Une leçon de modestie

Marqué par la gestion difficile de l'épidémie à Coronavirus, 2020 demeurera pour le corps médical une des expériences les plus complexes qu'il ait eu à gérer. Entre Cluedo et les Dix petits nègres, il n'est de symptôme, de pronostic, d'hypothèses diagnostiques, de traitement, de politique de prévention qui ne furent battues en brèche aussitôt formulées. Un dernier exemple vécu cette semaine m'a laissé perplexe. Une toute jeune patiente vue en consultation jeudi passé en raison d'un exanthème étrange bénéficie d'un frottis, négatif. On apprend deux jours plus tard qu'elle a été hospitalisée en urgence, l'éruption s'étant soudainement accentuée avec altération de l'état général, une sérologie Covid positive et un nouveau frottis à l'hôpital toujours aussi négatif. Maladie de Kawasaki, docteur House, bien sûr. Mais comment élaborer un diagnostic en consultation avec des symptômes et des résultats de tests aussi ubiquitaires ? On se remémore ces jeux de soirée festive où, les yeux bandés et les oreilles bouchées, il nous était demandé à la seule palpation de reconnaître notre conjoint parmi dix autres invités. Mais le Covid n'est pas un jeu drôle.

L'année du vaccin

Heureusement qu'il y a demain, et l'annonce des vaccins. " Que pensez-vous du tocsin ? " m'interroge un patient dysphasique en un lapsus révélateur. Si nul n'en conteste l'efficacité à terme, mais un terme ce peut être long, on espère que la solution ne constituera pas un problème durant la période incertaine qui débute. On devait gérer jusqu'ici les patients symptomatiques, PCR positifs ou négatifs, avec ou sans IgG, débusquer les asymptomatiques contagieux, traquer les supercontaminateurs et leurs clusters, convaincre ceux qui ne voulaient pas se faire tester, les négationnistes, les complotistes, les rebelles noceurs, rassurer les hypochondriaques. A partir de janvier, ou aura les mêmes, le vaccin à administrer en plus. " Bonne nouvelle : un vaccin arrive ! On va pouvoir le refuser[1]", avec des réseaux sociaux à l'affût du premier pépin, même anecdotique. Vaccinera-t-on ceux qui ne peuvent plus comprendre, ni s'exprimer ? Quelles consignes donner aux patients immunisés soit par contact avec la maladie, soit par vaccination, confiants dans la protection dont ils bénéficient, mais pour une durée dont on ne connaît rien ? Face à cet estompement des marges, comment maintenir une politique stricte de gestes barrières, de port du masque, de désinfection systématique des mains durant ces mois où l'euphorie et l'illusion de l'éradication feront fortune ? La protection prioritaire des patients âgés et vulnérables, peu mobiles, soulagera les hôpitaux sans réduire de manière significative - du moins au début - la circulation du virus. Corollaire : en cas de nouvel échappement de la pandémie, comment imposer à la population de se confiner à nouveau malgré le vaccin ? N'en jetez plus, ce virus monte à la tête et rend paranos les plus sages.

Entre interrogations et inquiétudes, que cela ne nous empêche pas de vous souhaiter d'aborder 2021 avec un optimisme lucide. Comme le dit une carte de voeux mignonne " cette année, moi je vais être un tout petit agent affectueux qui se propage partout[2] ".

[1] Xavier Gorce. Les indégivrables. Le Monde. 11 novembre 2020

[2] © Bob De Roover bob@de-roover.be

Marqué par la gestion difficile de l'épidémie à Coronavirus, 2020 demeurera pour le corps médical une des expériences les plus complexes qu'il ait eu à gérer. Entre Cluedo et les Dix petits nègres, il n'est de symptôme, de pronostic, d'hypothèses diagnostiques, de traitement, de politique de prévention qui ne furent battues en brèche aussitôt formulées. Un dernier exemple vécu cette semaine m'a laissé perplexe. Une toute jeune patiente vue en consultation jeudi passé en raison d'un exanthème étrange bénéficie d'un frottis, négatif. On apprend deux jours plus tard qu'elle a été hospitalisée en urgence, l'éruption s'étant soudainement accentuée avec altération de l'état général, une sérologie Covid positive et un nouveau frottis à l'hôpital toujours aussi négatif. Maladie de Kawasaki, docteur House, bien sûr. Mais comment élaborer un diagnostic en consultation avec des symptômes et des résultats de tests aussi ubiquitaires ? On se remémore ces jeux de soirée festive où, les yeux bandés et les oreilles bouchées, il nous était demandé à la seule palpation de reconnaître notre conjoint parmi dix autres invités. Mais le Covid n'est pas un jeu drôle.Heureusement qu'il y a demain, et l'annonce des vaccins. " Que pensez-vous du tocsin ? " m'interroge un patient dysphasique en un lapsus révélateur. Si nul n'en conteste l'efficacité à terme, mais un terme ce peut être long, on espère que la solution ne constituera pas un problème durant la période incertaine qui débute. On devait gérer jusqu'ici les patients symptomatiques, PCR positifs ou négatifs, avec ou sans IgG, débusquer les asymptomatiques contagieux, traquer les supercontaminateurs et leurs clusters, convaincre ceux qui ne voulaient pas se faire tester, les négationnistes, les complotistes, les rebelles noceurs, rassurer les hypochondriaques. A partir de janvier, ou aura les mêmes, le vaccin à administrer en plus. " Bonne nouvelle : un vaccin arrive ! On va pouvoir le refuser[1]", avec des réseaux sociaux à l'affût du premier pépin, même anecdotique. Vaccinera-t-on ceux qui ne peuvent plus comprendre, ni s'exprimer ? Quelles consignes donner aux patients immunisés soit par contact avec la maladie, soit par vaccination, confiants dans la protection dont ils bénéficient, mais pour une durée dont on ne connaît rien ? Face à cet estompement des marges, comment maintenir une politique stricte de gestes barrières, de port du masque, de désinfection systématique des mains durant ces mois où l'euphorie et l'illusion de l'éradication feront fortune ? La protection prioritaire des patients âgés et vulnérables, peu mobiles, soulagera les hôpitaux sans réduire de manière significative - du moins au début - la circulation du virus. Corollaire : en cas de nouvel échappement de la pandémie, comment imposer à la population de se confiner à nouveau malgré le vaccin ? N'en jetez plus, ce virus monte à la tête et rend paranos les plus sages.Entre interrogations et inquiétudes, que cela ne nous empêche pas de vous souhaiter d'aborder 2021 avec un optimisme lucide. Comme le dit une carte de voeux mignonne " cette année, moi je vais être un tout petit agent affectueux qui se propage partout[2] ".[1] Xavier Gorce. Les indégivrables. Le Monde. 11 novembre 2020[2] © Bob De Roover bob@de-roover.be