Il existe dans la collégiale Saint Guidon un endroit secret, la chambre de la Recluse. Réduit sombre de la taille d'une cellule de prison, percé de deux minimes ouvertures donnant sur le choeur et sur l'église, il n'est éclairé que par la seule lueur d'un vitrail situé dans leur axe. Habité jadis de manière permanente par plusieurs béguines se succédant, l'endroit fascine encore ceux qui en connaissent l'existence.

A un vol d'oiseau, avatar récent de ces ermites d'église du Moyen Age, se terrent les reclus du Covid. Patients jadis modèles, je ne les soigne plus guère que par courrier électronique, leur téléphonant les jours où mon inquiétude devient trop forte. J'éprouve pour eux une réelle sympathie, effaré par le cauchemar qu'ils vivent, sans possibilité réelle de les aider. On a coutume d'agréger en une seule communauté libertaire les non-vaccinés, occupant le terrain des réseaux sociaux et des médias, revendicateurs, joyeux et bruyants. Les reclus n'y appartiennent guère, silencieux, apeurés, vaguement honteux de leur infortune, écartelés entre deux peurs : celle du Covid, et pire encore celle du vaccin. Comment choisir entre Charybde et Scylla, si ce n'est en ne quittant plus son domicile et en ne voyant personne ?

Quand l'obscurité devient un choix

Comme le décrit bien le philosophe Alain Badiou dans un texte inspiré de l'Allégorie de la Caverne de Platon, survivre peut consister à choisir volontairement un lieu assigné, absolument clos sur lui-même, où règne une fausse lumière et où l'obscurité est la loi, dans une véritable aliénation de leur existence, de la vie réelle. " Imaginez une gigantesque salle de cinéma, comble, et un écran qui monte jusqu'au plafond dans une obscurité complète. À l'arrière, une passerelle de bois où circulent toutes sortes d'automates, de poupées, de silhouettes en carton, de marionnettes, tenus et animés par d'invisibles montreurs. Passent et repassent ainsi des animaux, des brancardiers, des porteurs de faux, des voitures, des cigognes, des gens quelconques. Sur l'écran on voit les ombres que les projecteurs découpent dans ce carnaval incertain et dans les écouteurs on entend bruits et paroles. Aucune autre perception du visible que la médiation des ombres et celle des ondes. Quand ils discutent entre eux, les spectateurs attribuent le même nom à l'ombre qu'ils voient qu'à l'objet qu'ils ne voient pas. " Vivant en permanence dans des apparences qui sont imposées ou même fabriquées du dehors, ils en arrivent à penser que c'est la réalité.

Une lente mort sociale

Le Covid aurait-il emporté Aloïs ? La mort sociale est une mort comme une autre, pire peut-être. Les yeux rivés à son écran comme dans le récit d'Alain Badiou, depuis un an et demi Aloïs ne perçoit plus que l'ombre des choses réelles, et des récits animés par d'invisibles montreurs. Régulièrement, je reçois de lui des messages anxiogènes, y a-t-il du neuf, quand sortirons-nous, peut-on déjà se faire vacciner en Belgique par le Sinovac, réputé efficace et inoffensif, que pensez-vous des puces dissimulées dans le vaccin BioNTech ? Toutes ses recherches sur Internet utilisent des mots clés habités par la peur - Pfizer et stérilité, ARN-messager et paralysie, troubles mentaux et Comirnaty, qui lui ramènent dans les filets une moisson d'informations biaisées plus effrayantes les unes que les autres. Mais acceptées comme une réalité puisque c'est sur Internet.

La peur de la sortie

Je perçois une crainte sourde, plus forte encore que celle du vaccin ou de la maladie : celle d'un hypothétique retour à la normale, le jour où sous la contrainte il aura accepté de se faire vacciner, ou quand la pandémie se sera éteinte. Des yeux si longtemps accoutumés à l'ombre résisteront-ils à la lumière du jour, et comment tisser de nouveaux liens sociaux après une si longue solitude ? Dans les innombrables symptômes provoqués par le virus Corona, il ne faudra pas oublier un des plus sournois : le syndrome du reclus.

Il existe dans la collégiale Saint Guidon un endroit secret, la chambre de la Recluse. Réduit sombre de la taille d'une cellule de prison, percé de deux minimes ouvertures donnant sur le choeur et sur l'église, il n'est éclairé que par la seule lueur d'un vitrail situé dans leur axe. Habité jadis de manière permanente par plusieurs béguines se succédant, l'endroit fascine encore ceux qui en connaissent l'existence.A un vol d'oiseau, avatar récent de ces ermites d'église du Moyen Age, se terrent les reclus du Covid. Patients jadis modèles, je ne les soigne plus guère que par courrier électronique, leur téléphonant les jours où mon inquiétude devient trop forte. J'éprouve pour eux une réelle sympathie, effaré par le cauchemar qu'ils vivent, sans possibilité réelle de les aider. On a coutume d'agréger en une seule communauté libertaire les non-vaccinés, occupant le terrain des réseaux sociaux et des médias, revendicateurs, joyeux et bruyants. Les reclus n'y appartiennent guère, silencieux, apeurés, vaguement honteux de leur infortune, écartelés entre deux peurs : celle du Covid, et pire encore celle du vaccin. Comment choisir entre Charybde et Scylla, si ce n'est en ne quittant plus son domicile et en ne voyant personne ?Comme le décrit bien le philosophe Alain Badiou dans un texte inspiré de l'Allégorie de la Caverne de Platon, survivre peut consister à choisir volontairement un lieu assigné, absolument clos sur lui-même, où règne une fausse lumière et où l'obscurité est la loi, dans une véritable aliénation de leur existence, de la vie réelle. " Imaginez une gigantesque salle de cinéma, comble, et un écran qui monte jusqu'au plafond dans une obscurité complète. À l'arrière, une passerelle de bois où circulent toutes sortes d'automates, de poupées, de silhouettes en carton, de marionnettes, tenus et animés par d'invisibles montreurs. Passent et repassent ainsi des animaux, des brancardiers, des porteurs de faux, des voitures, des cigognes, des gens quelconques. Sur l'écran on voit les ombres que les projecteurs découpent dans ce carnaval incertain et dans les écouteurs on entend bruits et paroles. Aucune autre perception du visible que la médiation des ombres et celle des ondes. Quand ils discutent entre eux, les spectateurs attribuent le même nom à l'ombre qu'ils voient qu'à l'objet qu'ils ne voient pas. " Vivant en permanence dans des apparences qui sont imposées ou même fabriquées du dehors, ils en arrivent à penser que c'est la réalité.Le Covid aurait-il emporté Aloïs ? La mort sociale est une mort comme une autre, pire peut-être. Les yeux rivés à son écran comme dans le récit d'Alain Badiou, depuis un an et demi Aloïs ne perçoit plus que l'ombre des choses réelles, et des récits animés par d'invisibles montreurs. Régulièrement, je reçois de lui des messages anxiogènes, y a-t-il du neuf, quand sortirons-nous, peut-on déjà se faire vacciner en Belgique par le Sinovac, réputé efficace et inoffensif, que pensez-vous des puces dissimulées dans le vaccin BioNTech ? Toutes ses recherches sur Internet utilisent des mots clés habités par la peur - Pfizer et stérilité, ARN-messager et paralysie, troubles mentaux et Comirnaty, qui lui ramènent dans les filets une moisson d'informations biaisées plus effrayantes les unes que les autres. Mais acceptées comme une réalité puisque c'est sur Internet.Je perçois une crainte sourde, plus forte encore que celle du vaccin ou de la maladie : celle d'un hypothétique retour à la normale, le jour où sous la contrainte il aura accepté de se faire vacciner, ou quand la pandémie se sera éteinte. Des yeux si longtemps accoutumés à l'ombre résisteront-ils à la lumière du jour, et comment tisser de nouveaux liens sociaux après une si longue solitude ? Dans les innombrables symptômes provoqués par le virus Corona, il ne faudra pas oublier un des plus sournois : le syndrome du reclus.