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An matière de soins de santé, il est primordial de bien se comprendre. Ce n'est déjà pas toujours évident quand prestataires et patients parlent la même langue, alors quand ce n'est pas le cas, communiquer devient une gageure! Avec toutes les conséquences que cela peut engendrer: erreurs diagnostiques, examens inutiles, traitements inadéquats, manque d'adhésion thérapeutique, etc. "Accepter ou demander qu'un proche du patient l'accompagne en consultation et joue l'interprète n'est pas l'idéal", estime Hans Verrept, responsable de la Cellule médiation interculturelle du SPF Santé publique. "D'une part, même une personne bilingue ne connaît pas forcément le vocabulaire médical dans les deux langues. D'autre part, le risque de (auto)censure est élevé. Le ou la patiente peut être gênée d'expliquer tous ses symptômes ou de poser certaines questions devant son conjoint, son enfant, etc. Quant au proche, il peut choisir de passer sous silence certains sujets s'il estime qu'il n'intéresse ou ne regarde pas le médecin." La solution? Faire appel à la médiation interculturelle (MI). Un nombre croissant d'hôpitaux dispose d'un tel service. De leur côté, les (groupements de) médecins généralistes peuvent aussi recourir à la MI par visioconférence lorsqu'il n'y a pas de langue commune avec le ou la patiente suffisamment maîtrisée. Triés sur le volet et soumis au secret professionnel, les médiateurs et médiatrices interculturelles se doivent de traduire fidèlement et de façon neutre les propos échangés. "Mais leur mission va au-delà du "simple" interprétariat", explique Hans Verrept. "Il s'agit aussi de gérer les différences culturelles relatives, par exemple, à la prise en charge des seniors, aux rites mortuaires, aux maladies psychiatriques, etc. Il faut également pouvoir interpréter le non verbal. Dans certaines cultures, éviter le contact visuel avec le médecin est une marque de respect. Dans d'autres, poser une question ou dire que l'on n'est pas d'accord avec un traitement est inimaginable... Travailler avec quelqu'un qui connaît et comprend ces codes-là peut faire toute la différence." Certains médecins tiennent à leur relation privilégiée avec le patient et sont réticents à l'idée d'y inclure une tierce personne. D'aucuns craignent d'être observés ou de porter atteinte au secret professionnel. Selon Catherine Aldenhoff, médecin généraliste dans une maison médicale à Dison, près de Verviers, et utilisatrice régulière de la MI, ces craintes ne sont pas fondées. "Dans mon expérience, les patients sont soulagés de pouvoir expliquer leurs plaintes et d'avoir des réponses à leurs questions. Ça aide à instaurer la confiance et renforce la qualité de la relation thérapeutique. Pour nous, médecins, c'est aussi moins fatigant et frustrant que lorsqu'on ne se comprend pas. Cela dit, il faut disposer d'une bonne webcam et d'une connexion internet stable et s'habituer aux interventions de l'interprète. Au moment de l'examen clinique, il faut aussi penser à couper la caméra. Certes, on peut penser que cette relation triangulaire prend beaucoup plus de temps. Mais, au final, on en gagne et on est plus efficace: un patient qui a compris ce qu'on lui a dit en consultation ne rappellera pas à des moments inopportuns. En général, il adhère aussi davantage au traitement et se prend mieux en charge."La plateforme de MI est six à huit (! ) fois plus utilisée par les prestataires extrahospitaliers flamands que par les francophones. Même à Bruxelles - où 60% de la population est née à l'étranger - dans les maisons médicales, il n'y a eu que 187 visioconférences contre près de 3.500 en Flandre l'année dernière. Quant aux médecins généralistes indépendants, ils ne sont qu'une poignée à connaître et utiliser le service: deux interventions en Wallonie, sept à Bruxelles et 61 en Flandres en 2021. Comment expliquer de tels écarts entre les Régions? Outre les réticences personnelles des médecins ou le manque de temps, Hans Verrept pointe des différences à la fois historiques et organisationnelles. "La première expérience de MI a été initiée en Flandre, en 1978. Vingt ans plus tard, quand le SPF a eu un budget pour cela, plusieurs projets-pilotes y ont été menés. De plus, les maisons médicales flamandes sont organisées au sein d'une structure intégrée et nous avons toujours eu un interlocuteur unique qui faisait relai auprès des autres - ce qui n'est pas le cas dans le sud du pays. Statistiquement, il y a aussi peut-être moins de besoins en Fédération Wallonie-Bruxelles, du fait notamment de l'héritage culturel colonial que représente le français dans de nombreux pays et des médecins issus de l'immigration qui exercent à Bruxelles." Cela dit, le système gagnerait à être davantage utilisé. D'autant que, dans les prochaines semaines, le SPF souhaite l'étendre à la prise en charge des traumatismes de guerre par les psychologues de 1ère ligne et des médiatrices parlant notamment l'ukrainien.