On dirait un dimanche, et ce n'est pas un dimanche. Il manque ce minime quelque chose qui fait la normalité d'une journée, et paradoxalement nous rassure : le confort d'être sur ses rails. Davantage que la surcharge de travail, l'incertitude est anxiogène. Depuis une semaine, il ne s'est pas passé une journée sans qu'on ait dû réviser ce qui avait été dit la veille, pas une procédure qui ne fut remplacée par une autre, pas un pronostic aussitôt battu en brèche. La figure rassurante du médecin de famille demeure, mais d'où lui viennent alors ses rêves inhabituellement agités, ses doutes quant aux consignes qu'il a transmises et aussitôt démenties ? D'où sourd cette peur, jamais connue, d'être du lot des patients sains la veille et sous respirateur le lendemain ? Les images de Bergame (Italie), découvertes ce soir au JT, des longs convois mortuaires de camions militaires acheminant les morts anonymes privés de funérailles m'ont glacé le sang: tout ça pour ça? Tant de bienveillance médicale, durant tant d'années, pour aboutir en quelques jours sous une bâche kaki dans un incinérateur éloigné de votre village. Il faut pourtant continuer à y croire, réinventer le sens de notre activité quotidienne, avec cette valeur ajoutée que nous sommes - médecins et patients - sur le même pied, partageant les mêmes angoisses, les mêmes insomnies, la même peur de finir dans un camion militaire, tout nus car les croque-morts n'osent nous toucher pour une toilette funéraire, sans famille pour nous pleurer ou jeter un dernier bouquet dans la tombe. Rester humble, vivre simplement, avoir du respect en toutes circonstances, demeurerait-il la manière la plus facile d'affronter les problèmes au quotidien ?

MG à Anderlecht, enseignant à l'UCL, le Dr Carl Vanwelde, poursuit sa série hébdomadaire "tombé de la trousse" sur les petites choses mais tellement importantes du vécu de la médecine de première ligne.

On dirait un dimanche, et ce n'est pas un dimanche. Il manque ce minime quelque chose qui fait la normalité d'une journée, et paradoxalement nous rassure : le confort d'être sur ses rails. Davantage que la surcharge de travail, l'incertitude est anxiogène. Depuis une semaine, il ne s'est pas passé une journée sans qu'on ait dû réviser ce qui avait été dit la veille, pas une procédure qui ne fut remplacée par une autre, pas un pronostic aussitôt battu en brèche. La figure rassurante du médecin de famille demeure, mais d'où lui viennent alors ses rêves inhabituellement agités, ses doutes quant aux consignes qu'il a transmises et aussitôt démenties ? D'où sourd cette peur, jamais connue, d'être du lot des patients sains la veille et sous respirateur le lendemain ? Les images de Bergame (Italie), découvertes ce soir au JT, des longs convois mortuaires de camions militaires acheminant les morts anonymes privés de funérailles m'ont glacé le sang: tout ça pour ça? Tant de bienveillance médicale, durant tant d'années, pour aboutir en quelques jours sous une bâche kaki dans un incinérateur éloigné de votre village. Il faut pourtant continuer à y croire, réinventer le sens de notre activité quotidienne, avec cette valeur ajoutée que nous sommes - médecins et patients - sur le même pied, partageant les mêmes angoisses, les mêmes insomnies, la même peur de finir dans un camion militaire, tout nus car les croque-morts n'osent nous toucher pour une toilette funéraire, sans famille pour nous pleurer ou jeter un dernier bouquet dans la tombe. Rester humble, vivre simplement, avoir du respect en toutes circonstances, demeurerait-il la manière la plus facile d'affronter les problèmes au quotidien ?