Face à la crise pandémique Covid-19, deux " écoles " de pensée se sont affrontées, avec en exergue, le très médiatique Pr marseillais Didier Raoult et sa bithérapie à base d'hydoxychloroquine et d'azithromicyne : d'une part, la médecine de terrain, expérimentale et la médecine scientifique par les preuves des méthodologistes.

Les premiers seraient des vrais médecins, les autres des scientifiques enfermés dans leur laboratoire et attendant les résultats d'études en double aveugle.

D'un côté, une médecine plus réactive mais plus risquée ; de l'autre, une médecine plus lente, plus institutionnalisée mais aussi plus prudente.

En France surtout, pays de Voltaire et de la liberté d'expression, chacun s'est envoyé des noms d'oiseaux, entre les mandarins parisiens et les cul-terreux marseillais, entre le bloc élitaire de la capitale et le bloc populaire derrière Raoult, sorte de " médecin des gilets jaunes ". Chacun, même les profanes, a eu un avis sur la chloroquine. Celle-ci étant devenue rapidement la molécule la plus dangereuse du monde alors qu'elle a été prescrite depuis 80 ans à plus d'un milliard d'humains. De l'autre côté, des problèmes cardiaques sont apparus chez certains patients, ce qui recommandait la plus grande prudence. Très rapidement, il s'est agi d'être "pour" ou "contre" le Dr Raoult dans un contexte hystérisé qui caractérise nos sociétés occidentales vieillissantes et déclinistes.

Face à la crise de l'expertise que nous vivons (les avis d'experts, souvent contradictoires qui créent une grande confusion chez les patients mais aussi chez les médecins), les politiques doivent tenir le rôle presque invivable d'arbitres alors qu'ils ont rarement un background scientifique. Le matin, des experts vous disant que l'immunité de groupe ne dépasse pas 3%, l'après-midi, l'expert en chef du conseil national de sécurité estime que c'est bien au-dessus...

La question centrale c'est : en temps de guerre sanitaire, doit-on privilégier la médecine expérimentale alors qu'on perd des milliers de patients par jour ou attendre gentiment les résultats de la médecine par les preuves ? Faut-il opposer les deux alors que des études en double aveugle internationales Discovery, Recovery et Solidarity peinent à se mettre en place ? Traumatisés par les scandales sanitaires, les politiques ont du mal à trancher. Une crise du leadership s'ajoute à la crise sanitaire proprement dite.

Dans ce climat échauffé, nous avons demandé au Conseil national de l'Ordre des médecins ce que prescrit la loi et la déontologie.

Le Pr Philippe Boxho (ULg), vice-président francophone faisant fonction du Conseil national, nous a répondu. Posément.

jdM : Quelle est la position de l'Ordre en matière de médecine expérimentale ? Prenons par exemple, la bithérapie préconisée par le Pr marseillais Didier Raoult : hydroxychloriquine + azithromicyne (et un ECG pour prévenir tout problème cardiaque). Le Dr Raoult estime que la médecine n'a jamais abandonné les patients sans traitements et que le serment d'Hippocrate et la déontologie médicale l'autorisent à tester de nouveaux traitements. Ça a toujours fonctionné comme cela. Qu'en pense le Conseil national de l'Ordre des médecins ?

Pr Ph. Boxho : Premièrement, la médecine expérimentale dont vous parlez est encadrée par la loi du 7 mai 2017 relative aux essais cliniques de médicaments à usage humain et par la déontologie médicale, à savoir l'article 45 du Code de déontologie médicale commenté.

Cette loi a été promulguée dans l'intérêt du patient afin que toute médication qui lui est proposée soit entourée d'un maximum de précautions, tant en ce qui concerne son indication que ses effets secondaires.

Pour que l'essai clinique soit autorisé, la loi impose, par son article 21, que l'AFMPS (Agence fédérale des médicaments et des produits de santé) et le Comité d'éthique aient rendu un avis positif.

Elle impose également de recueillir le consentement du patient, conformément à la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient.

Le Code de déontologie médicale commenté, en son article 45, confirme cette approche.

En conséquence, c'est dans l'intérêt du patient qu'il ne peut être question de tester des médicaments, même existants et connus, sur une pathologie pour laquelle leur effet n'est pas connu en dehors du contexte légal et déontologique dans lequel cette étude doit s'inscrire.

La mise sur le marché et la mise à disposition des médicaments est réglementée par la loi du 25 mars 1964 sur les médicaments. Elle règle l'usage compassionnel de traitements expérimentaux.

En second lieu, l'article 4 du Code de déontologie médicale énonce :

" (...) Le médecin agit conformément à l'état actuel des connaissances scientifiques. Il contribue à les faire progresser et à les transmettre à ses confrères et aux autres prestataires de soins de santé. "

Le commentaire de cet article 4 rappelle que le médecin est guidé dans ses choix par les avis des académies de médecine, la médecine basée sur les preuves (evidence-based medecine) et les recommandations des associations scientifiques nationales et internationales. Le médecin qui s'écarte de l'état actuel des connaissances scientifiques dans les soins qu'il dispense doit justifier son choix.

Les recommandations du CBIP - BCFI doivent être prises en considération par les médecins. L'usage d'un médicament pour d'autres indications que celles annoncées dans la notice (off-label), pose la question de la sécurité du patient. La sécurité, l'intérêt du patient et le respect du principe éthique de non-malfaisance doivent impérativement guider le médecin dans sa prise en charge médicale et ses choix thérapeutiques, sous peine de constituer un abus de sa liberté thérapeutique.

L'usage off-label d'un médicament pose également la question de l'efficacité de cet usage. Il est contraire à la déontologie médicale de prescrire inutilement des traitements. Le médecin doit pouvoir justifier du caractère rationnel de l'utilisation d'un médicament, tenant compte notamment des stocks disponibles et des pathologies pour lesquelles le besoin du médicament est avéré.

Le médecin doit justifier ses choix thérapeutiques auprès du patient. La loi sur les droits du patient lui impose d'informer son patient de l'objectif, la nature, le degré d'urgence, la durée, la fréquence, les contre-indications, les effets secondaires, les risques inhérents au traitement, son efficacité et les alternatives possibles. Il doit enfin lui faire connaître les répercussions financières du traitement médical proposé. La surveillance étroite de l'évolution de l'état de santé du patient s'impose en cas d'usage off-label d'un médicament.

Utiliser un médicament, même connu, sur une pathologie pour laquelle son indication n'est pas reconnue ne peut se faire sans bases scientifiques obtenues grâce à la réalisation d'études scientifiques. En outre, cela ne se justifie que si le médicament en question est le meilleur traitement au moment considéré, tenant compte du risque pour le patient et de la gravité de l'affection dont il souffre.

Le médecin engage sa responsabilité en prescrivant un médicament " off-label ".

Je vous renvoie à cet égard à l'avis du 16 juillet 2016 du Conseil national intitulé l'usage des médicaments " off-label ", Bulletin du Conseil national n° 154, et à l'avis du 26 juin 2010 du Conseil national intitulé la prescription de médicaments " off-label ", Bulletin du Conseil national n° 130.

Les études en double aveugle, piliers de la médecine par les preuves (EBM) sont lentes. D'aucuns disent que les résultats arriveront après la bataille (contre le covid-19). Cette médecine par les preuves souffre-t-elle des exceptions en cas de guerre sanitaire ? Quelle serait la position de l'Ordre des médecins dans ce contexte ?

L'EBM prend du temps mais cette méthode est à la base de l'évolution de la discipline médicale depuis les années 1980, époque à laquelle elle a été inventée.

" Primum non nocere " est le principe de base de la pratique médicale. Selon ce principe, le monde médical a la responsabilité de proposer au patient des thérapies efficaces qui ont été mises au point selon des règles qui garantissent que la thérapie proposée a un effet positif plus important que d'éventuels effets néfastes qu'il faut pouvoir maîtriser.

Ni la crise du COVID-19 ni aucune autre n'enlève rien à cette obligation qui incombe au chercheur et au médecin.

Il ne faudrait pas que la précipitation amène le chercheur à négliger certaines phases d'essais cliniques, par exemple, et à permettre la production d'un médicament qui pourrait se révéler, in fine, préjudiciable au patient.

Dans l'intérêt du patient, il faut se hâter sans précipitation.

Si du temps doit être gagné, cela ne peut se faire au détriment de la qualité de la recherche.

Le partage coordonné et rigoureux des données générées et des résultats des recherches, entre les chercheurs mais aussi avec les professionnels du terrain, sur le plan national et international, est de nature à faire progresser plus rapidement la recherche. Les forums de discussion, la littérature scientifique y contribuent aussi.

L'autorité publique a un rôle important à jouer en cas de crise, que ce soit en mobilisant les scientifiques (des secteurs public et privé) et en les soutenant dans leurs recherches, ou en accélérant les procédures administratives relatives à l'évaluation des demandes d'essais cliniques et des demandes d'autorisation de mise sur le marché ou encore en adaptant les requis scientifico-réglementaires.

Des médecins généralistes français ayant expérimenté sur des patients covid la formule azithromycine + zinc, sont actuellement sous pression du CNOM (Conseil national français de l'Ordre des médecins) qui les menace de suspension. Le reproche du CNOM concerne en particulier le fait d'avoir médiatisé cette " thérapie " dans des journaux grand public. Au moins un médecin généraliste belge utilise également ce traitement. Quel serait la réaction du Conseil national belge de l'Ordre des médecins face à des médecins de 1ère ligne qui pratiqueraient une médecine expérimentale et compassionnelle estimant que c'est mieux que de " laisser mourir les patients sans rien faire " ?

L'heure n'est pas aux menaces en Belgique et il faut espérer que les médecins soient capables de s'émanciper d'une approche binaire très réductrice, du genre " c'est ça ou rien ".

Par ailleurs, on peut regretter que le traitement expérimental AZI + Zn ait été lancé par voie de presse tout public, pour deux motifs :

Le premier est que la grande presse n'est pas une littérature scientifique. C'est dans une revue scientifique que de telles propositions doivent être faites sur base d'études menées de manière scientifique et répondant au prescrit en la matière qui permet d'assurer la qualité du traitement et, par là même, le respect du patient.

Le deuxième est que ce type de publication, non fondée scientifiquement, est de nature à concourir au flou majeur d'informations diverses, divergentes et cacophoniques qui entoure le traitement du COVID-19.

Plus généralement, comment l'Ordre des médecins envisage ses missions dans les semaines qui viennent face à ce dangereux coronavirus ?

Le Conseil national veille à adapter ses recommandations de bon comportement aux contingences liées à la situation sanitaire actuelle. Il suffit de consulter ses avis et communiqués de presse des 18 mars 2020, 26 mars 2020, 31 mars 2020, 2 avril 2020, 3 avril 2020 et du 17 avril 2020, disponibles sur son site www.ordomedic.be sous l'onglet COVID-19.

Un dialogue direct a été initié avec les autorités concernant les problèmes déontologiques, afin de pouvoir y apporter une réponse (notamment concernant la sécurisation des plateformes pour la consultation médicale sans contact physique).

Nous encourageons les confrères en leur apportant notre assistance et notre aide, par exemple en leur délivrant une attestation justifiant leurs déplacements (https://www.ordomedic.be/fr/intranet/covid-19 ). En outre, nous répondons tant au niveau national que provincial aux nombreuses questions que les médecins nous adressent. Ces questions portent sur des sujets éthiques, déontologiques mais également sur la recherche de recommandations et d'informations pratiques concernant la gestion de la crise.

Nous souhaitons également informer le public dans la plus grande transparence. C'est pourquoi toute personne intéressée peut trouver sur le site www.ordomedic.be sous l'onglet COVID-19 les questions les plus fréquentes posées à l'Ordre à propos de la crise sanitaire et les réponses formulées.

J'ajoute que la structure " médecins en difficulté " apporte son aide aux médecins qui rencontrent des difficultés personnelles du fait de cette crise.

Enfin, les défis auxquels les médecins ont été confrontés durant cette crise et les bouleversements dans la pratique médicale qu'elle a entraînés alimenteront nécessairement les prochaines discussions du Conseil national. Dans ce contexte, il ne manquera pas d'interroger les associations médicales professionnelles et scientifiques afin de recueillir leur point de vue sur les questions de déontologie médicale générées par cette situation.

Propos recueillis par Nicolas de Pape

Face à la crise pandémique Covid-19, deux " écoles " de pensée se sont affrontées, avec en exergue, le très médiatique Pr marseillais Didier Raoult et sa bithérapie à base d'hydoxychloroquine et d'azithromicyne : d'une part, la médecine de terrain, expérimentale et la médecine scientifique par les preuves des méthodologistes.Les premiers seraient des vrais médecins, les autres des scientifiques enfermés dans leur laboratoire et attendant les résultats d'études en double aveugle.D'un côté, une médecine plus réactive mais plus risquée ; de l'autre, une médecine plus lente, plus institutionnalisée mais aussi plus prudente.En France surtout, pays de Voltaire et de la liberté d'expression, chacun s'est envoyé des noms d'oiseaux, entre les mandarins parisiens et les cul-terreux marseillais, entre le bloc élitaire de la capitale et le bloc populaire derrière Raoult, sorte de " médecin des gilets jaunes ". Chacun, même les profanes, a eu un avis sur la chloroquine. Celle-ci étant devenue rapidement la molécule la plus dangereuse du monde alors qu'elle a été prescrite depuis 80 ans à plus d'un milliard d'humains. De l'autre côté, des problèmes cardiaques sont apparus chez certains patients, ce qui recommandait la plus grande prudence. Très rapidement, il s'est agi d'être "pour" ou "contre" le Dr Raoult dans un contexte hystérisé qui caractérise nos sociétés occidentales vieillissantes et déclinistes. Face à la crise de l'expertise que nous vivons (les avis d'experts, souvent contradictoires qui créent une grande confusion chez les patients mais aussi chez les médecins), les politiques doivent tenir le rôle presque invivable d'arbitres alors qu'ils ont rarement un background scientifique. Le matin, des experts vous disant que l'immunité de groupe ne dépasse pas 3%, l'après-midi, l'expert en chef du conseil national de sécurité estime que c'est bien au-dessus...La question centrale c'est : en temps de guerre sanitaire, doit-on privilégier la médecine expérimentale alors qu'on perd des milliers de patients par jour ou attendre gentiment les résultats de la médecine par les preuves ? Faut-il opposer les deux alors que des études en double aveugle internationales Discovery, Recovery et Solidarity peinent à se mettre en place ? Traumatisés par les scandales sanitaires, les politiques ont du mal à trancher. Une crise du leadership s'ajoute à la crise sanitaire proprement dite.Dans ce climat échauffé, nous avons demandé au Conseil national de l'Ordre des médecins ce que prescrit la loi et la déontologie. Le Pr Philippe Boxho (ULg), vice-président francophone faisant fonction du Conseil national, nous a répondu. Posément.jdM : Quelle est la position de l'Ordre en matière de médecine expérimentale ? Prenons par exemple, la bithérapie préconisée par le Pr marseillais Didier Raoult : hydroxychloriquine + azithromicyne (et un ECG pour prévenir tout problème cardiaque). Le Dr Raoult estime que la médecine n'a jamais abandonné les patients sans traitements et que le serment d'Hippocrate et la déontologie médicale l'autorisent à tester de nouveaux traitements. Ça a toujours fonctionné comme cela. Qu'en pense le Conseil national de l'Ordre des médecins ?Pr Ph. Boxho : Premièrement, la médecine expérimentale dont vous parlez est encadrée par la loi du 7 mai 2017 relative aux essais cliniques de médicaments à usage humain et par la déontologie médicale, à savoir l'article 45 du Code de déontologie médicale commenté.Cette loi a été promulguée dans l'intérêt du patient afin que toute médication qui lui est proposée soit entourée d'un maximum de précautions, tant en ce qui concerne son indication que ses effets secondaires.Pour que l'essai clinique soit autorisé, la loi impose, par son article 21, que l'AFMPS (Agence fédérale des médicaments et des produits de santé) et le Comité d'éthique aient rendu un avis positif.Elle impose également de recueillir le consentement du patient, conformément à la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient.Le Code de déontologie médicale commenté, en son article 45, confirme cette approche.En conséquence, c'est dans l'intérêt du patient qu'il ne peut être question de tester des médicaments, même existants et connus, sur une pathologie pour laquelle leur effet n'est pas connu en dehors du contexte légal et déontologique dans lequel cette étude doit s'inscrire.La mise sur le marché et la mise à disposition des médicaments est réglementée par la loi du 25 mars 1964 sur les médicaments. Elle règle l'usage compassionnel de traitements expérimentaux.En second lieu, l'article 4 du Code de déontologie médicale énonce :" (...) Le médecin agit conformément à l'état actuel des connaissances scientifiques. Il contribue à les faire progresser et à les transmettre à ses confrères et aux autres prestataires de soins de santé. "Le commentaire de cet article 4 rappelle que le médecin est guidé dans ses choix par les avis des académies de médecine, la médecine basée sur les preuves (evidence-based medecine) et les recommandations des associations scientifiques nationales et internationales. Le médecin qui s'écarte de l'état actuel des connaissances scientifiques dans les soins qu'il dispense doit justifier son choix.Les recommandations du CBIP - BCFI doivent être prises en considération par les médecins. L'usage d'un médicament pour d'autres indications que celles annoncées dans la notice (off-label), pose la question de la sécurité du patient. La sécurité, l'intérêt du patient et le respect du principe éthique de non-malfaisance doivent impérativement guider le médecin dans sa prise en charge médicale et ses choix thérapeutiques, sous peine de constituer un abus de sa liberté thérapeutique.L'usage off-label d'un médicament pose également la question de l'efficacité de cet usage. Il est contraire à la déontologie médicale de prescrire inutilement des traitements. Le médecin doit pouvoir justifier du caractère rationnel de l'utilisation d'un médicament, tenant compte notamment des stocks disponibles et des pathologies pour lesquelles le besoin du médicament est avéré.Le médecin doit justifier ses choix thérapeutiques auprès du patient. La loi sur les droits du patient lui impose d'informer son patient de l'objectif, la nature, le degré d'urgence, la durée, la fréquence, les contre-indications, les effets secondaires, les risques inhérents au traitement, son efficacité et les alternatives possibles. Il doit enfin lui faire connaître les répercussions financières du traitement médical proposé. La surveillance étroite de l'évolution de l'état de santé du patient s'impose en cas d'usage off-label d'un médicament.Utiliser un médicament, même connu, sur une pathologie pour laquelle son indication n'est pas reconnue ne peut se faire sans bases scientifiques obtenues grâce à la réalisation d'études scientifiques. En outre, cela ne se justifie que si le médicament en question est le meilleur traitement au moment considéré, tenant compte du risque pour le patient et de la gravité de l'affection dont il souffre.Le médecin engage sa responsabilité en prescrivant un médicament " off-label ".Je vous renvoie à cet égard à l'avis du 16 juillet 2016 du Conseil national intitulé l'usage des médicaments " off-label ", Bulletin du Conseil national n° 154, et à l'avis du 26 juin 2010 du Conseil national intitulé la prescription de médicaments " off-label ", Bulletin du Conseil national n° 130.Les études en double aveugle, piliers de la médecine par les preuves (EBM) sont lentes. D'aucuns disent que les résultats arriveront après la bataille (contre le covid-19). Cette médecine par les preuves souffre-t-elle des exceptions en cas de guerre sanitaire ? Quelle serait la position de l'Ordre des médecins dans ce contexte ?L'EBM prend du temps mais cette méthode est à la base de l'évolution de la discipline médicale depuis les années 1980, époque à laquelle elle a été inventée." Primum non nocere " est le principe de base de la pratique médicale. Selon ce principe, le monde médical a la responsabilité de proposer au patient des thérapies efficaces qui ont été mises au point selon des règles qui garantissent que la thérapie proposée a un effet positif plus important que d'éventuels effets néfastes qu'il faut pouvoir maîtriser.Ni la crise du COVID-19 ni aucune autre n'enlève rien à cette obligation qui incombe au chercheur et au médecin.Il ne faudrait pas que la précipitation amène le chercheur à négliger certaines phases d'essais cliniques, par exemple, et à permettre la production d'un médicament qui pourrait se révéler, in fine, préjudiciable au patient.Dans l'intérêt du patient, il faut se hâter sans précipitation.Si du temps doit être gagné, cela ne peut se faire au détriment de la qualité de la recherche.Le partage coordonné et rigoureux des données générées et des résultats des recherches, entre les chercheurs mais aussi avec les professionnels du terrain, sur le plan national et international, est de nature à faire progresser plus rapidement la recherche. Les forums de discussion, la littérature scientifique y contribuent aussi.L'autorité publique a un rôle important à jouer en cas de crise, que ce soit en mobilisant les scientifiques (des secteurs public et privé) et en les soutenant dans leurs recherches, ou en accélérant les procédures administratives relatives à l'évaluation des demandes d'essais cliniques et des demandes d'autorisation de mise sur le marché ou encore en adaptant les requis scientifico-réglementaires.Des médecins généralistes français ayant expérimenté sur des patients covid la formule azithromycine + zinc, sont actuellement sous pression du CNOM (Conseil national français de l'Ordre des médecins) qui les menace de suspension. Le reproche du CNOM concerne en particulier le fait d'avoir médiatisé cette " thérapie " dans des journaux grand public. Au moins un médecin généraliste belge utilise également ce traitement. Quel serait la réaction du Conseil national belge de l'Ordre des médecins face à des médecins de 1ère ligne qui pratiqueraient une médecine expérimentale et compassionnelle estimant que c'est mieux que de " laisser mourir les patients sans rien faire " ?L'heure n'est pas aux menaces en Belgique et il faut espérer que les médecins soient capables de s'émanciper d'une approche binaire très réductrice, du genre " c'est ça ou rien ".Par ailleurs, on peut regretter que le traitement expérimental AZI + Zn ait été lancé par voie de presse tout public, pour deux motifs :Le premier est que la grande presse n'est pas une littérature scientifique. C'est dans une revue scientifique que de telles propositions doivent être faites sur base d'études menées de manière scientifique et répondant au prescrit en la matière qui permet d'assurer la qualité du traitement et, par là même, le respect du patient.Le deuxième est que ce type de publication, non fondée scientifiquement, est de nature à concourir au flou majeur d'informations diverses, divergentes et cacophoniques qui entoure le traitement du COVID-19.Plus généralement, comment l'Ordre des médecins envisage ses missions dans les semaines qui viennent face à ce dangereux coronavirus ?Le Conseil national veille à adapter ses recommandations de bon comportement aux contingences liées à la situation sanitaire actuelle. Il suffit de consulter ses avis et communiqués de presse des 18 mars 2020, 26 mars 2020, 31 mars 2020, 2 avril 2020, 3 avril 2020 et du 17 avril 2020, disponibles sur son site www.ordomedic.be sous l'onglet COVID-19.Un dialogue direct a été initié avec les autorités concernant les problèmes déontologiques, afin de pouvoir y apporter une réponse (notamment concernant la sécurisation des plateformes pour la consultation médicale sans contact physique).Nous encourageons les confrères en leur apportant notre assistance et notre aide, par exemple en leur délivrant une attestation justifiant leurs déplacements (https://www.ordomedic.be/fr/intranet/covid-19 ). En outre, nous répondons tant au niveau national que provincial aux nombreuses questions que les médecins nous adressent. Ces questions portent sur des sujets éthiques, déontologiques mais également sur la recherche de recommandations et d'informations pratiques concernant la gestion de la crise.Nous souhaitons également informer le public dans la plus grande transparence. C'est pourquoi toute personne intéressée peut trouver sur le site www.ordomedic.be sous l'onglet COVID-19 les questions les plus fréquentes posées à l'Ordre à propos de la crise sanitaire et les réponses formulées.J'ajoute que la structure " médecins en difficulté " apporte son aide aux médecins qui rencontrent des difficultés personnelles du fait de cette crise.Enfin, les défis auxquels les médecins ont été confrontés durant cette crise et les bouleversements dans la pratique médicale qu'elle a entraînés alimenteront nécessairement les prochaines discussions du Conseil national. Dans ce contexte, il ne manquera pas d'interroger les associations médicales professionnelles et scientifiques afin de recueillir leur point de vue sur les questions de déontologie médicale générées par cette situation.Propos recueillis par Nicolas de Pape