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Vous y veniez depuis longtemps. Vous en connaissiez tous les coins et recoins. Vous vous y sentiez bien. Mais voilà, le bâtiment a quelques décennies au compteur et toutes les constructions autour respirent la modernité. Vous acceptez donc de faire appel à un architecte pour donner un coup de frais à l'ensemble. De petits travaux d'embellissement, ça ne peut pas faire de tort, pensiez-vous. Et là, l'architecte s'exclame : "Il faut tout abattre !" Pour vous, c'est la douche froide. Difficile d'avaler la pilule et, rassurez-vous, de l'administrer aussi. Mais quand il faut, il faut et rien ne sert de râler. C'est ce qu'on nous a toujours appris.Tournons donc les yeux vers le futur. Imaginons des soins de santé où il n'y aurait effectivement plus de murs, de cloisons, de cagibis et de délimitations. Un espace où les patients aux besoins similaires suivraient le même trajet de soins, indépendamment de la porte par laquelle ils sont entrés. Un monde où les prestataires de soins de tout niveau et de toute discipline collaboreraient étroitement, en n'hésitant pas à rediriger les patients si nécessaire, où la qualité des soins ne serait plus seulement décrite, mais véritablement mesurée. Un monde où les patients occuperaient enfin une place centrale, et pas seulement théoriquement, et où les services auxiliaires permettraient de gagner du temps et non d'en perdre. Enfin, un futur, où la participation des patients ne constituerait pas qu'une belle allitération, où la technologie faciliterait plutôt que de frustrer.Maintenant que vous avez pris un peu de hauteur, vos vieilles certitudes vous paraissent bien naïves. Elles vous donneraient presque le sourire. Une petit coup de frais ? Comment y avez-vous même pensé ? Ce dont nous avons besoin, ce sont de profonds travaux structurels, et ce à tous les niveaux : redessiner la loi relative aux professions des soins de santé, réformer le paysage et le financement hospitaliers, harmoniser la rationalisation interdisciplinaire, revoir l'e-santé, repenser la gouvernance, réinventer l'organisation de l'ensemble des soins de santé... Pour y arriver, nous allons devoir respirer de la poussière pendant un moment et vivre au milieu des caisses. Pas pendant quelques semaines, ni quelques mois, mais bien durant des années. Qui plus est, il faudra faire en sorte que la machine continue à tourner au beau milieu de ce chantier gigantesque. Quant au patient, celui-ci n'en a que faire des délais de livraison. Pourtant, nous n'avons pas le choix, et si l'on veut éviter les fausses notes, mieux vaut accorder nos violons. C'est aussi ce qu'on nous a toujours appris.Depuis, les premiers coups de pioche ont déjà été donnés. Comme dans chaque gros chantier, il y a déjà beaucoup de poussière, mais chacun commence à réaliser qu'il a besoin de l'autre. Les individus se rassemblent de plus en plus pour réfléchir. Les fondations commencent à prendre forme et, avec un peu de bonne volonté, de vision et d'optimisme, on peut déjà apercevoir les contours des soins de santé de demain.Et vous dans tout ça ? Vous exigez, à raison, de la cohérence de la part des architectes et des entrepreneurs, tout en réalisant que tout ne changera pas en un claquement de doigts. Vous soulignez, judicieusement, que vous avez toujours pratiquer la collaboration interdisciplinaire, mais que vous contactez de plus en plus vos collègues. Vous vous plaignez, très légitimement, des applications électroniques encore boîteuses, mais envoyez déjà toutes vos prescriptions digitalement. Vous tenez, très logiquement, à votre liberté thérapeutique, mais prescrivez aussi de plus en plus souvent des alternatives génériques. Le plus important, c'est que vous vous souciez surtout de vos patients. Tout comme hier et avanthier, tout comme demain et aprèsdemain et, indubitablement, tout comme dans quelques temps, quand la poussière sera enfin retombée.