S'autorisait-on une tribune politiquement incorrecte, inspirée par l'épidémie de grippe ? Aucune affection n'a été mieux mieux décrite que cette virose saisonnière. Fréquente, contagieuse, sa pathognomonie n'est guère mise en cause, mais tout qui se dit grippé est-il pour autant affligé de la même manière ? On a connu des présidents dont l'alitement prolongé pour une mauvaise grippe préparait l'annonce du trépas et des épouses présidentielles chez lesquelles elle masquait une bouderie. Que se dissimule-t-il donc dans la queue de la comète influenza ?

La grippe, une maladie sociétale ?

Bien utile quand elle se voit utilisée comme un terme générique, la grippe serait-elle une maladie construite utilisable dans de nombreuses situations où un diagnostic médical s'impose rapidement, sans nécessiter de justification scientifique excessive, communément admise comme ubiquitaire, bénigne et imprévisible, bref indispensable dans une société hyperorganisée où elle introduit quelques bulles de liberté ? Huile qui permet au moteur de fonctionner quand il gèle. Osons une redéfinition impertinente : grippe, nom commun, usuellement utilisé par le patient comme synonyme de maladie, pour initier une consultation médicale, motiver une interruption de travail, une annulation de voyage, une obligation professionnelle ou familiale, et repris par le corps médical devant un ensemble de symptômes indéfinis qu'il peine à caractériser. Spontanément et rapidement résolutive, elle ne nécessite guère d'investigation technique complémentaire ni de traitement, ne laisse ni trace ni preuve, survient rapidement et de manière imprévisible, frappe l'entièreté de la population sans distinction de sexe, de race, d'âge ou d'antécédents médicaux.

Elle constitue en outre un tableau nosologique universellement connu et accepté. Une variante mineure, la petite grippe, ne comporte qu'une ou deux des plaintes usuellement décrites, et peut se draper du qualificatif d'intestinale lorsque prédominent de seuls symptômes digestifs. Au contraire de sa grande soeur Influenza, cette forme mineure ne connaît ni épidémiologie ni frontières, ne répond à aucune exigence scientifique reconnue, n'est établie par aucun examen biologique ni aucune imagerie, et son diagnostic procède plus d'un accord tacite entre le patient et son médecin que d'un démarche clinique scientifique. On décrit même la situation extrême dans laquelle la quasi-totalité des signes cliniques sont absents, mais où le patient se décrit néanmoins comme malade : on conclura dans ce cas qu'il couve une grippe, dont les seuls traitement connus sont la patience et le repos. Devant tant d'atouts, force est de constater que si la grippe n'existait pas on devrait l'inventer.

Tant d'atouts, tant de pièges

Il est dès lors paradoxal que cette affection si fréquente et si utile soit redoutée par le médecin : la vraie grippe, ça trompe énormément. Diagnostic posé par exclusion, s'améliorant spontanément en quelques jours, lorsqu'elle est examinée précocement elle peut masquer des pathologies redoutables aux symptômes similaires (pneumopathie, infections bactériennes diverses, méningite débutante). Le contexte épidémiologique saisonnier constitue dans ce cas un distracteur plus qu'une aide : tout ce qui n'est pas grippe par temps de grippe a hélas toutes les malchances d'être considéré comme tel. Infortuné médecin qui examine le patient trop tôt, en absence de symptômes d'appel spécifiques. On se consolera en arguant que s'il existe des tests spécialisés permettant le diagnostic (isolement du virus, identification des anticorps), ceux-ci sont en général coûteux et inutiles. De plus si on les pratiquait de manière systématique, leur résultat arriverait après la guérison du patient et n'aurait donc pas grand intérêt. On conclura que dans ces cas précis, heureusement rares, la principale victime de la grippe est le médecin rapidement disponible, arrivé trop tôt pour pouvoir poser un diagnostic discriminant.

Dr Carl Vanwelde

S'autorisait-on une tribune politiquement incorrecte, inspirée par l'épidémie de grippe ? Aucune affection n'a été mieux mieux décrite que cette virose saisonnière. Fréquente, contagieuse, sa pathognomonie n'est guère mise en cause, mais tout qui se dit grippé est-il pour autant affligé de la même manière ? On a connu des présidents dont l'alitement prolongé pour une mauvaise grippe préparait l'annonce du trépas et des épouses présidentielles chez lesquelles elle masquait une bouderie. Que se dissimule-t-il donc dans la queue de la comète influenza ? Bien utile quand elle se voit utilisée comme un terme générique, la grippe serait-elle une maladie construite utilisable dans de nombreuses situations où un diagnostic médical s'impose rapidement, sans nécessiter de justification scientifique excessive, communément admise comme ubiquitaire, bénigne et imprévisible, bref indispensable dans une société hyperorganisée où elle introduit quelques bulles de liberté ? Huile qui permet au moteur de fonctionner quand il gèle. Osons une redéfinition impertinente : grippe, nom commun, usuellement utilisé par le patient comme synonyme de maladie, pour initier une consultation médicale, motiver une interruption de travail, une annulation de voyage, une obligation professionnelle ou familiale, et repris par le corps médical devant un ensemble de symptômes indéfinis qu'il peine à caractériser. Spontanément et rapidement résolutive, elle ne nécessite guère d'investigation technique complémentaire ni de traitement, ne laisse ni trace ni preuve, survient rapidement et de manière imprévisible, frappe l'entièreté de la population sans distinction de sexe, de race, d'âge ou d'antécédents médicaux.Elle constitue en outre un tableau nosologique universellement connu et accepté. Une variante mineure, la petite grippe, ne comporte qu'une ou deux des plaintes usuellement décrites, et peut se draper du qualificatif d'intestinale lorsque prédominent de seuls symptômes digestifs. Au contraire de sa grande soeur Influenza, cette forme mineure ne connaît ni épidémiologie ni frontières, ne répond à aucune exigence scientifique reconnue, n'est établie par aucun examen biologique ni aucune imagerie, et son diagnostic procède plus d'un accord tacite entre le patient et son médecin que d'un démarche clinique scientifique. On décrit même la situation extrême dans laquelle la quasi-totalité des signes cliniques sont absents, mais où le patient se décrit néanmoins comme malade : on conclura dans ce cas qu'il couve une grippe, dont les seuls traitement connus sont la patience et le repos. Devant tant d'atouts, force est de constater que si la grippe n'existait pas on devrait l'inventer.Il est dès lors paradoxal que cette affection si fréquente et si utile soit redoutée par le médecin : la vraie grippe, ça trompe énormément. Diagnostic posé par exclusion, s'améliorant spontanément en quelques jours, lorsqu'elle est examinée précocement elle peut masquer des pathologies redoutables aux symptômes similaires (pneumopathie, infections bactériennes diverses, méningite débutante). Le contexte épidémiologique saisonnier constitue dans ce cas un distracteur plus qu'une aide : tout ce qui n'est pas grippe par temps de grippe a hélas toutes les malchances d'être considéré comme tel. Infortuné médecin qui examine le patient trop tôt, en absence de symptômes d'appel spécifiques. On se consolera en arguant que s'il existe des tests spécialisés permettant le diagnostic (isolement du virus, identification des anticorps), ceux-ci sont en général coûteux et inutiles. De plus si on les pratiquait de manière systématique, leur résultat arriverait après la guérison du patient et n'aurait donc pas grand intérêt. On conclura que dans ces cas précis, heureusement rares, la principale victime de la grippe est le médecin rapidement disponible, arrivé trop tôt pour pouvoir poser un diagnostic discriminant.Dr Carl Vanwelde