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Première question : l'auteur arrive-t-il à canaliser les propos de l'orateur qui tissait, par d'innombrables exemples, la toile d'une médecine de futur qui tantôt choquait l'assemblée, inquiète de son futur, tantôt la réjouissait, venue chercher l'inspiration dans les prophéties du professeur ? La réponse est oui. Oui car le livre reprend bel et bien les thèmes développés depuis des années maintenant par le Pr Philippe Coucke. Oui car le contenu est structuré, même si l'on se perd parfois dans le nombre des exemples présentés.Penchons-nous sur le contenu. L'état des lieux décrit par le Pr Coucke est sans appel : le système des soins de santé actuel est financièrement insoutenable à moyen voire à court terme. Après un rapide et intéressant retour sur l'histoire de la médecine, l'homme pointe le manque d'allant du secteur. " Le secteur médical ne peut raisonnablement pas être taxé de progressiste. Il est de notoriété publique que les changements dans ce secteur mettent plusieurs années avant de percer. On a pu démontrer qu'en moyenne, il faut 17 ans pour qu'un nouveau traitement - supérieur à un standard établi - soit appliqué en routine clinique. "Le Pr Coucke étale ensuite ses arguments - que l'on oserait qualifier d'habituels - pour démystifier le système de santé actuel. Par exemple sur l'inefficience du secteur, se basant sur un rapport de l'OCDE de 2013 : " L'inefficience cumulée est estimée à 42 %. Pouvez-vous vous imaginer que 42 % du budget annuel - en matière de santé - parte immédiatement à la poubelle ? "Philippe Coucke regrette également le manque d'efficience du DMG. Les acteurs du terrain font face à " une réelle cacophonie numérique inadaptée, et non intégrée, source de souffrance morale et de démotivation ", estime le chef du service de radiothérapie au CHU de Liège. " Même en médecine générale, on estime que le temps passé avec un patient en face-à-face est en moyenne de 16,5 minutes, tandis que le temps passé à documenter et à enregistrer les données représente, lui, 18,6 minutes. "Pour répondre à ces problématiques, il faut faire confiance à la disruption promise par les NBIC - comprenez les nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l'information et sciences cognitives. Elle touche déjà divers secteurs de la société : la mobilité, l'architecture, la construction ou encore le marché du travail.La santé n'est évidemment par épargnée. Notamment par l'intelligence artificielle (IA), à laquelle un bon quart du livre est dédiée. C'est que l'enjeu est majeur pour Philippe Coucke : " L'impact sur le genre humain sera sans aucune commune mesure. "Dans le secteur des soins, l'auteur promet : " Le soignant sera confronté à un raz-de-marée auquel il ne pourra pas faire face. Ce déluge numérique est totalement indigeste, et dépasse largement nos capacités cognitives. Il n'y aura pas d'autre échappatoire que l'IA. Elle sera utile, nécessaire, et finalement indispensable dans le processus du diagnostic, dans l'établissement du plan thérapeutique et incontournable dans le pronostic. "Trois domaines de l'IA sont évoqués dans le détail. Il s'agit des chatbots médicaux, la démarche diagnostique qui comprend la récolte des signes cliniques et la demande d'examens complémentaires (les examens biologiques et l'imagerie), et l'aide au diagnostic et au choix thérapeutique. Outre l'IA, le professeur en radiothérapie à l'ULiège aborde également l'analyse génomique et la télémédecine.On regrettera cependant - et c'est une constante tout au long du livre - que les exemples tirés sont le plus souvent américains. Il n'y a que de rares références à l'Europe et à la Belgique. Pourtant, le pays est très actif en matière d'eSanté, nonobstant le manque de soutien public, notamment fédéral. Il suffit de voir les trois dernières éditions du journal du Médecin pour se rendre compte que les sociétés belges proposent des innovations également approuvées par la FDA ou marquée CE, notamment dans le domaine de l'IA. C'est d'autant plus regrettable que l'on aurait aimé avoir un avis approfondi du Pr Coucke sur l'éventuelle percée des nouvelles technologies dans les soins de santé belges, voire des recommandations de ce dernier pour y arriver.Pour répondre aux nombreux défis liés aux nouvelles technologies, le natif de Gand recommande de mettre en place un nouvel écosystème. " On a insisté plusieurs fois sur la quantité de données médicales qui seront à disposition des soignants. Ils seront littéralement noyés. Ils vont forcément devoir faire appel à de l'IA pour en distiller et le diagnostic et le choix thérapeutique. Ces données qui proviennent de multiples sources nécessitent d'être échangées, croisées, complétées si on veut réellement exploiter le potentiel du big data. Pour collectionner et échanger ces données, il faut un format " standard " qui facilite l'interopérabilité. Visiblement, ce n'est pas gagné d'avance, même si maintenant des efforts sont consentis et des règles établies par les législateurs. "Le professeur recommande également aux hôpitaux de se passer de serveurs locaux et de faire confiance au cloud. Concernant la sécurité de l'échange dans un tel écosystème, l'homme prône la chaîne de blocs comme solution. C'est la fameuse blockchain dont beaucoup ont entendu parler et nombreux ne comprennent rien. " Il s'agit d'une technologie de stockage d'information, distribuée et partagée, qui permet la transmission de données de façon traçable entre utilisateurs de confiance ", " La solution se caractérise par l'absence d'une instance de contrôle centralisée. La chaîne de blocs est donc une base de données distribuée. Dans une infrastructure de ce type, on a vérifié les liens internes à l'entrée. On le fait régulièrement par la suite afin d'instaurer de la confiance. Le registre distribué permet de tracer l'addition de nouvelles informations, de les valider et de les protéger contre toutes modifications. C'est ce principe de contrôle transparent qui restaure la confiance entre utilisateurs. "" Je me doute bien que certains sont réfractaires à cette technologie ", continue Philippe Coucke. " Mais à ceux-là, j'aimerais simplement adresser la question suivante : comment pouvez-vous me garantir, depuis la mise en place du RGPD, le Règlement général sur la protection des données, par la Commission européenne en 2018, que vous savez à tout moment où se trouvent les données, qui y a accès ou les a consultées ? "Si le livre fait la part belle à la technologie, certains sujets auraient mérité une approche plus approfondie. C'est le cas du rôle du médecin dans ce nouvel écosystème qui est trop peu élaboré. Bien que l'ouvrage comporte un chapitre dédié aux problèmes de la réglementation, on regrettera également que le cadre réglementaire et le débat éthique ne soient abordés que de manière sporadique.On ne peut toutefois pas parler de confiance aveugle en les nouvelles technologies puisque l'auteur aborde également les questions liées au transhumanisme notamment. Mais l'humain est trop peu présent. Il pèse une sorte de fatalité sur l'avènement des technologies qui laisse peu de place à l'optimisme et au futur de la médecine au côté de la technologie et non par la technologie. Même si dans ses conclusions, l'auteur note que le nouvel écosystème qui accompagnera les nouvelles technologies est " une formidable opportunité pour replacer l'intérêt du patient au centre de la prise en charge et de le responsabiliser comme acteur. Les soignants, submergés aujourd'hui par des tâches peu valorisantes et par des flux ininterrompus de données dont ils ne savent plus que faire, pourraient en embrassant ces nouvelles technologies mettre à profit le temps reconquis pour revenir aux vraies valeurs de ces formidables métiers de soignants : accompagner, expliquer, coordonner le parcours de soins et surtout avoir de l'empathie. Le médecin n'est pas appelé à disparaître, pas de sitôt ! Mais ceux qui ne comprennent pas la nécessité de prendre ce train à grande vitesse en marche risquent fort de se retrouver bien esseulés sur le quai, au profit de ceux qui s'adaptent au nouvel écosystème et aux attentes des bénéficiaires de soins. "