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"Cette intervention n'est pas inédite mais elle reste rarissime dans la littérature mondiale parce qu'il faut la conjoncture de plusieurs choses : un traumatisme bilatéral au-dessus du poignet et des conditions optimales pour pouvoir faire l'intervention, précisent les Drs Olivier Delaere et Patrick Suttor qui ont pris en charge ce patient. "Ici, les délais étaient courts, les sections nettes et les segments de bonne qualité et préservés comme il faut. " Comme le patient âgé de 69 ans était physiologiquement apte à subir l'intervention, les médecins ont envisagé la replantation.La différence entre l'amputation d'un doigt et celle d'un bras, c'est que le doigt est riche en tissus graisseux, tendineux et osseux qui résistent bien à un manque d'oxygène prolongé, contrairement aux muscles dont est fait un bras. " On considère que si, dans les 6 heures, le segment n'est pas revascularisé, le risque est très élevé d'avoir des complications (syndrome de reperfusion, relargage de toxines...) ou de ne pas pouvoir faire survivre le membre. "Ce qui faisait aussi la particularité du cas, c'est qu'il fallait replanter deux segments en même temps. " Comme ce type d'intervention dure au moins cinq-six heures, on ne pouvait pas se permettre de faire les deux interventions l'une après l'autre, l'exercice imposait de faire les deux gestes simultanément. "Autre souci, il était 21h30 : il y avait un chirurgien de garde, le Dr Patrick Suttor, dans le Service de chirurgie de la main de l'hôpital de Nivelles (groupe Jolimont), mais il en fallait un deuxième et, heureusement, le Dr Olivier Delaere était disponible.La procédure qui a duré respectivement 6h30 et 7 heures a commencé par un débridement des plaies. " En macroreplantation (au dessus du poignet), on raccourcit intentionnellement un peu plus l'os, pour être en zone saine et pouvoir suturer tout le reste. Ensuite, on fixe les os de façon la plus rigide possible, puis les artères pour qu'il y ait rapidement du sang et de l'oxygène dans les tissus en souffrance. Comme la section était nette, dès que les artères ont été réparées, la main s'est recolorée assez rapidement. Puis, il a fallu suturer les veines pour que le retour veineux puisse se faire ", détaillent-ils.Une des difficultés purement pratiques était que les deux chirurgiens ne disposaient que d'un seul microscope pour réparer les vaisseaux sanguins. Ici encore, la conjoncture favorable a voulu que les deux hommes se connaissent bien (ils travaillent ensemble depuis plus de 20 ans) et se font confiance, toutes choses qui ont permis une grande complicité pour coopérer. Après cette phase délicate, ils ont procédé à la reconstruction des nerfs, tendons et muscles." Une fois le geste chirurgical posé, on surveille les toxines et la coloration des tissus, parce que le danger immédiat c'est la formation d'un caillot dans une artère ou une veine. Ce risque est important dans la première heure et puis il diminue progressivement. Au bout de cinq jours, s'il n'y a eu aucun accro, le pronostic de survie du membre est presque assuré. Mais, cette survie ne signifie pas encore le résultat final, nous devrons attendre encore des mois pour estimer la fonction ", tempèrent les Drs Delaere et Suttor.Pendant six semaines, la main et le poing doivent être immobilisés pour protéger les sutures, notamment des tendons. À partir de la troisième semaine, il y aura une kiné passive et, après la sixième semaine, elle sera plus intensive (trois à quatre fois par semaine, pendant plusieurs mois)." Les nerfs prendront beaucoup plus de temps pour récupérer parce qu'il faut que les fibres nerveuses repoussent (1 mm par jour) et fassent des connexions. Dans six à huit mois, quand elles pourront envoyer un message, le cerveau sera incapable de le comprendre. Là aussi il faudra une longue rééducation ", nuancent-ils. "C'est ce qui explique pourquoi on peut encore obtenir des améliorations jusqu'à deux ans après et pourquoi lorsqu'on répare des nerfs, on a des résultats excellents chez un enfant alors qu'ils seront beaucoup plus modérés chez les plus âgés. "La récupération nerveuse sera donc moins bonne pour ce patient, ce qui va limiter les mouvements fin de la main et sa sensibilité (elle récupère quand même une sensibilité de protection pour faire par exemple la différence entre le froid et le chaud). Il pourra cependant compter sur la vue pour compléter ce manque." Le problème pour n'importe quelle chirurgie un peu compliquée au niveau de la main, c'est que le geste chirurgical constitue plus ou moins un tiers du boulot, le deuxième tiers c'est le patient qui doit le faire et le troisième c'est le kiné. "Il ne faut cependant pas espérer une récupération supérieure à 30 à 40%, mettent en garde les chirurgiens : " Mais, entre une pince modérée au niveau de la main et l'absence de pince, il n'y a pas photo, a fortiori quand il s'agit des deux mains. C'est pour cela qu'on replante, même si on sait que le résultat ne sera pas parfait, il sera toujours supérieur à un moignon d'amputation et un bon appareillage ! "" C'est un exemple de coordination et de complicité entre tous les intervenants, depuis l'ambulancier qui a envoyé le patient vers l'hôpital le plus indiqué, jusqu'au personnel hospitalier qui a travaillé en équipe en conditions compliquées ", concluent les deux chirurgiens qui ne rencontreront probablement une telle situation qu'une fois dans leur carrière.