Depuis plusieurs décennies, des conflits armés, des pillages et des viols ont ravagé la RDC et plus particulièrement le Sud-Kivu. Ces violences omniprésentes laissent de profonds traumatismes physiques mais aussi psychologiques. Quelques ONG pionnières ont décidé de prendre en charge la santé mentale dans cette région.
À l'aube du 60e anniversaire de l'indépendance du Congo (le 30 juin 1960), une mission a été organisée par Jean-Pascale Labille, secrétaire général de Solidaris, dans le pays. De retour de Kinshasa, plusieurs grandes priorités se sont dégagées dont celle de mettre en place une couverture de santé universelle à l'instar de celle créée au Rwanda, raconte Colette Braeckman dans Le Soir du 21 janvier. Un appel qui sera remis à l'actuel ministre belge des Affaires étrangères Philippe Goffin ainsi qu'à son éventuel successeur.
Si des projets sont mis sur pied pour améliorer la santé physique au Sud-Kivu, très peu d'activités concrètes sont mises en place dans cette province pour apporter un soutien aux personnes en détresse psychologique. Faute de moyens et de structures mais aussi influencée par les croyances et la religion, la population s'oriente souvent vers les guérisseurs ou les chambres de prières, où beaucoup subissent des traitements inhumains.
Différentes thérapies sont dès lors proposées par des ONG en partenariat avec des associations telles que des groupes de parole, des séances d'écoute ou de conseil. Des formations du personnel soignant sont également organisées ainsi qu'une sensibilisation de la population à la problématique afin que les patients soient orientés vers des services adéquats et compétents. Louvain Coopération fait partie de ces ONG pionnières dans le domaine de la prise en charge de la santé mentale dans cette région. Elle est soutenue par l'UCLouvain et travaille en collaboration avec le Centre d'assistance médico-psychosociale (Camps) et la Fondation Panzi.
Sophie Wyseur, Coordinatrice des programmes Sud de Louvain Coopération : " Notre vrai projet santé mentale au Sud-Kivu a commencé en 2017 avec les deux partenaires locaux actuels : le Camps et la fondation Panzi qui a comme directeur le Dr Mukwegue. Un projet précédent a été créé avec un petit partenaire en 2014-2016, mais il n'a pas donné satisfaction et on a donc dû changer de partenaire ", poursuit-elle.
Il s'agit d'un projet de santé mentale assez vaste qui intervient dans la sensibilisation des gens et la formation du personnel de santé, explique la coordinatrice des programmes. " Les gens sont très pudiques en RDC et ils n'aiment pas parler de leurs problèmes psychologiques. C'est quelque chose d'encore assez tabou dans cette société. La sensibilisation des communautés permet d'identifier les problèmes psychiques et de leur apprendre à ne pas juger les personnes. "
L'autre volet tout aussi important est celui des formations du personnel soignant qui cible les infirmiers titulaires chef des centres de santé et les médecins. " Ces formations ont lieu dans trois zones rurales et une zone urbaine. Nous suivons le MH Gap qui est un guide rédigé par l'OMS, spécialisé dans la prise en charge des problèmes psychiques. Si les problèmes rencontrés dépassent la possibilité de prise en charge simple, les personnes formées réfèrent alors vers un psychologue et un assistant social ou un psychiatre en hôpital dans le cas où la médicamentation est nécessaire. À ce niveau-là, je trouve que le système de soins de santé en RDC est assez bien organisé ", ajoute la coordinatrice.
Sophie Wyseur : " Dans les pays où nous intervenons, les facultés de psychologies n'existent pas depuis si longtemps et cela reste quelque chose de très neuf. Les psychologues et psychiatres ne sont donc pas nombreux.
Un programme transversal
Des projets semblables sont menés dans d'autres pays. " Ce projet est très semblable à celui mené au Burundi car il y a beaucoup de pathologies similaires avec des traumatismes semblables comme les pillages, les viols, la violence sexuelle et les conflits armés. "
" En Bolivie, il existe également un projet de santé mentale, mais qui est plus lié à l'agressivité des hommes envers les femmes. Le taux d'agressions conjugales est très important dans ce pays et nous ciblons dès lors plus les femmes victimes de violences conjugales et intrafamiliales. Il y a une sensibilisation à la notion de masculinité qui pourrait s'exprimer autrement. Nous sensibilisons les gens à changer de comportement, et cela fonctionne sous le même principe que pour les alcooliques anonymes, par des groupes de paroles. "
Les groupes de parole sont une façon d'aider les gens à comprendre leurs problèmes et à ne pas se sentir seuls face à ceux-ci. " Plusieurs groupes de parole sont menés au Sud-Kivu ; celui des fillesmères par exemple, qui, dans ce milieu très religieux, sont encore fortement jugées, voire même parfois rejetées par leur famille lorsqu'elles tombent enceinte et ne sont pas mariées. Elles finissent par s'isoler. Un autre groupe de parole est celui des femmes victimes de violences sexuelles, et ensuite, comme nous avons un projet d'appui aux enfants des rues, des groupes de parole sont organisés pour qu'ils se rencontrent et discutent entre eux de problèmes semblables. Le fait de reconnaître ses problèmes et d'en parler aide énormément les personnes. "
Intégrer la psychologie dans les mentalités
" Dans les pays où nous intervenons, les facultés de psychologie restent quelque chose de très neuf. Les psychologues et psychiatres ne sont donc pas nombreux. Chez nous aussi, en Europe, le principe d'aller voir un psy n'est pas si vieux finalement ", poursuit Sophie Wyseur.
Héritier Ndjunga, psychologue coordinateur du projet Santé mentale de Louvain Coopération au sein du Camps : " Il y a beaucoup de problèmes de santé physique pris en charge, mais il y aussi des détresses psychologiques qui elles sont par contre laissées de côté. C'est pourquoi notre association Camps a décidé de soutenir la prise en charge dans les zones rurales du Sud-Kivu. " Après avoir étudié la psychologie clinique à l'université de Kisangani, Héritier Ndjunga a été recruté pour travailler avec l'association Camps en 2009, afin de suivre les survivants des violences sexuelles et les syndromes post traumatiques. Il travaille depuis trois ans en collaboration avec Louvain Coopération. " L'association Camps appuie les zones rurales et la Fondation Panzi, elle, se trouve dans le zone urbaine. Il faut savoir que la psychologie est mieux intégrée dans le milieu urbain grâce aux médias et à la sensibilisation, que dans les milieux ruraux où il y a encore beaucoup de travail à faire. Même si les pathologies sont les mêmes. "
Au niveau politique, l'appui n'est pas toujours très clair, ajoute Héritier Ndjunga. " Il y a eu un premier atelier de santé mentale à Kinshasa en 1989, et puis un projet pilote au Sud-Kivu. Mais pas beaucoup de suivi par la suite. Même si la position et le rôle du psychologue est reconnu par l'État congolais, il ne prend pas en charge les psychologues comme les infirmiers. "
Quant à la population, la fonction n'est pas encore bien intégrée non plus. Elle ne comprend pas encore pourquoi un psychologue doit être rémunéré.
" Ici, tous les médecins et infirmiers sont formés à une écoute active, et ils référent vers un psy voire un psychiatre dans les cas plus graves, à Katana. Mais il y a aussi des agents psychosociaux qui travaillent dans les communautés et se chargent de détecter les problèmes. Ils travaillent avec des relais. Souvent les patients viennent avec des plaintes somatiques qui viennent de problèmes psychologiques. "
" On peut dire malgré tout qu'il y a eu une avancée significative au niveau de l'appui de la santé mentale. La population reçoit des soins et c'est important. Ça devrait être plus étendu dans tout le Sud-Kivu. Notre projet est en quelque sorte un projet pilote pour la région ", conclut Héritier Ndjunga.
À l'aube du 60e anniversaire de l'indépendance du Congo (le 30 juin 1960), une mission a été organisée par Jean-Pascale Labille, secrétaire général de Solidaris, dans le pays. De retour de Kinshasa, plusieurs grandes priorités se sont dégagées dont celle de mettre en place une couverture de santé universelle à l'instar de celle créée au Rwanda, raconte Colette Braeckman dans Le Soir du 21 janvier. Un appel qui sera remis à l'actuel ministre belge des Affaires étrangères Philippe Goffin ainsi qu'à son éventuel successeur.Si des projets sont mis sur pied pour améliorer la santé physique au Sud-Kivu, très peu d'activités concrètes sont mises en place dans cette province pour apporter un soutien aux personnes en détresse psychologique. Faute de moyens et de structures mais aussi influencée par les croyances et la religion, la population s'oriente souvent vers les guérisseurs ou les chambres de prières, où beaucoup subissent des traitements inhumains.Différentes thérapies sont dès lors proposées par des ONG en partenariat avec des associations telles que des groupes de parole, des séances d'écoute ou de conseil. Des formations du personnel soignant sont également organisées ainsi qu'une sensibilisation de la population à la problématique afin que les patients soient orientés vers des services adéquats et compétents. Louvain Coopération fait partie de ces ONG pionnières dans le domaine de la prise en charge de la santé mentale dans cette région. Elle est soutenue par l'UCLouvain et travaille en collaboration avec le Centre d'assistance médico-psychosociale (Camps) et la Fondation Panzi.Sophie Wyseur, Coordinatrice des programmes Sud de Louvain Coopération : " Notre vrai projet santé mentale au Sud-Kivu a commencé en 2017 avec les deux partenaires locaux actuels : le Camps et la fondation Panzi qui a comme directeur le Dr Mukwegue. Un projet précédent a été créé avec un petit partenaire en 2014-2016, mais il n'a pas donné satisfaction et on a donc dû changer de partenaire ", poursuit-elle.Il s'agit d'un projet de santé mentale assez vaste qui intervient dans la sensibilisation des gens et la formation du personnel de santé, explique la coordinatrice des programmes. " Les gens sont très pudiques en RDC et ils n'aiment pas parler de leurs problèmes psychologiques. C'est quelque chose d'encore assez tabou dans cette société. La sensibilisation des communautés permet d'identifier les problèmes psychiques et de leur apprendre à ne pas juger les personnes. "L'autre volet tout aussi important est celui des formations du personnel soignant qui cible les infirmiers titulaires chef des centres de santé et les médecins. " Ces formations ont lieu dans trois zones rurales et une zone urbaine. Nous suivons le MH Gap qui est un guide rédigé par l'OMS, spécialisé dans la prise en charge des problèmes psychiques. Si les problèmes rencontrés dépassent la possibilité de prise en charge simple, les personnes formées réfèrent alors vers un psychologue et un assistant social ou un psychiatre en hôpital dans le cas où la médicamentation est nécessaire. À ce niveau-là, je trouve que le système de soins de santé en RDC est assez bien organisé ", ajoute la coordinatrice.Des projets semblables sont menés dans d'autres pays. " Ce projet est très semblable à celui mené au Burundi car il y a beaucoup de pathologies similaires avec des traumatismes semblables comme les pillages, les viols, la violence sexuelle et les conflits armés. "" En Bolivie, il existe également un projet de santé mentale, mais qui est plus lié à l'agressivité des hommes envers les femmes. Le taux d'agressions conjugales est très important dans ce pays et nous ciblons dès lors plus les femmes victimes de violences conjugales et intrafamiliales. Il y a une sensibilisation à la notion de masculinité qui pourrait s'exprimer autrement. Nous sensibilisons les gens à changer de comportement, et cela fonctionne sous le même principe que pour les alcooliques anonymes, par des groupes de paroles. "Les groupes de parole sont une façon d'aider les gens à comprendre leurs problèmes et à ne pas se sentir seuls face à ceux-ci. " Plusieurs groupes de parole sont menés au Sud-Kivu ; celui des fillesmères par exemple, qui, dans ce milieu très religieux, sont encore fortement jugées, voire même parfois rejetées par leur famille lorsqu'elles tombent enceinte et ne sont pas mariées. Elles finissent par s'isoler. Un autre groupe de parole est celui des femmes victimes de violences sexuelles, et ensuite, comme nous avons un projet d'appui aux enfants des rues, des groupes de parole sont organisés pour qu'ils se rencontrent et discutent entre eux de problèmes semblables. Le fait de reconnaître ses problèmes et d'en parler aide énormément les personnes. "" Dans les pays où nous intervenons, les facultés de psychologie restent quelque chose de très neuf. Les psychologues et psychiatres ne sont donc pas nombreux. Chez nous aussi, en Europe, le principe d'aller voir un psy n'est pas si vieux finalement ", poursuit Sophie Wyseur.Héritier Ndjunga, psychologue coordinateur du projet Santé mentale de Louvain Coopération au sein du Camps : " Il y a beaucoup de problèmes de santé physique pris en charge, mais il y aussi des détresses psychologiques qui elles sont par contre laissées de côté. C'est pourquoi notre association Camps a décidé de soutenir la prise en charge dans les zones rurales du Sud-Kivu. " Après avoir étudié la psychologie clinique à l'université de Kisangani, Héritier Ndjunga a été recruté pour travailler avec l'association Camps en 2009, afin de suivre les survivants des violences sexuelles et les syndromes post traumatiques. Il travaille depuis trois ans en collaboration avec Louvain Coopération. " L'association Camps appuie les zones rurales et la Fondation Panzi, elle, se trouve dans le zone urbaine. Il faut savoir que la psychologie est mieux intégrée dans le milieu urbain grâce aux médias et à la sensibilisation, que dans les milieux ruraux où il y a encore beaucoup de travail à faire. Même si les pathologies sont les mêmes. "Au niveau politique, l'appui n'est pas toujours très clair, ajoute Héritier Ndjunga. " Il y a eu un premier atelier de santé mentale à Kinshasa en 1989, et puis un projet pilote au Sud-Kivu. Mais pas beaucoup de suivi par la suite. Même si la position et le rôle du psychologue est reconnu par l'État congolais, il ne prend pas en charge les psychologues comme les infirmiers. "Quant à la population, la fonction n'est pas encore bien intégrée non plus. Elle ne comprend pas encore pourquoi un psychologue doit être rémunéré." Ici, tous les médecins et infirmiers sont formés à une écoute active, et ils référent vers un psy voire un psychiatre dans les cas plus graves, à Katana. Mais il y a aussi des agents psychosociaux qui travaillent dans les communautés et se chargent de détecter les problèmes. Ils travaillent avec des relais. Souvent les patients viennent avec des plaintes somatiques qui viennent de problèmes psychologiques. "" On peut dire malgré tout qu'il y a eu une avancée significative au niveau de l'appui de la santé mentale. La population reçoit des soins et c'est important. Ça devrait être plus étendu dans tout le Sud-Kivu. Notre projet est en quelque sorte un projet pilote pour la région ", conclut Héritier Ndjunga.