Une détresse qui n'ose plus s'exprimer, faute d'être entendue, détruit plus qu'on le pense. Aurait-on oublié qu'un grand malheur n'est jamais une chance, et que la capacité de rebondir n'est pas donnée à tous. Il me prend l'envie d'épingler à l'entrée du cabinet un panonceau "ici on peut déposer son chagrin sans honte". On rêve de lieux où révéler sa faiblesse ne donnera lieu à aucun appel à devenir fort, où la tristesse aura le temps de mourir d'elle-même, patiemment comme le sol sèche après la pluie.

Résilience, le bonheur des forts

Osera-t-on remettre en question la résilience, ce "médicament de notre époque", ce dépassement volontaire du malheur débouchant sur une promesse d'un avenir meilleur. Les grands bouleversements, personnels ou sociétaux, vécus comme une occasion de se dépasser et de créer un homme nouveau, épuré, renforcé par l'épreuve participent au récit que font les moralistes de notre époque. Le malheur vécu comme un mérite n'est hélas qu'un leurre, et les enjeux de demain ne consolent guère de la détresse d'aujourd'hui. Bien sûr qu'il nous faudra apprendre de cette crise, refonder nos modèles, rêver d'une économie plus sociale et solidaire, ouvrir la voie à la démocratie participative, mais que faire en attendant de celui qui ne dort plus la nuit tant est grand son désarroi ? On en arriverait à nier la brutalité et le côté inexplicable des vraies grandes catastrophes qui nous frappent, attribuant une double peine à ceux qui en sont victimes les rendant responsables de tout ce qui leur arrive. En quoi le paysan ruiné et déplacé de ses terres, ayant perdu son bétail, sa ferme et sa joie de vivre, serait-il complice de la construction des centrales atomiques à l'abri desquelles il travaillait ? En quoi la veuve et les orphelins du Covid-19 porteraient-ils une quelconque responsabilité de la progression foudroyante du virus, liée à la perte d'habitat protégé des pangolins et des chauves-souris ? Les grandes théories naissent dans le cerveau de personnes à l'abri, et la résilience ne serait-elle in fine qu'une promesse de bonheur pour les forts.

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(*) La Gîta, citée par Jean-Claude Carrière. Fragilité. Odile Jacob. 2007. 284 pages. Extrait p. 107

Thierry Ribault. Contre la résilience. Éd. L'échappée. 2021. 352 pages

Une détresse qui n'ose plus s'exprimer, faute d'être entendue, détruit plus qu'on le pense. Aurait-on oublié qu'un grand malheur n'est jamais une chance, et que la capacité de rebondir n'est pas donnée à tous. Il me prend l'envie d'épingler à l'entrée du cabinet un panonceau "ici on peut déposer son chagrin sans honte". On rêve de lieux où révéler sa faiblesse ne donnera lieu à aucun appel à devenir fort, où la tristesse aura le temps de mourir d'elle-même, patiemment comme le sol sèche après la pluie.Osera-t-on remettre en question la résilience, ce "médicament de notre époque", ce dépassement volontaire du malheur débouchant sur une promesse d'un avenir meilleur. Les grands bouleversements, personnels ou sociétaux, vécus comme une occasion de se dépasser et de créer un homme nouveau, épuré, renforcé par l'épreuve participent au récit que font les moralistes de notre époque. Le malheur vécu comme un mérite n'est hélas qu'un leurre, et les enjeux de demain ne consolent guère de la détresse d'aujourd'hui. Bien sûr qu'il nous faudra apprendre de cette crise, refonder nos modèles, rêver d'une économie plus sociale et solidaire, ouvrir la voie à la démocratie participative, mais que faire en attendant de celui qui ne dort plus la nuit tant est grand son désarroi ? On en arriverait à nier la brutalité et le côté inexplicable des vraies grandes catastrophes qui nous frappent, attribuant une double peine à ceux qui en sont victimes les rendant responsables de tout ce qui leur arrive. En quoi le paysan ruiné et déplacé de ses terres, ayant perdu son bétail, sa ferme et sa joie de vivre, serait-il complice de la construction des centrales atomiques à l'abri desquelles il travaillait ? En quoi la veuve et les orphelins du Covid-19 porteraient-ils une quelconque responsabilité de la progression foudroyante du virus, liée à la perte d'habitat protégé des pangolins et des chauves-souris ? Les grandes théories naissent dans le cerveau de personnes à l'abri, et la résilience ne serait-elle in fine qu'une promesse de bonheur pour les forts. Lu dans :(*) La Gîta, citée par Jean-Claude Carrière. Fragilité. Odile Jacob. 2007. 284 pages. Extrait p. 107Thierry Ribault. Contre la résilience. Éd. L'échappée. 2021. 352 pages