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Il ne se passe de semaine sans que soit évoquée l'utilisation de robots compagnons sociaux en maison de soins, à l'hôpital ou à l'accueil d'hôtels branchés. La pandémie a accéléré le rythme de leur déploiement, à la fois en raison de carences en personnel et d'indispensable distanciation sociale. S'y ajoute la solitude d'une population vieillissante, véritable risque pour la santé. Qu'ils s'appellent Joy, Ludwig ou Stevie, de nombreuses initiatives de mise à disposition de robots sociaux impliqués dans les soins aux personnes âgées ont vu le jour ces dernières années, suscitant l'étonnement, le scepticisme ou une appréciation critique devant ce qui peut apparaître pour un recul de la solidarité humaine. Substituer une créature mécanique dotée d'intelligence artificielle à une véritable relation humaine interpersonnelle constitue-t-il une réponse adaptée à la solitude de nos aînés ?L'évaluation de ces expériences surprend néanmoins par le bénéfice observé. Un grand nombre de personnes seules avec des animaux de compagnie robotiques à fourrure, souriants, réagissant aux demandes, de taille humaine, signalent systématiquement une amélioration de leur bien-être. Ils comprennent que cet étrange compagnon est un robot, mais trouvent leur présence relaxante.Il n'est pas surprenant que la relation avec les robots sociaux suscite la controverse, allant du refus catégorique à l'acceptation optimiste. L'attitude négative est facile à comprendre, arguant que tout ceci n'est simplement pas réel. Les animaux de compagnie robotiques ne sont pas de vrais animaux de compagnie, on crée une illusion de relation là où il n'y a qu'une programmation. Et tenter d'atténuer les difficultés des personnes âgées solitaires avec des robots ne serait qu'un leurre, soustrayant à leur responsabilité la société et leurs proches.Une autre manière d'aborder le sujet est évoquée dans le livre de Kate Darling, The New Breed[i], suggérant d'examiner notre relation avec les robots à la lumière de notre relation avec les animaux de compagnie. L'argument est clair : lorsque nous observons des personnes âgées communiquant avec des compagnons animaux (des vrais cette fois), il est évident que ces derniers ne sont pas humains et que la relation établie n'est pas du même type qu'une relation avec un autre être humain. Malgré cela, il est également clair qu'avoir un animal de compagnie bien-aimé fait du bien aux personnes âgées. Cela améliore la qualité de leur vie, et personne ne songerait jamais à suggérer de les retirer sous prétexte qu'un chat n'est pas un être humain. Nous ne craignons pas que ces animaux de compagnie remplacent les futures relations humaines, nous les considérons comme complémentaires. Nous pouvons les anthropomorphiser dans une certaine mesure, et nous pouvons également faire de même avec nos compagnons robots, mais nous ne les confondrons jamais avec un véritable humain.Opposer la réalité des vrais animaux de compagnie à l'irréalité de leurs homologues robotiques ne justifie pas qu'on les exclue. Pour un grand nombre de seniors, avoir un véritable animal de compagnie n'est pas une option. Ils peuvent avoir une mobilité limitée, ne leur permettant pas de sortir un chien plusieurs fois par jour ou de nettoyer la litière du chat. Peut-être ne peuvent-ils pas assumer la responsabilité ou le fardeau financier d'un animal vivant. Mais ils apprécient la présence de créatures à fourrure réalistes, réagissant à leur routine quotidienne tout en leur offrant des interactions bénéfiques et une aide précieuse dans des tâches parfois impossibles (ramasser un objet sur le sol, apporter un aliment, un journal, une boisson, assurer une surveillance). Et si parfois l'intervention d'un humanoïde se révélait supérieure à celle de l'humain ? On bénéficie tous de l'accompagnement sur la route de nos GPS, infiniment plus patients que les meilleurs des copilotes. Des enfants impliqués dans des thérapies des troubles du spectre autistique présentent parfois de sérieuses difficultés à maintenir les interactions humaines, dans la mesure où ces thérapies sont répétitives et impliquent de dire constamment aux enfants ce qu'ils font de mal. Inversant la relation, le laboratoire Scarz a eu l'idée d'utiliser Ellie, un robot faisant à plusieurs reprises des erreurs sociales. Au lieu qu'un adulte dise aux enfants ce qu'ils font de mal, les enfants doivent apprendre à Ellie ce qu'elle doit faire, offrant une manière différente de maîtriser de nouveaux comportements et corriger un certain nombre d'erreurs sociales, comme éviter le contact visuel, interrompre celui qui parle, etc. Cela ne pourrait évidemment pas se faire avec la zoothérapie : aucun animal ne serait capable de modéliser ces situations sociales. Et peut-être pas non plus avec des humains. Les chercheurs ont essayé de le faire, invitant des acteurs bienveillants à commettre des erreurs que les enfants corrigeraient. Mais les mêmes enfants qui étaient heureux d'interagir avec le robot Ellie ont refusé d'interagir avec une gentille dame, trop clairvoyants peut-être devant une situation construite, ou trop découragés pour interagir avec une personne réelle.Trêve de peurs fantasmées, l'apparition d'humanoïdes dans nos maisons de repos et espaces de soins, ou au domicile de nos seniors isolés n'est pas Star Wars. Comme l'ajout d'animaux à un certain nombre de thérapies a fourni des avantages que les thérapeutes humains ne pouvaient pas obtenir, il semble en être de même pour l'ajout de robots à certains accompagnements : ils peuvent fournir une assistance que ni les humains ni les animaux domestiques ne peuvent offrir, alors pourquoi s'en priver ?[i] Kate Darling The New Breed: What Our History with Animals Reveals about Our Future with Robots . Henry Holt and Co. April 20, 2021. 336 pages