Lazare

Admis à 22 heures, le lendemain matin on sait déjà beaucoup, mais surtout qu'on ne sait pas par où le mal est entré : le CTscan thoraco-abdominal n'est pas contributif, la biologie révèle un syndrome inflammatoire sur une infection majeure sans étiologie précise, un test PCR est négatif. Un traitement antibiotique de couverture a été mis en route dès minuit, avec une surveillance continue aux soins intensifs, une mise à l'isolement de sécurité tant qu'une infection au coranarovirus n'est pas formellement exclue. Il est de petits hôpitaux locaux qui performent à bas bruit dans notre pays, même dans la banlieue défavorisée de la capitale.

Au troisième jour, Lazare sort du tombeau, il communique, a repris l'alimentation, n'a plus de fièvre, demande qu'on allume la télévision. Demain il sera transféré en chambre. Il sortira de l'hôpital en fin de semaine prochaine pour regagner son domicile. Après avoir vécu cela, on se remet à croire aux miracles.

Mais où sont les dents ?

La famille rouscaille. On a égaré la prothèse dentaire, retrouvée rapidement au fond de son sac, le frigo de la chambre était débranché, et la télévision disponible seulement après une semaine. La nourriture était froide, et moulue, peu appétissante. Le parking, payant, se trouvait éloigné. Ils n'ont pu approcher leur père qu'après trois jours, et encore pour un temps limité. Beaucoup d'infirmières sont d'origine africaine, " attention rien à dire, serviables, mais quand même, on est en Belgique, ce n'est pas normal. " Au début, papy s'est retrouvé à côté d'un patient étranger qui hurlait toute la nuit, comment se reposer dans de pareilles conditions ? Une sortie exigée a été envisagée, dont je parviens à les dissuader à grande peine. " Pour faire court, docteur, on n'est pas heureux du service, l'hôtellerie laisse vraiment à désirer. "

Vous savez quoi, amis patients ? Il me devient parfois difficile de vous comprendre dans ce rôle d'inspecteurs de Gault et Millau. Et vous, nous comprenez-vous ? Percevez-vous que nous sommes f-a-t-i-g-u-é-s, l'hôpital, les soignants, le personnel d'entretien, les administratifs. Épuisés de lutter depuis six mois contre nos propres peurs, l'incertitude, les contraintes sanitaires multiples et changeantes, l'anxiété d'être submergés par le nombre, d'avoir à trier entre un cas dramatique dépassé et un autre qui pourrait le devenir. Savez-vous ce qu'est la peur au ventre du médecin qui pénètre dans votre chambre, à domicile ou à l'hôpital, mais le fait quand même parce qu'il y va de votre survie. Lazare sorti du tombeau, ressuscité des morts, ça vous dit quelque chose ? Qu'on puisse bénéficier dans nos quartiers défavorisés d'une hospitalisation rapide, d'une prise en charge digne de l'hôpital américain de Neuilly, d'une récupération inespérée d'un état morbide sévère, tout cela pour un budget presque totalement remboursé via le MAF (Maximum à facturer) est devenu un droit. On apprécierait qu'il soit doublé d'un devoir, celui d'être bienveillants face à nos insuffisances, qu'elles soient médicales ou d'hôtellerie. Dans votre naufrage, mesurez la chance qui est la vôtre d'être pris en charge par des humains comme vous, soumis aux mêmes peurs, aux mêmes questions et surtout imparfaits comme vous, humbles gardiens de phare dans la même tempête.

Admis à 22 heures, le lendemain matin on sait déjà beaucoup, mais surtout qu'on ne sait pas par où le mal est entré : le CTscan thoraco-abdominal n'est pas contributif, la biologie révèle un syndrome inflammatoire sur une infection majeure sans étiologie précise, un test PCR est négatif. Un traitement antibiotique de couverture a été mis en route dès minuit, avec une surveillance continue aux soins intensifs, une mise à l'isolement de sécurité tant qu'une infection au coranarovirus n'est pas formellement exclue. Il est de petits hôpitaux locaux qui performent à bas bruit dans notre pays, même dans la banlieue défavorisée de la capitale.Au troisième jour, Lazare sort du tombeau, il communique, a repris l'alimentation, n'a plus de fièvre, demande qu'on allume la télévision. Demain il sera transféré en chambre. Il sortira de l'hôpital en fin de semaine prochaine pour regagner son domicile. Après avoir vécu cela, on se remet à croire aux miracles.La famille rouscaille. On a égaré la prothèse dentaire, retrouvée rapidement au fond de son sac, le frigo de la chambre était débranché, et la télévision disponible seulement après une semaine. La nourriture était froide, et moulue, peu appétissante. Le parking, payant, se trouvait éloigné. Ils n'ont pu approcher leur père qu'après trois jours, et encore pour un temps limité. Beaucoup d'infirmières sont d'origine africaine, " attention rien à dire, serviables, mais quand même, on est en Belgique, ce n'est pas normal. " Au début, papy s'est retrouvé à côté d'un patient étranger qui hurlait toute la nuit, comment se reposer dans de pareilles conditions ? Une sortie exigée a été envisagée, dont je parviens à les dissuader à grande peine. " Pour faire court, docteur, on n'est pas heureux du service, l'hôtellerie laisse vraiment à désirer. "Vous savez quoi, amis patients ? Il me devient parfois difficile de vous comprendre dans ce rôle d'inspecteurs de Gault et Millau. Et vous, nous comprenez-vous ? Percevez-vous que nous sommes f-a-t-i-g-u-é-s, l'hôpital, les soignants, le personnel d'entretien, les administratifs. Épuisés de lutter depuis six mois contre nos propres peurs, l'incertitude, les contraintes sanitaires multiples et changeantes, l'anxiété d'être submergés par le nombre, d'avoir à trier entre un cas dramatique dépassé et un autre qui pourrait le devenir. Savez-vous ce qu'est la peur au ventre du médecin qui pénètre dans votre chambre, à domicile ou à l'hôpital, mais le fait quand même parce qu'il y va de votre survie. Lazare sorti du tombeau, ressuscité des morts, ça vous dit quelque chose ? Qu'on puisse bénéficier dans nos quartiers défavorisés d'une hospitalisation rapide, d'une prise en charge digne de l'hôpital américain de Neuilly, d'une récupération inespérée d'un état morbide sévère, tout cela pour un budget presque totalement remboursé via le MAF (Maximum à facturer) est devenu un droit. On apprécierait qu'il soit doublé d'un devoir, celui d'être bienveillants face à nos insuffisances, qu'elles soient médicales ou d'hôtellerie. Dans votre naufrage, mesurez la chance qui est la vôtre d'être pris en charge par des humains comme vous, soumis aux mêmes peurs, aux mêmes questions et surtout imparfaits comme vous, humbles gardiens de phare dans la même tempête.