...

DémencePourquoi rassembler des médecins, neurologues, gériatres, épidémiologistes, psychologues, artistes, écrivains, musiciens, architectes, journalistes... venus des quatre coins du monde? Pour créer une communauté dédiée à la protection de la population vieillissante des menaces qui planent sur son cerveau et pour réduire l'impact de la démence, en particulier pour les groupes les plus fragiles. Cette communauté, l'Atlantic Fellow for Equity in Brain Health, regroupe donc un mélange de disciplines, d'expériences et de compétences au sein du Global Brain Health Institute (GBHI).Cette fondation a été créée et est financée par Chuck Feeney, un philanthrope irlando-américain qui a fait fortune grâce aux dutyfree et qui a décidé de consacrer 8 milliards de dollars à diverses causes dont le cerveau. Chaque année, cet institut invite une vingtaine de candidats à rejoindre le programme pour 6 ou 12 mois, soit à l'University of California à San Francisco (UCSF), soit au Trinity College à Dublin. Les heureux élus sont invités à se pencher chaque semaine, lors de cours ou de travaux pratiques, sur un sujet en neurosciences, statistiques, économie, éthique, leadership, politique publique...Après cet entraînement inédit, chaque participant retourne chez lui pour appliquer les nouvelles connaissances acquises et développer ses projets. Pour ce faire, chacun bénéficie de l'aide d'un mentor et peut compter sur le réseau international qu'il s'est ainsi constitué. La Fondation compte financer ce projet pendant 20 ans et former 600 personnes.Le Dr Sandra Higuet, chef du service de gériatrie du CHU Charleroi, a ainsi fait partie de la deuxième cohorte (2017-2018) du GBHI. " Je suis partie six mois, de janvier à juin 2018, explique-t-elle. J'étais basée à Dublin, mais nous avons aussi été rencontrer l'autre groupe à San Francisco, nous avons participé au congrès de l'AAIC sur l'Alzheimer à Chicago, et nous avons organisé un congrès avec l'organisation Alzheimer à Buenos Aires en Argentine en avril où tout le groupe a présenté des exposés et des posters. Nous avions tous un projet à défendre avec une subvention à la clé. L'année dernière une Française a par exemple reçu un budget pour traduire un livre de vulgarisation sur le cerveau pour les écoles, parce que la prévention doit commencer très tôt. "Une partie du programme permet d'enrichir son expérience clinique: " Comme je suis impliquée dans la clinique de la mémoire au sein de l'hôpital de jour du CHU, je voulais voir les pratiques à Dublin et à San Francisco. Je suis allée un mois au Memory & Aging Center (Mac) de l'UCSF, qui est très impressionnant: c'est presque le Disneyland de la neurologie! Il y a 20 spécialistes pour un patient, pendant une journée! Pédagogiquement, c'est extraordinaire, mais c'est intransposable chez nous. L'exemple irlandais est plus proche de ma pratique. "Suite à sa participation au GBHI, Sandra Higuet a réalisé qu'elle faisait partie d'une communauté qui partage sa passion et qui comprend le défi posé par la stigmatisation de la démence. " Ses membres reconnaissent la nécessité de protéger les populations vulnérables et d'améliorer leur qualité de vie et celle des familles et des soignants. Ils comprennent également l'importance de faire croître l'espoir concernant la gestion de la démence. C'est la raison pour laquelle je m'intéresse à l'éducation, à la prévention et à la détection précoce de la démence et des troubles cognitifs. "Voilà pourquoi la gériatre aimerait développer un centre de la mémoire intégré dans le CHU pour les patients souffrant de troubles cognitifs et de démence et introduire leur dépistage systématique dans les unités de soins aigus en Belgique.Tout ceci exige un changement de mentalité: " Les gens doivent savoir qu'il y a des choses à faire. Dans un pays comme l'Irlande, ils ont réussi à combattre cette stigmatisation et tout le monde veut faire de la gériatrie, alors que chez nous, elle n'intéresse pas grand monde, même s'il y a une pénurie de gériatres. Comment convaincre les jeunes? Comment changer la politique?", s'interroge-t-elle. "La gériatrie a une image négative alors qu'il faudrait avoir une vision positive du patient âgé."" Le GBHI c'est une porte ouverte sur le monde. Je suis revenue avec plein d'idées pas nécessairement très chères à mettre en oeuvre. " La gériatre aimerait ainsi faire de l'hôpital de jour un 'centre du vieillissement réussi' qui prend tout en charge, depuis le diagnostic des troubles de la mémoire jusqu'au soutien médico-psychosocial, pour retarder l'institutionnalisation et diminuer la dépression des aidants. " Je fais cela depuis dix ans déjà, mais il faut des accélérateurs sur le plan de la communication et des soutiens pour faire connaître cette possibilité."Le Dr Higuet déplore par exemple l'absence de développement concret du plan Alzheimer en Belgique: " J'ai l'impression que ce n'est pas une priorité, alors que dans d'autres pays qui ont moins de moyens, c'en est une. Il faut se rendre compte que les coûts de la démence, c'est 1% du PIB mondial, soit 188 milliards de dépenses, plus que le cancer et les malades vasculaires aiguës, la prévention serait plus rentable. "L'Irlande qui a développé le Medex (medecine exercice) pour retarder le début des symptômes est une grande source d'inspiration: " Tout patient qui présente un début de démence suit un programme actif d'exercices (3 × 30 minutes de gym/semaine), combiné à une alimentation à base d'oméga 3 et de poisson et à des entraînements cognitifs. Je compte développer cela ici, à la clinique de la mémoire: faire entrer des patients qui ont un trouble débutant dans un programme (exercices, entraînement cognitif, éviter l'isolement social, garder une bonne audition et vision...) qui n'est pas cher à installer, qui n'est pas révolutionnaire mais qui a fait ses preuves."Cette immersion au milieu de pairs réunis autour du thème de la démence a renforcé l'enthousiasme de Sandra Higuet et l'a confortée dans l'idée que l'on peut réagir et avancer dans un domaine réputé difficile, comme la démence et les personnes âgées. Aujourd'hui, ses efforts s'articulent autour de la déstigmatisation et de la prévention en enrôlant des patients dans ce type de programme sportif, éducationnel et cognitif, et en faisant connaître les cliniques de la mémoire.Souhaitons lui de pouvoir transmettre cet enthousiasme au milieu médical, aux décideurs politiques et à la population.Martine VersonneGBHI.org