Dans l'action, Wynen a simplement appliqué la règle stratégique de l'économie des forces en priorisant les objectifs. Il a commencé par régler les problèmes aigus de l'Assurance maladie puis il s'est attaché à établer une doctrine en matière de participation médicale à la gestion des hôpitaux qui mettra vingt ans à trouver son application. En 1967, il va concentrer ses efforts à faire reconnaitre l'indépendance médicale dans l'AR78 réglant tous les aspects de l'exercice de la médecine et des relations avec les autres professions de santé, complété par l'AR79 confiant à l'Ordre la surveillance de la profession. Après quoi, les actions ont visé à faire insérer les mêmes principes de respect de la liberté partout, à travers le libre choix du généraliste dans les maisons de repos, à travers la protection du médecin du travail vis-à-vis de l'employeur et des syndicats des travailleurs, etc ...

Le facteur critique : la capacité de pression d'un syndicat dépend du facteur humain

La mise en oeuvre d'une stratégie, y compris dans l'entreprise, en politique et à fortiori dans le syndicalisme, dépend du facteur critique, c'est-à-dire l'élément dont la réalisation est indispensable pour atteindre l'objectif visé. L'analyse correcte de ses composantes ou d'une alternative est l'élément essentiel d'un plan stratégique. Il a semblé évident que ce facteur résidait avant tout dans la capacité de nuisance du syndicat, complété par une expertise et une force de proposition, il fallait assurer au syndicalisme médical le pouvoir d'apporter quelque chose dans l'échange qui clôture toute action que ce soit une grève, un refus d'accord ou de tarifs, quelque chose auquel le décideur politique attache du prix : la paix sociale, la sécurité tarifaire, le bon fonctionnement du système ou de l'hôpital, la satisfaction des électeurs, etc.... Wynen était en faveur du compromis et du dialogue mais ne se fit jamais d'illusion sur la nature des relations politiques. Il aimait rappeler son point de vue : le politicien est un dipneuste, un animalcule possédant deux systèmes respiratoires, l'un pour respirer à l'air libre et l'autre pour respirer dans le purin. Il est donc impossible de suivre le politicien quand il plonge dans le purin, faute de l'appareil respiratoire adéquat. Il n'y a qu'une solution pour suivre les politiciens : se boucher le nez.

Le défi du syndicalisme est de conserver sa force de frappe, le facteur humain. Le grand maître de la stratégie, Clausewitz, voit dans la passion des peuples l'un des trois constituants de la guerre, le deuxième étant la valeur de l'instrument, l'Armée qui doit être animée de la foi en une " guerre bonne ", notion liée à la défense de la liberté du peuple et la troisième, les objectifs politiques.

Si on transpose ces notions dans l'action syndicale, le facteur humain conditionne ainsi la guerre syndicale et la foi de son "armée". Wynen a bénéficié d'un courant passionnel d'amour de la liberté issu de l'expérience douloureuse de l'occupation. Les quadragénaires de 1964 qui vont diriger le syndicalisme médical pendant vingt ans étaient les étudiants de 1944, résistants ou volontaires des bataillons de fusiliers. Pour donner un exemple de cette combativité, le docteur Buisseret, futur relais entre Wynen et le PSC, s'était engagé en 1944 dans le 1er Régiment de cavalerie blindée comme soldat pour se battre et, non comme médecin pour soigner, alors qu'il était déjà en dernière année de médecine. C'est lorsqu'il dut soigner un blessé qu'il révéla sa compétence et son chef d'escadron le promut... caporal médecin. Cet état d'esprit de rébellion et de victoire dans le syndicalisme médical souda généralistes et spécialistes, Flamands et Francophones, d'autant que le gouvernement s'appuya pour tenter d'affaiblir les chambres syndicales sur un petit syndicat de médecins ayant des sympathies avec la collaboration, encore dans les esprits à ce moment.

L'instrument essentiel des chambres syndicales pour mobiliser cette passion fut le contact direct, créateur d'un lien bien plus efficace que les écrits ou les tracts, que les politiques connaissent bien et qui les poussent, même à l'époque de facebook, à serrer des mains dans les marchés. Wynen et les leaders des premières années cultivèrent chaque jour, chaque soir le débat, allant de la réunion dans l'arrière salle de café aux Etats généraux rassemblant des milliers de médecins dans d'immenses salles de congrès.

Wynen, avec son talent de tribun et son sens des formules, souleva l'enthousiasme. Des leaders de sa trempe surgirent dans toutes les Régions. Pour éviter la sclérose centralisée qui avait tué la FMB, le mouvement se répartit en cinq chambres couvrant des régions suffisamment grandes pour pouvoir se suffire à elles- mêmes et réunir un nombre suffisant de cotisants mais suffisamment petites pour maintenir un lien direct de la base sur le terrain avec les dirigeants, de façon à assurer le sentiment des militants d'avoir partagé les décisions. Le docteur Farber, président de la chambre de Bruxelles, et lui alternant les discours de la citadelle médicale menacée et de la capacité à faire respecter les droits de la médecine, ont tenté de garder la force née de la passion et de l'unité.

Les ruptures

Cette unité explosa à peine neuf mois après la victoire remportée à la suite de la grève.

La première scission découla de la difficulté à s'accorder sur la position vis-à-vis de l'assurance- maladie. Ce n'est pas propre au mouvement médical qu'il est plus facile de s'unir dans l'opposition que dans les propositions. Et la décision stratégique la plus délicate est celle d'arrêter le combat en se satisfaisant des acquis ou de le poursuivre jusqu'à l'écrasement de l'adversaire. La moitié des chambres suivait Wynen dans la première option, acceptant l'intégration de médecins dans le système à condition du respect des principes hippocratiques. Ils considéraient, dans ce sens, que l'objectif était atteint et qu'il n'était pas opportun d'affaiblir par la continuation de l'action un gouvernement dont la chute aurait rendu impossible la concrétisation de l'accord obtenu. Peut- être aussi l'optimisme de Wynen lui donna l'illusion que l'accord était coulé dans le bronze et qu'il pensait que le syndicat aurait toujours assez de force pour en empêcher la violation. L'autre moitié des chambres syndicales visait la chute du gouvernement et croyait pouvoir continuer l'action jusqu'à imposer que le médecin reste en dehors du système, l'assurance ne concernant que le patient et sa Mutuelle. Cette partition allait durer cinq ans jusqu'à ce qu'un autre président, le docteur Henrard, émerge chez les irréductibles et constate que les buts des deux tendances des chambres étaient identiques. Le talent de négociateurs des deux leaders amena ainsi la réunification dès 1970.

Dans l'entretemps, une autre rupture plus profonde, prédite depuis le début du conflit et espérée par les Politiciens, s'est également produite dès 1965. Les généralistes ont créé une organisation indépendante, se sentant frustrés des résultats de la victoire. Le GBO allait désormais se présenter en aiguillon et unique voix des généralistes, alors que les chambres syndicales continuaient à représenter, si on considère les dernières élections, à peine 20% de généralistes en moins qu'au GBO. Par son expertise dans le domaine hospitalier précieuse dans les conflits locaux, autant que par ses résultats dans la politique sur le statut et ses relations efficaces avec le GBS, la fédération des chambres gardait par contre 85% du total des spécialistes. Cela a entraîné un problème stratégique pour les chambres syndicales. Il est plus aisé de défendre des intérêts sectoriels que de représenter des intérêts divergents. Cet équilibre allait amener plus tard lors des restrictions financières, les dirigeants des chambres syndicales à demander à plusieurs reprises aux spécialistes, et, spécialement aux biologistes et radiologues, de céder une partie parfois importante de leurs budgets au profit de l'acte intellectuel, essentiellement à l'avantage des généralistes. C'est dans ces décisions internes que la conviction des dirigeants devait être communicative. Et la stratégie du Dr Wynen a, de ce fait, dû être fondée sur des négociations internes entre disciplines et sur des arbitrages.

Le défi de la solitude

Une des difficultés de la stratégie du Dr Wynen résida dans son option de refuser tout ancrage dans une tendance politique, contrairement à ses partenaires dans l'AMI, les mutuelles, qui y étaient étroitement liées et les influençaient. Les chambres syndicales devaient rester apolitiques ou pluri politiques mais ne devaient se lier à aucun Parti. Elles participaient à la politique de santé au travers des multiples organes consultatifs ou paritaires mais les appuis ou rejets des partis devaient rester ponctuels selon les politiques des uns ou des autres sur chaque sujet. Wynen se méfiait de toute stratégie d'entrisme. Il aurait pu faire sienne la loi attribuée à Strauss-Kahn : "quand tout corps est plongé dans un bocal de cornichons, il devient un cornichon".

Si on ajoute que les syndicats s'insèrent également dans le réseau de piliers des partis politiques, on réalise la gageure que représentait la position de Wynen de miser sur un paritarisme dans le déséquilibre d'une particratie. Cela devait se traduire par une certaine faiblesse, compensée par les rapprochements individuels au gré des circonstances. Par ailleurs, la mouvance libérale et le MR étant moins lié à une mutuelle et à un syndicat, une relation objective pouvait d'autant plus facilement se dessiner que les objectifs politiques semblaient plus compatibles.

Une des institutions que Wynen a créée, Cobeprivé, a cependant dérogé progressivement à cette vision d'isolement. Dès la création du CWES (Conseil wallon des établissements de soins), les représentants hospitaliers durent être présentés par les partis politiques et ceux de Cobeprivé le furent par le MR. Les relations furent ainsi imposées par le fonctionnement même de la particratie wallonne, donnant d'ailleurs à Cobeprivé un poids d'autant plus grandissant que dirigeants et cadres y maîtrisaient parfaitement la complexité technique de leur domaine, apportant au Parti une expertise utile.

Éthique et équilibre financier de l'Assurance-maladie

Des médias ont tenté de présenter Wynen comme l'imprécateur du monde de la Santé. Sa guerre était une croisade pour l'éthique qui fondait ses positions, suscitant un choix entre des valeurs différentes. Le conflit sur le ticket modérateur est exemplatif à cet égard. Wynen considérait que la médecine gratuite provoquait des abus et à terme sa faillite, au détriment de tous les citoyens. C'est pour cela qu'une franchise ou un ticket modérateur était à ses yeux indispensable, quoique modulé en fonction des revenus du patient pour ne pas affecter l'accessibilité aux soins. C'est dans cette vision que les accords tarifaires ne devaient s'appliquer qu'aux patients à revenus modestes. Politiciens et mutuelles ont gauchi le principe en l'appliquant à tous les citoyens aux revenus annuels imposables de 67.656 euros par ménage soit environ 90.000 bruts (7.500 euros par mois, ce qui n'est pas le revenu moyen, et encore moins un revenu modeste). L'engagement des médecins devenait ainsi universel, et cela sans réaction des chambres syndicales, l'honoraire vrai devenant une exception dérogatoire baptisée supplément conditionnel destiné à disparaitre. Le réalisme allait contraindre à donner au TM moins une fonction modératrice que celle de cofinancement de l'AMI par le budget des ménages. Et les événements allaient donner raison à Wynen. Pour maintenir le bénéfice tarifaire aux patients les plus aisés, le gouvernement a réduit le remboursement des antibiotiques à tous, y compris aux malades qui renonçaient déjà à acheter leurs médicaments indispensables.

La recherche du win-win

Le Dr Wynen sut que les grands principes se gagnent par des victoires sur le terrain. La stratégie appliquée dans le long conflit sur le statut des médecins hospitaliers est exemplative. Les organisations patronales d'hôpitaux ne voulaient pas entendre parler d'une participation de représentants élus des staffs médicaux au pouvoir de gestion et réagissaient comme des patrons d'avant Quaregnon. Sur le terrain toutefois, les gestionnaires étaient confrontés à des difficultés financières et réalisaient que les médecins représentaient la raison d'être et la clef du bon fonctionnement de l'hôpital. C'est donc au cours de conflits locaux et à l'issue d'épreuves de force répétées combinant actions des staffs locaux et négociations de la chambre syndicale les assistant, que de nombreux hôpitaux associèrent successivement les médecins à leurs responsabilités et reconnurent des statuts convenables aux médecins dont ils voulaient faire des cadres à l'origine. Après 20 ans de tractations, quand la loi fut négociée, la plupart des hôpitaux avaient un conseil médical effectif et un certain nombre avec des attributions dépassant celles acceptées dans le compromis final, mais qui furent sauvegardées.

Cette stratégie implique une activité constante s'additionnant aux multiples réunions nationales et des équipes disponibles et compétentes non seulement professionnellement mais aussi sur le plan de la négociation. Elle est essentiellement fondée sur la confiance des équipes dans les négociateurs qu'ils appellent avec la certitude qu'ils ne sont pas gagnés aux thèses des gestionnaires et n'en ont pas les intérêts.

Dans ses actions et négociations, Wynen veillait toujours à ne pas se mettre le dos au mur. Parfois, les textes juridiques reflètent le difficile compromis entre les volontés opposées et la nécessité de trouver la voie d'un win-win pour les interlocuteurs. Un exemple frappant se retrouve dans l'article 149 de la loi sur les hôpitaux relatif à la perception centrale des honoraires, attribuée soit au Conseil médical qui a la priorité du choix, soit à l'hôpital, mais de toute façon dans la transparence des comptes.

En joueur d'échecs passionné, il s'efforçait de prévoir le coup d'après, et il attendait d'ailleurs de ses conseillers de l'aider dans cette réflexion qu'il ne considérait pas comme le monopole des grands patrons. Il considérait avec inquiétude la partition de la Belgique, contre laquelle il s'engagea en fin de vie sous la bannière du groupe Mémoire et les difficultés que provoqueraient les transferts de compétences dues à la décentralisation : le problème de maintenir le dialogue à l'AMI, la solidarité entre médecins, les places respectives des syndicats médicaux et des Mutuelles. La place des valeurs face à des évolutions de pensées et de centres d'intérêt des jeunes générations le préoccupaient comme la balkanisation de la défense médicale et la résignation qu'il croyait déceler chez certains de ses successeurs au nom du réalisme, au moment où il leur a cédé le flambeau.

Lire aussi André Wynen, le géant (1) : l'indépendance.

Dans l'action, Wynen a simplement appliqué la règle stratégique de l'économie des forces en priorisant les objectifs. Il a commencé par régler les problèmes aigus de l'Assurance maladie puis il s'est attaché à établer une doctrine en matière de participation médicale à la gestion des hôpitaux qui mettra vingt ans à trouver son application. En 1967, il va concentrer ses efforts à faire reconnaitre l'indépendance médicale dans l'AR78 réglant tous les aspects de l'exercice de la médecine et des relations avec les autres professions de santé, complété par l'AR79 confiant à l'Ordre la surveillance de la profession. Après quoi, les actions ont visé à faire insérer les mêmes principes de respect de la liberté partout, à travers le libre choix du généraliste dans les maisons de repos, à travers la protection du médecin du travail vis-à-vis de l'employeur et des syndicats des travailleurs, etc ...La mise en oeuvre d'une stratégie, y compris dans l'entreprise, en politique et à fortiori dans le syndicalisme, dépend du facteur critique, c'est-à-dire l'élément dont la réalisation est indispensable pour atteindre l'objectif visé. L'analyse correcte de ses composantes ou d'une alternative est l'élément essentiel d'un plan stratégique. Il a semblé évident que ce facteur résidait avant tout dans la capacité de nuisance du syndicat, complété par une expertise et une force de proposition, il fallait assurer au syndicalisme médical le pouvoir d'apporter quelque chose dans l'échange qui clôture toute action que ce soit une grève, un refus d'accord ou de tarifs, quelque chose auquel le décideur politique attache du prix : la paix sociale, la sécurité tarifaire, le bon fonctionnement du système ou de l'hôpital, la satisfaction des électeurs, etc.... Wynen était en faveur du compromis et du dialogue mais ne se fit jamais d'illusion sur la nature des relations politiques. Il aimait rappeler son point de vue : le politicien est un dipneuste, un animalcule possédant deux systèmes respiratoires, l'un pour respirer à l'air libre et l'autre pour respirer dans le purin. Il est donc impossible de suivre le politicien quand il plonge dans le purin, faute de l'appareil respiratoire adéquat. Il n'y a qu'une solution pour suivre les politiciens : se boucher le nez.Le défi du syndicalisme est de conserver sa force de frappe, le facteur humain. Le grand maître de la stratégie, Clausewitz, voit dans la passion des peuples l'un des trois constituants de la guerre, le deuxième étant la valeur de l'instrument, l'Armée qui doit être animée de la foi en une " guerre bonne ", notion liée à la défense de la liberté du peuple et la troisième, les objectifs politiques.Si on transpose ces notions dans l'action syndicale, le facteur humain conditionne ainsi la guerre syndicale et la foi de son "armée". Wynen a bénéficié d'un courant passionnel d'amour de la liberté issu de l'expérience douloureuse de l'occupation. Les quadragénaires de 1964 qui vont diriger le syndicalisme médical pendant vingt ans étaient les étudiants de 1944, résistants ou volontaires des bataillons de fusiliers. Pour donner un exemple de cette combativité, le docteur Buisseret, futur relais entre Wynen et le PSC, s'était engagé en 1944 dans le 1er Régiment de cavalerie blindée comme soldat pour se battre et, non comme médecin pour soigner, alors qu'il était déjà en dernière année de médecine. C'est lorsqu'il dut soigner un blessé qu'il révéla sa compétence et son chef d'escadron le promut... caporal médecin. Cet état d'esprit de rébellion et de victoire dans le syndicalisme médical souda généralistes et spécialistes, Flamands et Francophones, d'autant que le gouvernement s'appuya pour tenter d'affaiblir les chambres syndicales sur un petit syndicat de médecins ayant des sympathies avec la collaboration, encore dans les esprits à ce moment.L'instrument essentiel des chambres syndicales pour mobiliser cette passion fut le contact direct, créateur d'un lien bien plus efficace que les écrits ou les tracts, que les politiques connaissent bien et qui les poussent, même à l'époque de facebook, à serrer des mains dans les marchés. Wynen et les leaders des premières années cultivèrent chaque jour, chaque soir le débat, allant de la réunion dans l'arrière salle de café aux Etats généraux rassemblant des milliers de médecins dans d'immenses salles de congrès. Wynen, avec son talent de tribun et son sens des formules, souleva l'enthousiasme. Des leaders de sa trempe surgirent dans toutes les Régions. Pour éviter la sclérose centralisée qui avait tué la FMB, le mouvement se répartit en cinq chambres couvrant des régions suffisamment grandes pour pouvoir se suffire à elles- mêmes et réunir un nombre suffisant de cotisants mais suffisamment petites pour maintenir un lien direct de la base sur le terrain avec les dirigeants, de façon à assurer le sentiment des militants d'avoir partagé les décisions. Le docteur Farber, président de la chambre de Bruxelles, et lui alternant les discours de la citadelle médicale menacée et de la capacité à faire respecter les droits de la médecine, ont tenté de garder la force née de la passion et de l'unité. Cette unité explosa à peine neuf mois après la victoire remportée à la suite de la grève.La première scission découla de la difficulté à s'accorder sur la position vis-à-vis de l'assurance- maladie. Ce n'est pas propre au mouvement médical qu'il est plus facile de s'unir dans l'opposition que dans les propositions. Et la décision stratégique la plus délicate est celle d'arrêter le combat en se satisfaisant des acquis ou de le poursuivre jusqu'à l'écrasement de l'adversaire. La moitié des chambres suivait Wynen dans la première option, acceptant l'intégration de médecins dans le système à condition du respect des principes hippocratiques. Ils considéraient, dans ce sens, que l'objectif était atteint et qu'il n'était pas opportun d'affaiblir par la continuation de l'action un gouvernement dont la chute aurait rendu impossible la concrétisation de l'accord obtenu. Peut- être aussi l'optimisme de Wynen lui donna l'illusion que l'accord était coulé dans le bronze et qu'il pensait que le syndicat aurait toujours assez de force pour en empêcher la violation. L'autre moitié des chambres syndicales visait la chute du gouvernement et croyait pouvoir continuer l'action jusqu'à imposer que le médecin reste en dehors du système, l'assurance ne concernant que le patient et sa Mutuelle. Cette partition allait durer cinq ans jusqu'à ce qu'un autre président, le docteur Henrard, émerge chez les irréductibles et constate que les buts des deux tendances des chambres étaient identiques. Le talent de négociateurs des deux leaders amena ainsi la réunification dès 1970. Dans l'entretemps, une autre rupture plus profonde, prédite depuis le début du conflit et espérée par les Politiciens, s'est également produite dès 1965. Les généralistes ont créé une organisation indépendante, se sentant frustrés des résultats de la victoire. Le GBO allait désormais se présenter en aiguillon et unique voix des généralistes, alors que les chambres syndicales continuaient à représenter, si on considère les dernières élections, à peine 20% de généralistes en moins qu'au GBO. Par son expertise dans le domaine hospitalier précieuse dans les conflits locaux, autant que par ses résultats dans la politique sur le statut et ses relations efficaces avec le GBS, la fédération des chambres gardait par contre 85% du total des spécialistes. Cela a entraîné un problème stratégique pour les chambres syndicales. Il est plus aisé de défendre des intérêts sectoriels que de représenter des intérêts divergents. Cet équilibre allait amener plus tard lors des restrictions financières, les dirigeants des chambres syndicales à demander à plusieurs reprises aux spécialistes, et, spécialement aux biologistes et radiologues, de céder une partie parfois importante de leurs budgets au profit de l'acte intellectuel, essentiellement à l'avantage des généralistes. C'est dans ces décisions internes que la conviction des dirigeants devait être communicative. Et la stratégie du Dr Wynen a, de ce fait, dû être fondée sur des négociations internes entre disciplines et sur des arbitrages.Une des difficultés de la stratégie du Dr Wynen résida dans son option de refuser tout ancrage dans une tendance politique, contrairement à ses partenaires dans l'AMI, les mutuelles, qui y étaient étroitement liées et les influençaient. Les chambres syndicales devaient rester apolitiques ou pluri politiques mais ne devaient se lier à aucun Parti. Elles participaient à la politique de santé au travers des multiples organes consultatifs ou paritaires mais les appuis ou rejets des partis devaient rester ponctuels selon les politiques des uns ou des autres sur chaque sujet. Wynen se méfiait de toute stratégie d'entrisme. Il aurait pu faire sienne la loi attribuée à Strauss-Kahn : "quand tout corps est plongé dans un bocal de cornichons, il devient un cornichon". Si on ajoute que les syndicats s'insèrent également dans le réseau de piliers des partis politiques, on réalise la gageure que représentait la position de Wynen de miser sur un paritarisme dans le déséquilibre d'une particratie. Cela devait se traduire par une certaine faiblesse, compensée par les rapprochements individuels au gré des circonstances. Par ailleurs, la mouvance libérale et le MR étant moins lié à une mutuelle et à un syndicat, une relation objective pouvait d'autant plus facilement se dessiner que les objectifs politiques semblaient plus compatibles. Une des institutions que Wynen a créée, Cobeprivé, a cependant dérogé progressivement à cette vision d'isolement. Dès la création du CWES (Conseil wallon des établissements de soins), les représentants hospitaliers durent être présentés par les partis politiques et ceux de Cobeprivé le furent par le MR. Les relations furent ainsi imposées par le fonctionnement même de la particratie wallonne, donnant d'ailleurs à Cobeprivé un poids d'autant plus grandissant que dirigeants et cadres y maîtrisaient parfaitement la complexité technique de leur domaine, apportant au Parti une expertise utile.Des médias ont tenté de présenter Wynen comme l'imprécateur du monde de la Santé. Sa guerre était une croisade pour l'éthique qui fondait ses positions, suscitant un choix entre des valeurs différentes. Le conflit sur le ticket modérateur est exemplatif à cet égard. Wynen considérait que la médecine gratuite provoquait des abus et à terme sa faillite, au détriment de tous les citoyens. C'est pour cela qu'une franchise ou un ticket modérateur était à ses yeux indispensable, quoique modulé en fonction des revenus du patient pour ne pas affecter l'accessibilité aux soins. C'est dans cette vision que les accords tarifaires ne devaient s'appliquer qu'aux patients à revenus modestes. Politiciens et mutuelles ont gauchi le principe en l'appliquant à tous les citoyens aux revenus annuels imposables de 67.656 euros par ménage soit environ 90.000 bruts (7.500 euros par mois, ce qui n'est pas le revenu moyen, et encore moins un revenu modeste). L'engagement des médecins devenait ainsi universel, et cela sans réaction des chambres syndicales, l'honoraire vrai devenant une exception dérogatoire baptisée supplément conditionnel destiné à disparaitre. Le réalisme allait contraindre à donner au TM moins une fonction modératrice que celle de cofinancement de l'AMI par le budget des ménages. Et les événements allaient donner raison à Wynen. Pour maintenir le bénéfice tarifaire aux patients les plus aisés, le gouvernement a réduit le remboursement des antibiotiques à tous, y compris aux malades qui renonçaient déjà à acheter leurs médicaments indispensables.Le Dr Wynen sut que les grands principes se gagnent par des victoires sur le terrain. La stratégie appliquée dans le long conflit sur le statut des médecins hospitaliers est exemplative. Les organisations patronales d'hôpitaux ne voulaient pas entendre parler d'une participation de représentants élus des staffs médicaux au pouvoir de gestion et réagissaient comme des patrons d'avant Quaregnon. Sur le terrain toutefois, les gestionnaires étaient confrontés à des difficultés financières et réalisaient que les médecins représentaient la raison d'être et la clef du bon fonctionnement de l'hôpital. C'est donc au cours de conflits locaux et à l'issue d'épreuves de force répétées combinant actions des staffs locaux et négociations de la chambre syndicale les assistant, que de nombreux hôpitaux associèrent successivement les médecins à leurs responsabilités et reconnurent des statuts convenables aux médecins dont ils voulaient faire des cadres à l'origine. Après 20 ans de tractations, quand la loi fut négociée, la plupart des hôpitaux avaient un conseil médical effectif et un certain nombre avec des attributions dépassant celles acceptées dans le compromis final, mais qui furent sauvegardées.Cette stratégie implique une activité constante s'additionnant aux multiples réunions nationales et des équipes disponibles et compétentes non seulement professionnellement mais aussi sur le plan de la négociation. Elle est essentiellement fondée sur la confiance des équipes dans les négociateurs qu'ils appellent avec la certitude qu'ils ne sont pas gagnés aux thèses des gestionnaires et n'en ont pas les intérêts.Dans ses actions et négociations, Wynen veillait toujours à ne pas se mettre le dos au mur. Parfois, les textes juridiques reflètent le difficile compromis entre les volontés opposées et la nécessité de trouver la voie d'un win-win pour les interlocuteurs. Un exemple frappant se retrouve dans l'article 149 de la loi sur les hôpitaux relatif à la perception centrale des honoraires, attribuée soit au Conseil médical qui a la priorité du choix, soit à l'hôpital, mais de toute façon dans la transparence des comptes. En joueur d'échecs passionné, il s'efforçait de prévoir le coup d'après, et il attendait d'ailleurs de ses conseillers de l'aider dans cette réflexion qu'il ne considérait pas comme le monopole des grands patrons. Il considérait avec inquiétude la partition de la Belgique, contre laquelle il s'engagea en fin de vie sous la bannière du groupe Mémoire et les difficultés que provoqueraient les transferts de compétences dues à la décentralisation : le problème de maintenir le dialogue à l'AMI, la solidarité entre médecins, les places respectives des syndicats médicaux et des Mutuelles. La place des valeurs face à des évolutions de pensées et de centres d'intérêt des jeunes générations le préoccupaient comme la balkanisation de la défense médicale et la résignation qu'il croyait déceler chez certains de ses successeurs au nom du réalisme, au moment où il leur a cédé le flambeau. Lire aussi André Wynen, le géant (1) : l'indépendance.