Avec l'abondance des contenus psycho sur TikTok et Instagram, de nombreux patients s'autodiagnostiquent TDAH, borderline, dépressifs... À l'occasion d'une conférence sur l'impact d'une société connectée sur la santé mentale organisée par Vivalia, la psychiatre Ksenija Udovenko prend le contre-pied et défend l'apport des réseaux sociaux pour la psychiatrie.
Le journal du Médecin: On entend souvent des critiques négatives adressées aux réseaux sociaux. Les psychiatres se plaignent que TikTok pourrit leurs consultations. Vous n'êtes pas d'accord?
Dr Ksenija Udovenko: Si, en partie. Bien sûr qu'il y a un impact négatif. Le patient ne sait pas trier l'information. Il se perd dans toutes les infos contradictoires. Quand un patient se présente en consultation avec plein de diagnostics dans sa tête, il est paniqué. C'est renforcé par les longs délais nécessaires avant d'obtenir une consultation. Nous, psychiatres, on passe du temps à déconstruire tout ça.
À vous entendre, cela n'apporte pourtant pas que du négatif...
Dans ma pratique, j'observe que les ados ont souvent raison. Ils ont souvent trouvé le diagnostic avant les professionnels qui les ont déjà vus, en ayant suivi les comptes des neuropsychologues, des médecins, des collègues. Il y a des sources fiables sur TikTok! Alors, on vérifie ensemble les symptômes et, parfois, ça correspond.
Au-delà du diagnostic, ces réseaux peuvent-il aider un patient en difficulté?
Oui, car il y a aussi la psychoéducation. Les contenus fiables postés sur ces réseaux aident les patients à comprendre leur maladie. C'est un peu triste, mais parfois, les réseaux sociaux expliquent mieux l'information que nous. Pour les maladies mentales, c'est toujours plus nébuleux dans l'esprit des gens que les maladies somatiques. Aussi, quand les célébrités commencent à parler de leur santé mentale, ça aide à la déstigmatisation. Par exemple, quand Selena Gomez parle beaucoup de sa bipolarité en interview, ça crée un sentiment d'identification qui participe à cette déstigmatisation.
Et pour le pyschiatre lui-même?
Aussi! On comprend vraiment nos patients. On peut plonger dans leur quotidien. Je me figure mieux les difficultés de vivre avec une maladie mentale, parce que je suis un influenceur qui explique ses difficultés pratiques dans la vie de tous les jours, parce que je vois son intérieur. Ça permet de générer de l'empathie pour ces patients, qu'on acquiert plus difficilement dans une consultation de 30 ou 40 minutes. On devient beaucoup plus humain quand on a accès à ce que les patients nous ont raconté. On se rend aussi compte des galères pour obtenir un rendez-vous, un diagnostic et un traitement. C'est quelque chose qui me brise personnellement le coeur, les gens qui expliquent à quel point c'est difficile d'obtenir un rendez-vous thérapeutique, à quel point c'est cher une thérapie... Et, devinez quoi? Ça nous aide à ajuster nos pratiques. Parce qu'être un soignant "déconnecté", c'est "so 2010".
De multiples études montrent que neuf médecins sur dix vont chercher leurs infos en ligne. Si vous êtes le dixième, je veux bien savoir comment vous faites!" - Dr Ksenija Udovenko
La communication sur TikTok est-elle uniquement de professionnel à patients, ou peut-elle jouer entre professionnels?
Bien sûr! Internet, c'est aussi un énorme café des psys en ligne. Il y a plein d'idées géniales pour la psycho- éducation, de partage d'expérience des autres soignants, de description des pratiques thérapeutiques... Je vois même souvent des petites astuces pour mieux gérer les patients difficiles ("Si tu te sens énervé, rappelle-toi que c'est sûrement lui qui souffre le plus"). Bref, merci Instagram pour la formation continue! Je donne même parfois à mes patients une liste d'influenceurs certifiés, qui ne donneront pas de mauvais conseils et je leur propose de ramener des infos en consultation qui les ont marqués ou qu'ils n'ont pas comprises.
Jusqu'à influencer votre diagnostic?
Soyons honnêtes, on ne peut pas tout savoir. Heureusement, Internet nous éclaire sur des trucs qu'on n'a pas vus en faculté. Je pense au TDAH ou l'autisme chez les femmes, par exemple. Ce n'est pas la même chose que chez les hommes. Ça, je l'ai appris grâce aux réseaux. Idem pour le C-PTSD: jamais entendu parler en cinq ans d'assistanat et de congrès. Quand un enfant grandit dans un milieu instable psychologiquement et physiologiquement, son cerveau grandit différemment, et répondra moins bien aux traitements. Ces patients seront moins bien diagnostiqués. On commence seulement à en parler depuis deux ou trois ans, mais avant ça, c'est via TikTok que j'en ai d'abord entendu parler. Ça ne devrait pas être ainsi, mais c'est comme ça. Bien sûr, je vérifie ces infos sur PubMed, sur base d'études scientifiques. De multiples études montrent que neuf médecins sur dix vont chercher leurs infos en ligne. Si vous êtes le dixième, je veux bien savoir comment vous faites!
Auriez-vous un conseil pour gérer un patient très connecté?
Quand le patient arrive avec un autodiagnostic, confirmez-lui que vous avez entendu parler de ça. Puis demandez-lui de vous expliquer, point par point, pourquoi il pense être touché par cette pathologie? S'il est venu en consultation, c'est parce qu'il souffre. Il faut l'écouter, regarder les vidéos dont il parle, voir ce qui est à la mode... Si on n'est pas au courant de quels symptômes sont valides ou non, on ne sait pas faire le tri avec le patient.
Le journal du Médecin: On entend souvent des critiques négatives adressées aux réseaux sociaux. Les psychiatres se plaignent que TikTok pourrit leurs consultations. Vous n'êtes pas d'accord? Dr Ksenija Udovenko: Si, en partie. Bien sûr qu'il y a un impact négatif. Le patient ne sait pas trier l'information. Il se perd dans toutes les infos contradictoires. Quand un patient se présente en consultation avec plein de diagnostics dans sa tête, il est paniqué. C'est renforcé par les longs délais nécessaires avant d'obtenir une consultation. Nous, psychiatres, on passe du temps à déconstruire tout ça. À vous entendre, cela n'apporte pourtant pas que du négatif... Dans ma pratique, j'observe que les ados ont souvent raison. Ils ont souvent trouvé le diagnostic avant les professionnels qui les ont déjà vus, en ayant suivi les comptes des neuropsychologues, des médecins, des collègues. Il y a des sources fiables sur TikTok! Alors, on vérifie ensemble les symptômes et, parfois, ça correspond. Au-delà du diagnostic, ces réseaux peuvent-il aider un patient en difficulté? Oui, car il y a aussi la psychoéducation. Les contenus fiables postés sur ces réseaux aident les patients à comprendre leur maladie. C'est un peu triste, mais parfois, les réseaux sociaux expliquent mieux l'information que nous. Pour les maladies mentales, c'est toujours plus nébuleux dans l'esprit des gens que les maladies somatiques. Aussi, quand les célébrités commencent à parler de leur santé mentale, ça aide à la déstigmatisation. Par exemple, quand Selena Gomez parle beaucoup de sa bipolarité en interview, ça crée un sentiment d'identification qui participe à cette déstigmatisation. Et pour le pyschiatre lui-même? Aussi! On comprend vraiment nos patients. On peut plonger dans leur quotidien. Je me figure mieux les difficultés de vivre avec une maladie mentale, parce que je suis un influenceur qui explique ses difficultés pratiques dans la vie de tous les jours, parce que je vois son intérieur. Ça permet de générer de l'empathie pour ces patients, qu'on acquiert plus difficilement dans une consultation de 30 ou 40 minutes. On devient beaucoup plus humain quand on a accès à ce que les patients nous ont raconté. On se rend aussi compte des galères pour obtenir un rendez-vous, un diagnostic et un traitement. C'est quelque chose qui me brise personnellement le coeur, les gens qui expliquent à quel point c'est difficile d'obtenir un rendez-vous thérapeutique, à quel point c'est cher une thérapie... Et, devinez quoi? Ça nous aide à ajuster nos pratiques. Parce qu'être un soignant "déconnecté", c'est "so 2010". La communication sur TikTok est-elle uniquement de professionnel à patients, ou peut-elle jouer entre professionnels? Bien sûr! Internet, c'est aussi un énorme café des psys en ligne. Il y a plein d'idées géniales pour la psycho- éducation, de partage d'expérience des autres soignants, de description des pratiques thérapeutiques... Je vois même souvent des petites astuces pour mieux gérer les patients difficiles ("Si tu te sens énervé, rappelle-toi que c'est sûrement lui qui souffre le plus"). Bref, merci Instagram pour la formation continue! Je donne même parfois à mes patients une liste d'influenceurs certifiés, qui ne donneront pas de mauvais conseils et je leur propose de ramener des infos en consultation qui les ont marqués ou qu'ils n'ont pas comprises. Jusqu'à influencer votre diagnostic? Soyons honnêtes, on ne peut pas tout savoir. Heureusement, Internet nous éclaire sur des trucs qu'on n'a pas vus en faculté. Je pense au TDAH ou l'autisme chez les femmes, par exemple. Ce n'est pas la même chose que chez les hommes. Ça, je l'ai appris grâce aux réseaux. Idem pour le C-PTSD: jamais entendu parler en cinq ans d'assistanat et de congrès. Quand un enfant grandit dans un milieu instable psychologiquement et physiologiquement, son cerveau grandit différemment, et répondra moins bien aux traitements. Ces patients seront moins bien diagnostiqués. On commence seulement à en parler depuis deux ou trois ans, mais avant ça, c'est via TikTok que j'en ai d'abord entendu parler. Ça ne devrait pas être ainsi, mais c'est comme ça. Bien sûr, je vérifie ces infos sur PubMed, sur base d'études scientifiques. De multiples études montrent que neuf médecins sur dix vont chercher leurs infos en ligne. Si vous êtes le dixième, je veux bien savoir comment vous faites! Auriez-vous un conseil pour gérer un patient très connecté? Quand le patient arrive avec un autodiagnostic, confirmez-lui que vous avez entendu parler de ça. Puis demandez-lui de vous expliquer, point par point, pourquoi il pense être touché par cette pathologie? S'il est venu en consultation, c'est parce qu'il souffre. Il faut l'écouter, regarder les vidéos dont il parle, voir ce qui est à la mode... Si on n'est pas au courant de quels symptômes sont valides ou non, on ne sait pas faire le tri avec le patient.