Le protoxyde d'azote n'est plus l'apanage des anesthésistes. Disponible dans n'importe quel supermarché sous forme de bombonne, ce gaz est utilisé pour son effet euphorisant, majoritairement par les jeunes. Professionnels de la santé et politiques s'inquiètent de ce phénomène.
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Il s'agit d'une drogue en vogue chez les écoliers et étudiants : le protoxyde d'azote, aussi communément appelé gaz hilarant par ceux qui le consomment. Légales et au prix modique d'un euro, les bombonnes de protoxyde d'azote utilisées comme cartouche de siphon à chantilly sont détournées de leur fonction première pour provoquer chez le consommateur une sensation de bien-être et des fous rires.Au cours des derniers mois, plusieurs associations et organismes de santé ont noté une hausse des traces de consommation récréative du gaz hilarant dans les espaces publics. Dans certaines villes, il n'est plus rare de retrouver des bombonnes de gaz vides le long des trottoirs. Selon l'asbl Eurotox, observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles, il est cependant difficile d'évaluer l'ampleur du phénomène : " On a peu d'informations sur l'étendue de la situation. Les outils épidémiologiques sont peu adaptés et il est donc difficile de dire s'il existe une augmentation importante de la consommation récréative du protoxyde d'azote. "La consommation de gaz hilarant n'est pas sans risques. De nombreux professionnels de la santé et associations mettent les consommateurs en garde contre cette utilisation. Perte de connaissance, risque d'hypoxie, endommagement du système nerveux...les dangers sont multiples.Face à ces risques, les autorités commencent à prendre des mesures. À Malines, les autorités ont d'ores et déjà interdit la consommation de ce gaz dans les espaces publics. Pour l'asbl Fedito Bxl qui agit pour l'information et la prévention relatives à la consommation de substances psychoactives, ces interdictions ne sont pas la solution. " C'est une fuite en avant (...) Ce n'est pas en posant un nouvel interdit que l'on va régler les risques sanitaires (...) Prohiber le produit n'a pas de sens. " Une opinion partagée par l'asbl Eurotox. " Il faudrait plutôt s'interroger sur les raisons de cette consommation, informer les citoyens sur les risques liés à cette consommation et sur la marche à suivre pour les réduire un maximum. "Le Dr Matthieu Clanet, anesthésiste à l'hôpital Delta, connaît bien ce gaz, qu'il utilise de manière quotidienne lors de ses opérations. Si la consommation récréative du protoxyde d'azote comme effet euphorisant devient moins courante au cours des 19 et 20e siècles, " elle réapparait dans les années 80 aux États-Unis et dans les années 2000 en Europe ", détaille le médecin.Eurotox, comme de nombreux médecins et organisations de santé, tient à alerter les citoyens sur les risques liés à cette consommation : " L'administration même du produit peut présenter un risque ", explique Eurotox. Le gaz hilarant est souvent consommé après l'avoir transféré dans un ballon de baudruche. Cette manoeuvre permet de réchauffer le gaz, conservé à basse température dans les petites bombonnes. " S'il est consommé directement sur la bombonne, il existe un risque d'engelure et d'embolie pulmonaire ", développe Eurotox. Les risques liés à la consommation du gaz hilarant ne s'arrêtent pas là. " Les personnes consommant le gaz hilarant peuvent perdre conscience sur une courte durée ", ajoute le Dr Matthieu Clanet. " Il existe alors un risque de chute grave. " Ce danger peut être " amplifié si le gaz est consommé en parallèle avec de l'alcool ". À cela s'ajoute un autre risque. " Le protoxyde d'azote présent dans les bombonnes achetées en magasin est pur ", affirme le docteur. Il n'est pas mélangé avec de l'oxygène. " Il existe alors un risque d'hypoxie, menant à une souffrance des cellules en manque d'oxygène. "Le gaz hilarant présente également des risques chroniques s'il est consommé de manière répétée. Maux de têtes, vertiges et troubles du rythme cardiaque peuvent apparaître. Plusieurs études scientifiques ont également mis en évidence un rôle néfaste du protoxyde d'azote sur le système nerveux. " Ce gaz a pour effet d'inactiver la vitamine B12 via l'oxydation de ses ions cobalt. Cette inactivation empêche cette vitamine de se lier à l'enzyme méthionine synthétase. En cascade, ce phénomène aboutit à une démyélinisation de la gaine de myéline et à une sclérose combinée de la moelle osseuse ", détaille le docteur Clanet. C'est ce processus biologique qui explique l'engourdissement et la perte de sensibilité des membres de plusieurs patients ayant consommé une grande quantité de gaz hilarant. Le développement d'une anémie mégaloblastique est un autre problème lié à cette inactivation de la vitamine B12 : les globules rouges sont trop gros et trop peu nombreux. Résultat, l'organisme a des difficultés à approvisionner ses cellules en oxygène.Plusieurs patients ayant connu une perte de sensibilité au niveau de leur membre suite à une consommation répétée de gaz hilarant ont pu être soignés via une administration régulière de vitamine B12. " Cette perte de sensibilité peut être irréversible si le patient n'est pas traité à temps ", prévient le Dr Matthieu Clanet.