Le corps médical est évidemment bien placé pour le savoir: une accumulation de graisse viscérale ou autour d'organes comme le coeur peut passer inaperçue avec le seul calcul de l'IMC, alors que cette adiposité s'avère en réalité bien plus délétère pour la santé. Un IMC normal ne signifie donc pas automatiquement qu'une personne est en bonne santé, c'est clair depuis longtemps.

Par ailleurs, a contrario, vu qu'une personne avec un IMC égal ou supérieur à 25 est considérée en surpoids (et obèse au-delà de 30), quelqu'un de très musclé peut être catégorisé, à tort, en excès pondéral. L'IMC seul peut donc compromettre tant l'approche thérapeutique que les politiques de santé publique.

En quête d'un consensus

Certaines personnes ont tendance à stocker du gras dans et autour d'organes comme le foie ou le coeur, ce qui est plus problématique que d'avoir trop de graisse cutanée au niveau des membres, explique Robert Eckel (Université du Colorado), coauteur d'un article paru ce 14 janvier dans The Lancet (diabetes & endocrinology).

Alors, comment définir l'obésité clinique en tant qu'état pathologique qui, comme la notion de "maladie chronique" dans d'autres spécialités médicales, résulte directement de l'effet d'un excès d'adiposité sur le fonctionnement des organes et tissus? "Des critères objectifs pour le diagnostic de la maladie aideraient à la prise de décisions cliniques et à la hiérarchisation des interventions thérapeutiques et des stratégies de santé publique", notent les auteurs de l'étude.

Quelque 58 experts issus de plusieurs spécialités médicales et différents pays (The Lancet Diabetes & Endocrinology Commission on Clinical Obesity) ont examiné les données disponibles et participé à l'élaboration d'un consensus. Y figuraient également des personnes ayant une expérience vécue de l'obésité pour prendre en compte le point de vue des patients.

Obésité préclinique vs. clinique

"Nous définissons l'obésité clinique comme une maladie systémique chronique, caractérisée par des altérations fonctionnelles des tissus, des organes, de l'individu tout entier ou d'une combinaison de ces éléments, dues à un excès d'adiposité", concluent les auteurs. "Elle peut entraîner des lésions graves des organes, avec des complications potentiellement mortelles (crise cardiaque, AVC, insuffisance rénale)."

© The Lancet

L'obésité préclinique constitue, elle, un "état d'adiposité excessive avec une fonction préservée des autres tissus et organes et un risque variable, mais généralement accru, de développer une obésité clinique et plusieurs autres maladies non transmissibles (diabète de type 2, maladies cardiovasculaires, certains types de cancer, troubles mentaux)."

Les experts font donc un distinguo entre obésité préclinique et clinique - soit entre santé et maladie - et ce, dans un but clinique et politique. L'IMC ne suffit donc plus, dans ce contexte: "Nous recommandons que l'IMC soit utilisé uniquement comme mesure de substitution du risque pour la santé au niveau de la population, pour les études épidémiologiques ou à des fins de dépistage, plutôt que comme une mesure individuelle de la santé", soulignent les auteurs de l'article.

Des mesures pour compléter l'IMC

Pour évaluer l'excès d'adiposité, il faut, outre l'IMC, une mesure directe de la graisse corporelle si c'est possible, soit par au moins un critère anthropométrique (tour de taille, rapport taille-hanche ou taille-taille), en utilisant des méthodes validées et des seuils adaptés (âge, genre et origine ethnique). Chez les personnes >40 kg/m2, les experts estiment toutefois qu'on peut "présupposer un excès d'adiposité", aucune autre confirmation n'est dès lors nécessaire.

Prise en charge

En cas d'obésité préclinique, les patients devraient bénéficier de conseils fondés sur des données probantes, d'un suivi et, le cas échéant, "d'une intervention appropriée visant à réduire le risque de développer une obésité clinique et d'autres maladies liées à l'obésité", souligne l'étude.

Le diagnostic d'obésité clinique repose, lui, sur ces critères : des symptômes ou tests diagnostiques montrant des anomalies fonctionnelles d'un ou plusieurs organes et/ou des limitations substantielles (ajustées à l'âge) sur la mobilité et activités de base de la vie quotidienne (s'habiller, se laver, se nourir, aller aux toilettes). "Les personnes souffrant d'obésité clinique doivent recevoir en temps utile un traitement fondé sur des données probantes, dans le but d'obtenir une amélioration (ou une rémission, si possible) des manifestations cliniques de l'obésité et de prévenir l'évolution vers des lésions des organes terminaux."

Les auteurs font également des recommandations politiques: "les stratégies de santé publique visant à réduire l'incidence et la prévalence de l'obésité au niveau de la population doivent être fondées sur les preuves scientifiques actuelles plutôt que sur des hypothèses non prouvées qui attribuent à l'individu la responsabilité du développement de l'obésité. Les préjugés et la stigmatisation liés au poids sont des obstacles majeurs aux efforts de prévention et de traitement efficaces de l'obésité." Et d'ajouter que "les professionnels de la santé et les décideurs politiques devraient recevoir une formation adéquate pour aborder ce problème important qu'est l'obésité".

Dépasser les préjugés

Enfin, les experts concluent en écrivant que: "Bien que le fait de considérer globalement l'obésité comme une maladie puisse susciter des inquiétudes légitimes quant au risque de surdiagnostic, avec des conséquences néfastes tant pour les individus que pour la société, l'obésité clinique reflète objectivement une maladie en cours et constitue donc une cible rationnelle et médicalement significative pour le diagnostic et la hiérarchisation des traitements. Nous espérons qu'un tel recadrage pourra éclairer les politiques de santé publique, faciliter l'identification des cibles appropriées pour les stratégies de prévention et de traitement, et contribuer à surmonter les idées fausses qui renforcent les préjugés et la stigmatisation liés au poids."

Ce consensus a été approuvé par 76 organisations internationales, parmi lesquelles des sociétés scientifiques et des associations de patients.

C.V.

Le corps médical est évidemment bien placé pour le savoir: une accumulation de graisse viscérale ou autour d'organes comme le coeur peut passer inaperçue avec le seul calcul de l'IMC, alors que cette adiposité s'avère en réalité bien plus délétère pour la santé. Un IMC normal ne signifie donc pas automatiquement qu'une personne est en bonne santé, c'est clair depuis longtemps. Par ailleurs, a contrario, vu qu'une personne avec un IMC égal ou supérieur à 25 est considérée en surpoids (et obèse au-delà de 30), quelqu'un de très musclé peut être catégorisé, à tort, en excès pondéral. L'IMC seul peut donc compromettre tant l'approche thérapeutique que les politiques de santé publique.Certaines personnes ont tendance à stocker du gras dans et autour d'organes comme le foie ou le coeur, ce qui est plus problématique que d'avoir trop de graisse cutanée au niveau des membres, explique Robert Eckel (Université du Colorado), coauteur d'un article paru ce 14 janvier dans The Lancet (diabetes & endocrinology).Alors, comment définir l'obésité clinique en tant qu'état pathologique qui, comme la notion de "maladie chronique" dans d'autres spécialités médicales, résulte directement de l'effet d'un excès d'adiposité sur le fonctionnement des organes et tissus? "Des critères objectifs pour le diagnostic de la maladie aideraient à la prise de décisions cliniques et à la hiérarchisation des interventions thérapeutiques et des stratégies de santé publique", notent les auteurs de l'étude. Quelque 58 experts issus de plusieurs spécialités médicales et différents pays (The Lancet Diabetes & Endocrinology Commission on Clinical Obesity) ont examiné les données disponibles et participé à l'élaboration d'un consensus. Y figuraient également des personnes ayant une expérience vécue de l'obésité pour prendre en compte le point de vue des patients."Nous définissons l'obésité clinique comme une maladie systémique chronique, caractérisée par des altérations fonctionnelles des tissus, des organes, de l'individu tout entier ou d'une combinaison de ces éléments, dues à un excès d'adiposité", concluent les auteurs. "Elle peut entraîner des lésions graves des organes, avec des complications potentiellement mortelles (crise cardiaque, AVC, insuffisance rénale)." L'obésité préclinique constitue, elle, un "état d'adiposité excessive avec une fonction préservée des autres tissus et organes et un risque variable, mais généralement accru, de développer une obésité clinique et plusieurs autres maladies non transmissibles (diabète de type 2, maladies cardiovasculaires, certains types de cancer, troubles mentaux)."Les experts font donc un distinguo entre obésité préclinique et clinique - soit entre santé et maladie - et ce, dans un but clinique et politique. L'IMC ne suffit donc plus, dans ce contexte: "Nous recommandons que l'IMC soit utilisé uniquement comme mesure de substitution du risque pour la santé au niveau de la population, pour les études épidémiologiques ou à des fins de dépistage, plutôt que comme une mesure individuelle de la santé", soulignent les auteurs de l'article. Pour évaluer l'excès d'adiposité, il faut, outre l'IMC, une mesure directe de la graisse corporelle si c'est possible, soit par au moins un critère anthropométrique (tour de taille, rapport taille-hanche ou taille-taille), en utilisant des méthodes validées et des seuils adaptés (âge, genre et origine ethnique). Chez les personnes >40 kg/m2, les experts estiment toutefois qu'on peut "présupposer un excès d'adiposité", aucune autre confirmation n'est dès lors nécessaire.En cas d'obésité préclinique, les patients devraient bénéficier de conseils fondés sur des données probantes, d'un suivi et, le cas échéant, "d'une intervention appropriée visant à réduire le risque de développer une obésité clinique et d'autres maladies liées à l'obésité", souligne l'étude.Le diagnostic d'obésité clinique repose, lui, sur ces critères : des symptômes ou tests diagnostiques montrant des anomalies fonctionnelles d'un ou plusieurs organes et/ou des limitations substantielles (ajustées à l'âge) sur la mobilité et activités de base de la vie quotidienne (s'habiller, se laver, se nourir, aller aux toilettes). "Les personnes souffrant d'obésité clinique doivent recevoir en temps utile un traitement fondé sur des données probantes, dans le but d'obtenir une amélioration (ou une rémission, si possible) des manifestations cliniques de l'obésité et de prévenir l'évolution vers des lésions des organes terminaux."Les auteurs font également des recommandations politiques: "les stratégies de santé publique visant à réduire l'incidence et la prévalence de l'obésité au niveau de la population doivent être fondées sur les preuves scientifiques actuelles plutôt que sur des hypothèses non prouvées qui attribuent à l'individu la responsabilité du développement de l'obésité. Les préjugés et la stigmatisation liés au poids sont des obstacles majeurs aux efforts de prévention et de traitement efficaces de l'obésité." Et d'ajouter que "les professionnels de la santé et les décideurs politiques devraient recevoir une formation adéquate pour aborder ce problème important qu'est l'obésité".Enfin, les experts concluent en écrivant que: "Bien que le fait de considérer globalement l'obésité comme une maladie puisse susciter des inquiétudes légitimes quant au risque de surdiagnostic, avec des conséquences néfastes tant pour les individus que pour la société, l'obésité clinique reflète objectivement une maladie en cours et constitue donc une cible rationnelle et médicalement significative pour le diagnostic et la hiérarchisation des traitements. Nous espérons qu'un tel recadrage pourra éclairer les politiques de santé publique, faciliter l'identification des cibles appropriées pour les stratégies de prévention et de traitement, et contribuer à surmonter les idées fausses qui renforcent les préjugés et la stigmatisation liés au poids."Ce consensus a été approuvé par 76 organisations internationales, parmi lesquelles des sociétés scientifiques et des associations de patients.C.V.