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Dans un déluge quasi psychédélique d'images, d'objets, de films, l'exposition londonienne décrit cette sorte de lave d'urgence en fusion (de sperme?), cette débauche de créativité qui va déferler sur les jusque-là grises années d'après-guerre.Une guerre que la jeune génération n'a pas connue, et déjà ébranlée par quelques menues secousses depuis le début des sixties, avant le "youthquake" (sic!) de la fin de la décennie. L'érection (ben oui) du mur de Berlin, la course à la bombe (extrait de Docteur Folamour de Kubrick), présentation du livre de Tom Wolfe, et bien sûr une arche de pochettes de disques dont on entend des extraits à l'audioguide ; le principe posé, l'expo s'intéresse à la période 66- 70 et, bien entendu, débute par le Swinging London. S'en détachent au niveau de la mode, la figure de Twiggy, ses photos, ses robes, comme les costumes de scènes de Mick Jagger, Sandy Shaw et des Beatles. L'expo insiste sur le fait que les Pete Townshend, les Keith Richards, les Roger Waters et autre John Lennon ont tous suivi des cours à l'Art School, comme le démontre le côté artistique et travaillée de leur production musicale, notamment les pochettes. Un panorama photographique montre Terence Stamp, Michael Caine, jeunes figures de l'écran à l'époque ainsi d'autres vedettes oubliées et se concentre sur le Blow up d'Antonioni au niveau cinéma.La libération sexuelle, celle des corps et des esprits en cours doit aussi aux clubs comme l'UFO de Londres, à l'exotisme, notamment indien (est exposé, le sitar d'Harrison), et bien sûr aux drogues, lesquelles ravagèrent notamment Syd Barrett, premier leader du Floyd. Une collection d'albums et de livres (Hunter S. Thompson, auteur de Fear and Loathing in Las Vegas et chantre comme Tom Wolfe du nouveau journalisme) démontre l'influence de la dope sur la créatitivé : celle de Cream, T-Rex ou Pink Floyd, mais aussi de moins célèbres comme Black Widow et Quicksilver Messenger Service.L'aspect politique de ce mouvement de jeunesse est aussi pris en compte au travers de la musique de Zappa, des MC5, de LP d'extraits de discours de Malcom X, de Martin Luther King ou d'affiches : l'une d'elles demande la libération d'Angela Davis, grande figure du féminisme américain, membre du parti communiste, et supportrice du Black power mise en prison en septante par un certain Ronald Reagan, alors gouverneur de la Californie (il a sa stature sur Grovesnor Square à Londres. Et dans vingt ans, elle sera remplacée par celle de Trump?).Toute anglaise qu'elle soit, l'expo n'oublie pas la révolte de mai 68 avec le Paris mai de Nougaro en fond sonore, et notamment les ouvrages des penseurs qui l'accompagnent ; La société du spectacle de Guy Debord ou le Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations... de notre compatriote Raoul Vaneigem. D'autres mutineries sociales en cours sont représentées : le féminisme, notamment au travers du costume de Barbarella, le mouvement noir (les Black Panthers à Mexico) notamment au travers d'une photographie rare de Malcom X et Mohamed Ali, ou les manifestations étudiantes en Amérique contre la guerre du Vietnam suite aux bombardements du Cambodge neutre (4 morts à Kent State, des étudiants sans armes abattus par la police).Cette libération passe par une autre, économique et publicitaire, dénoncée par des groupes comme les Stones (rétrospectivement, on croit rêver...) dans I can get no ou les Who et la pochette qui moque la pub et les haricots Heinz de The who sell out. Cette partie est l'occasion pour le "V & A" de rappeler son approche des arts décoratifs en présentant notamment la Cosmos dress de Cardin, le fauteuil oeuf pivotant de Eero Aarnio ou un équipement de cosmonaute puisque c'est aussi l'époque où l'homme s'affranchit... de la pesanteur. Le point d'orgue de l'expo est une immense salle qui rappelle l'importance des festivals aux States comme en Europe (sur l'île de White, par exemple), décorée d'une centaine de pochettes (aussi bien les Stooges, que Al Stewart ou Jethro Tull) de groupes qui y participèrent, notamment Woodstock dont Jimi Hendrix reste le symbole et celui de cette exposition. Son interprétation de l'hymne américain, sa guitare imitant le bruit des bombes (l'exposition présente aussi ses guitares et un de ses costumes de scène) résonne comme une sorte de chant du cygne de ses cinq années de pétulance bigarrée. Sa mort l'année d'après suit celle de la candeur festivalière : de festif, l'évènement musical est synonyme de mort avec la tragédie d'Altamont (et les meurtres rituels perpétrés par Charles Manson ), les idées de communautés, d'écologie (reprise par Marvin Gaye sur What's going on ?) notamment développées par les premiers informaticiens de la Silicon Valley, se heurtent au repli et connaissent la reprise en main des autorités ; aux États-Unis bien sûr, mais aussi en Angleterre où le magazine libertaire psychédélique OZ est accusé de débauche ses responsables mis en prison malgré l'intervention du comédien Marty Feldman durant le procès qu'il transforme en farce, avec la complicité des accusés. Dommage que cette passionnante expo, à l'instar d'une affiche de l'époque, déborde un peu trop, tout en donnant à réfléchir dans l'époque de racrapotage qui est la nôtre actuellement, n'insiste que sur sa fin sur le passage du "nous" au "je", du collectif "moutonnier" à l'individualisme forcené. You say you want a revolution?, qui est malheureusement visitée plus par des vieux nostalgiques assez désabusés que par des jeunes curieux, se clôt sur des témoignages et les mots du grand linguiste Noam Chomsky, dénonçant le fait que plutôt que de créer des citoyens, toute cette agitation n'a engendré que des consommateurs.Ce qui n'empêche pas les organisateurs de proposer à la fin du parcours un bookshop presqu'aussi imposant que leur exposition.