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Plus on approche des hautes sphères, et moins il y a de femmes. Une vérité qui se retrouve en sciences. On ne dénombre par exemple que 3 % de prix Nobel féminins dans le domaine. Il n'y a eu que 18 récompenses féminines depuis 1901, dont trois sont entre les mains de Marie Curie et de sa fille Irène Joliot-Curie." C'est en partant de ce constat qu'il y a bientôt 20 ans, L'Oréal a pensé à mettre de grandes femmes scientifiques à l'honneur avec le prix For Women in Science. Les bourses nationales, d'une valeur de 60.000 euros, aident depuis 10 ans maintenant les jeunes chercheuses à entamer leur doctorat ", explique Brigitte Bekaert, directrice de la communication chez L'Oréal. "Le but est d'en faire des modèles pour les jeunes générations. "Le Jury, présidé par le Pr Christine Van Broeckhoven, lauréate 2006 pour l'Europe, est composé de scientifiques qui représentent les commissions nationales de l'Unesco, du FNRS et du FWO. Ils ont décidé de mettre à l'honneur le Dr Emmanuelle Wilhelm pour ses recherches sur le contrôle de l'inhibition motrice menée au Cognition and Actions Lab du Pr Julie Duqué, au sein de l'Institut des neurosciences de l'Université Catholique de Louvain (UCL)." Un des grands thèmes de recherche de notre laboratoire, c'est le contrôle de l'inhibition motrice, donc l'initiation du mouvement et son contrôle ", commente la doctorante. " Certains mécanismes neurophysiologiques ont déjà été découverts. Ce qui n'a pas encore été investigué, c'est le rôle et le contrôle des ganglions de la base dans ces mécanismes. "L'idée est donc de travailler avec des patients parkinsoniens qui ont subi un traitement neurochirurgical de DBS (Deep brain stimulation). Pourquoi cette population de patients ? " Parce que chez eux, on a la capacité d'influencer le fonctionnement du noyau sous-thalamique ", répond le Dr Wilhelm. " C'est justement le rôle de ce dernier que nous cherchons à investiguer dans le cadre de ces mécanismes qui contrôlent notre motricité au quotidien. "Au final, à quoi cela mène-t-il ? D'abord, à une meilleure compréhension des mécanismes du contrôle moteur. Ce qui permettra ensuite d'extrapoler les résultats pour tous les patients qui souffrent d'un trouble du contrôle moteur (addiction, impulsivité, ADHD).Si la recherche fondamentale occupe l'esprit de la lauréate, elle n'en oublie pas pour autant le patient. " La clinique est pour moi une priorité. Je me rends compte à quel point c'est un plaisir de voir les patients. C'est indispensable. La recherche et la clinique vont main dans la main. Je ne pourrais pas simplement appliquer les découvertes des autres, et c'est pourquoi j'ai décidé de m'impliquer dans la recherche. Si je ne faisais que de la clinique, je me sentirai passive. J'ai besoin d'être proactive. Maintenant, j'ai besoin de voir les patients pour trouver la motivation de faire la recherche. C'est une évidence pour moi que l'un doit nourrir l'autre. "Si le Dr Wilhelm a posé sa candidature, par l'entremise du FNRS, à ce prix, c'est pour gagner en visibilité. " Le manque de visibilité est le grand problème de la recherche à mes yeux. Le pont entre les labos et le grand public est inexistant. Il y a peu de vulgarisation des projets de recherche fondamentale. Il est très difficile d'intéresser le grand public. C'est un fait beaucoup discuté dans le labo. D'autres post-doctorantes ont le même souci de visibilité et désirent faire des conférences et amener leur recherche au grand public. C'est dans cette optique que j'étais d'accord de postuler pour ce prix. "Et d'ajouter : " Peu de médecins font des thèses. Je trouve ça dommage. Sur les 380 élèves de mon auditoire, nous étions deux à partir en thèse, et je me retrouve seule à continuer désormais. Il faut motiver les médecins à faire de la recherche. Il est fondamental de retrouver 50 % de médecins dans les labos, justement pour cette ouverture avec le grand public, par le biais des patients. "En recherche médicale, malheureusement, un autre problème se pose : le temps. De nombreux médecins sont en effet trop débordés par le travail à l'hôpital que pour consacrer du temps à la recherche. La seule chose qu'ils arrivent parfois à fournir à la recherche, ce sont des patients. " Les universités belges poussent les médecins à faire de la recherche mais ne leur donnent pas le temps ", admet la neurologue. " C'est un grand souci, qui pourrait me pousser à partir. Le statut de médecin chercheur n'est pas suffisamment bien organisé en Belgique. Certains galèrent à cause de leur pratique clinique débordante et de la pression que l'on met sur leurs épaules pour publier des articles. Mais ils ne disposent pas du temps nécessaire. "Il est bon de récompenser nos talents, mais encore faut-il savoir les garder par la suite.