une suspension ?" Tout au début du dossier, lors du premier comité de gestion, j'ai entendu des mots très durs concernant le Dr Carlier. Alors que l'on ne connaissait pas le dossier. Des mots comme 'assassin'. Cela fait peur quand on entend des mots tels que ceux-là. Et après coup, je me dis qu'on n'a pas si mal géré la situation ", se défend Gilles Mouyard. " Parce qu'il a fallu temporiser, parce que cela n'a pas duré trop longtemps. Les choses se sont ensuite déroulées normalement, avec la réintégration au final. "On peut en tout cas affirmer que le CA n'est pas le seul à blâmer. Le service juridique l'a peut-être mal informé. Et surtout, la direction médicale et le conseil médical aurait pu, aurait dû défendre le médecin. " Durant toute cette période, alors que le conseil médical était censé me soutenir, du moins m'entendre, je n'ai pas eu le moindre contact ", affirme le Dr Carlier. Ce que Gilles Mouyard réfute. " Il dit avoir voulu prendre contact avec la direction, ce que la direction a refusé. J'ai vérifié : c'est faux. Il n'y a jamais eu de notre côté, à aucun moment - ou alors on me cache des choses - une volonté de ne pas avoir de contact avec lui. "L'affaire a pris une telle ampleur au sein du corps médical qu'elle a été débattue lors de l'Assemblée générale des médecins du 20 novembre 2019. " L'AG a connu une participation massive et était extrêmement tendue ", témoigne le Dr Hermanne, présent ce soir-là. " C'était une AG difficile, où les médecins étaient nerveux et le conseil médical était dans ses petits souliers. Il y a eu une prise de bec entre l'ensemble des médecins et le conseil médical sur l'affaire Carlier. Les trois derniers présidents du conseil médical étaient d'ailleurs présents dans l'assemblée des médecins et ont, chacun à leur tour, commenté la situation difficile du Dr Carlier."La pression fût telle qu'un vote immédiat est décidé concernant la révocation du Dr Carlier. Alors que les votes se font généralement sous enveloppe, c'est exceptionnellement à main levée que " l'unanimité des médecins s'est prononcée en faveur de sa réintégration ". Lors de cette AG mouvementée, le conseil médical s'est vu bousculé. Acculé par les médecins, il est sommé de réparer son erreur dans l'affaire Carlier. Ce qu'il fera, adressant un courrier aux gestionnaires en faveur de la réintégration du spécialiste. Il faudra cependant attendre le 11 février 2020 pour que le CA décide de réintégrer " à titre provisoire " le Dr Carlier " jusqu'à ce qu'il soit statué définitivement sur l'appel formé contre la décision déclarant sans objet la tierce-opposition formée à l'encontre de l'ordonnance rendue le 6 juin 2019 ". Et le courrier officiel d'ajouter : " Cette réintégration à titre provisoire interviendra sous toutes réserves et ne préjuge en rien de l'attitude qui devrait être adoptée par le CHR Sambre et Meuse s'il advenait que le Dr Carlier devait être inculpé dans le cadre d'une procédure pénale. Ainsi, le CHRSM ne renonce à aucune demande ni à aucun moyen à l'égard du Dr Carlier. "Une proposition qui relève plus de la prudence que du soutien. " On peut soutenir quelqu'un tout en restant prudent ", affirme Gilles Mouyard. " Je n'ai plus aucune envie de revenir. L'attitude des dirigeants a eu un impact considérable sur ma santé, ma vie de famille et mon avenir ", confie Laurent Carlier. " J'ai désormais d'autres projets. J'ai attendu longtemps, mais l'absence de nouvelles m'a poussé à aller voir ailleurs. "Il n'est pas le seul à avoir pris position. Jean-Philippe Hermanne a également décidé de démissionner de son poste de chef du service d'oncologie du CHR. Pour l'homme, cet événement est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. En 23 ans de carrière dans l'institution, il n'avait jamais connu pareille situation. " Je n'ai plus confiance en la direction ", exprime quant à elle le Dr Nguyen, retenue par ses patients. " C'est dégueulasse, mais on marche à la pitié en tant que médecin. "" Aurais-je pratiqué l'euthanasie si j'avais su les conséquences ? Oui. Je ne regrette pas mon geste. Le patient doit rester au centre des préoccupations", conclut Laurent Carlier. " Je trouve qu'il est important de se battre. Si on ne le fait pas, on s'expose à des situations où des tiers peuvent s'opposer à tout acte médical. Ce qu'il faut défendre, c'est la liberté thérapeutique du médecin et celle du patient, ainsi que le bien-être et le confort de chaque personne. "