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Gabriel a jeté son cartable sans ménagement et dévalé les escaliers pour se jeter dans les bras de sa grand-mère. Hors de souffle et hors de lui, il revient de la maison de repos où son grand-père adoré a été admis le mois passé. Il est entré libre, et aujourd'hui se retrouve entravé au fauteuil par des menottes en velcro. Le problème ? " Ils ", c'est moi. Pour parer aux chutes, imprévisibles et répétées, j'ai signé une autorisation de contention, le jour au fauteuil, la nuit au lit, et je le vis mal. J'en ai signé sans doute des dizaines, alors pourquoi ce malaise tardif ? La semaine passée, c'était une interdiction de visite à une patiente institutionnalisée qui fuguait quand son compagnon venait la voir. Ou encore, le certificat exigé à un abstinent pour accéder à un emploi. Et avant cela, que de prescriptions de neuroleptiques aux agités, de constats de coups et blessures réels, mais établis sur la seule foi d'un conjoint en instance de divorce, de demandes d'attestations de bonne santé à des candidats émigrés maigres et pâles comme des tableaux de James Ensor, ... jusqu'à une suggestion d'autorisation de faire pipi entre deux voitures sur la voie publique à un patient prostatique interpellé par la maréchaussée.On en sourirait, si avec le temps la répétition de toutes ces demandes de signatures ne nous faisait prendre conscience de leur absurdité. Investis d'un pouvoir presqu'illimité sur la vie privée des patients, justifié par la nécessité de les protéger contre eux-mêmes (les chutes, les fugues), ou de protéger la société (l'autorisation de conduire un véhicule), voire de se poser en intermédiaire incontesté dans les décisions de justice (les divorces), le médecin se retrouve bien malgré lui plongé dans des décisions dont la raison médicale lui échappe. L'en libérer, ou du moins alléger sa tâche, serait un progrès.