Le 17 septembre 2022, à l'Institut de sociologie de l'ULB, l'Amgix (Association des médecins généralistes d'Ixelles et d'Etterbeek), m'avait demandé d'ouvrir son colloque annuel sur l'hôpital du futur. A la question, "êtes-vous satisfaits des hôpitaux?", aucune main levée. "Quoi, rien de bon? Ils font tout de même des choses extraordinaires, non?" Quelques approbations.
J'ai l'impression que les colloques se répètent pour ne rien dire. Un grand déséquilibre entre le faire et le parler du faire caractérise nos sociétés. Déséquilibre entre le terrain des malades, de leurs médecins et soignants et les innombrables étages d'intervenants à distance. Ceux-ci convoquent des réunions, organisent des symposiums ou rédigent des rapports et des recommandations sur des problèmes qu'ils ne voient que de haut. Quel écart aussi entre l'argent rationné aux pratiques et l'argent largement distribué au blabla sur les pratiques. On pourrait nous reprocher ce samedi d'être aussi des bavards! Que non! Bravo à tous les présents! Ils bossent toute la semaine et viennent un samedi réfléchir gratis pro Deo à l'hôpital du futur. Ceci dit, il y a une grave carence de compréhension entre la base et le sommet des soins de santé. Les professions versées dans l'art de parler du faire et d'informer les dirigeants ont donc un rôle essentiel de médiation à jouer. Ne me sentant pas plus légitime qu'un autre pour parler seul d'un tel sujet, j'ai fait une petite enquête auprès d'un éventail de personnes, y compris des patients.
J'ai l'impression que les colloques se répètent pour ne rien dire. Un grand déséquilibre entre le faire et le parler du faire caractérise nos sociétés.
On a laissé rêver les médecins
Manfredi Ventura, directeur médical du Grand hôpital de Charleroi, anime la construction du CH Les Viviers, hôpital d'un futur proche: 2024. Il m'a dit: "On a laissé rêver les médecins." Mais quand le rêve devient projet, il faut expliciter une stratégie. Les Viviers se composera de bâtiments modulables, pour répondre à des besoins très différents selon les contextes, de catastrophe, de crise ou de calme. Les mêmes locaux pourront servir d'unités d'hospitalisation, de consultations, de soins intensifs ou... de chambres d'hôtel. En outre, le groupe hospitalier sera divisé en multiples PME coordonnées par la direction générale. Peut-on en conclure que les hôpitaux belges ont déjà pris le tournant? Pas si vite!
Un système de dingues
Lors d'une interview du 6 août 2022 dans La Libre, le Dr Ventura a lancé: "On est dans un système de dingues." Si je comprends bien, complètement dingue parce que les leaders des principales parties concernées savent tous en leur for intérieur ce qu'il faudrait faire mais se regardent en chiens de faïence. Pas d'hôpital du futur sans changement des mentalités capables d'inspirer aux politiques des lois de financement plus transparentes et plus simples, demandées par le KCE depuis déjà 2010! Pour faire avancer le schmilblick, des audacieux devront sortir de leurs zones de confort. La technologie et l'argent vont aider.
L'hôpital du futur hors de l'hôpital du présent
Robotique, miniaturisation des scanners et NMR, stéthoscopes ultrasoniques, capteurs et intelligence artificielle vont rapprocher la médecine des patients. Ils veulent des explications claires, moins de temps d'attente, plus d'accompagnement et une limitation des erreurs. Les généralistes voudraient se sentir en famille à l'hôpital, dialoguer avec leurs collègues hospitaliers, suivre les protocoles, avis et traitements, combler les tranchées de non communication grâce à un outil informatique intuitif et convivial. Un généraliste observe l'hallucinante dégradation des conditions de travail des soignants contraints d'encoder des réponses à des questionnaires destinés à de pompeuses - et souvent trompeuses - accréditations. D'où sa proposition iconoclaste d'abandonner ces fastidieuses procédures! Un généraliste flamand, le Dr Jos Vanhoof, président du Vlaamse Artsensyndicaat (VAS) dresse un tableau en trois points: 1) traitements de haute technologie à domicile ou dans des structures de quartier (dialyse, antibiothérapie intraveineuse, chimiothérapie...) ; 2) extension virtuelle de l'hôpital réel, véritable combinaison de soins traditionnels et de soins numériques intelligents grâce à des dispositifs portables ad hoc permettant un suivi à distance. 3) division de l'hôpital traditionnel en hôtels de soins pour les malades chroniques déstabilisés, en centres médicaux offrant de nombreux services et en entités spécifiques (focused factory) où seules certaines techniques sont réalisées en grand nombre de manière systématisée (prothèses totales de hanche ou de genou, chirurgie de l'oesophage, chirurgie bariatrique,...). En outre, des équipes mobiles de chirurgiens, infirmiers et autres soignants vont louer temporairement des structures desservant une région.
Tous voient donc l'hôpital du futur comme un lieu de médecine aiguë hautement technique, tout le reste étant fait en ambulatoire, en ce compris de nombreux actes chirurgicaux. Gilbert Bejjani, dynamique président de l'Absym Bruxelles, résume: nous allons vers un système de soins intégrés sous l'impulsion des technologies de la communication (TICs) et des attitudes de plus en plus proactives des patients, favorisées par ces techniques. Pour le Pr Jacques Deviere, entreprenant innovateur de la gastro-entérologie, cela ne se fera pas sans douleur. Les services de services tels que radiologie, anesthésie, pathologie... vont disparaître, mais pas leurs spécialistes, appelés à se fondre au sein d'entités centrées sur des pathologies. Par ailleurs, cette évolution offre de grandes opportunités aux cliniciens, généralistes ou spécialistes, en interaction constante avec les patients et les collègues.
Tout cela est bien beau mais ne répond pas à la question: comment chacun de nous, ici et maintenant, peut-il influencer l'hôpital du futur?
A suivre: Comment débloquer la Belgique?
J'ai l'impression que les colloques se répètent pour ne rien dire. Un grand déséquilibre entre le faire et le parler du faire caractérise nos sociétés. Déséquilibre entre le terrain des malades, de leurs médecins et soignants et les innombrables étages d'intervenants à distance. Ceux-ci convoquent des réunions, organisent des symposiums ou rédigent des rapports et des recommandations sur des problèmes qu'ils ne voient que de haut. Quel écart aussi entre l'argent rationné aux pratiques et l'argent largement distribué au blabla sur les pratiques. On pourrait nous reprocher ce samedi d'être aussi des bavards! Que non! Bravo à tous les présents! Ils bossent toute la semaine et viennent un samedi réfléchir gratis pro Deo à l'hôpital du futur. Ceci dit, il y a une grave carence de compréhension entre la base et le sommet des soins de santé. Les professions versées dans l'art de parler du faire et d'informer les dirigeants ont donc un rôle essentiel de médiation à jouer. Ne me sentant pas plus légitime qu'un autre pour parler seul d'un tel sujet, j'ai fait une petite enquête auprès d'un éventail de personnes, y compris des patients. Manfredi Ventura, directeur médical du Grand hôpital de Charleroi, anime la construction du CH Les Viviers, hôpital d'un futur proche: 2024. Il m'a dit: "On a laissé rêver les médecins." Mais quand le rêve devient projet, il faut expliciter une stratégie. Les Viviers se composera de bâtiments modulables, pour répondre à des besoins très différents selon les contextes, de catastrophe, de crise ou de calme. Les mêmes locaux pourront servir d'unités d'hospitalisation, de consultations, de soins intensifs ou... de chambres d'hôtel. En outre, le groupe hospitalier sera divisé en multiples PME coordonnées par la direction générale. Peut-on en conclure que les hôpitaux belges ont déjà pris le tournant? Pas si vite! Lors d'une interview du 6 août 2022 dans La Libre, le Dr Ventura a lancé: "On est dans un système de dingues." Si je comprends bien, complètement dingue parce que les leaders des principales parties concernées savent tous en leur for intérieur ce qu'il faudrait faire mais se regardent en chiens de faïence. Pas d'hôpital du futur sans changement des mentalités capables d'inspirer aux politiques des lois de financement plus transparentes et plus simples, demandées par le KCE depuis déjà 2010! Pour faire avancer le schmilblick, des audacieux devront sortir de leurs zones de confort. La technologie et l'argent vont aider. Robotique, miniaturisation des scanners et NMR, stéthoscopes ultrasoniques, capteurs et intelligence artificielle vont rapprocher la médecine des patients. Ils veulent des explications claires, moins de temps d'attente, plus d'accompagnement et une limitation des erreurs. Les généralistes voudraient se sentir en famille à l'hôpital, dialoguer avec leurs collègues hospitaliers, suivre les protocoles, avis et traitements, combler les tranchées de non communication grâce à un outil informatique intuitif et convivial. Un généraliste observe l'hallucinante dégradation des conditions de travail des soignants contraints d'encoder des réponses à des questionnaires destinés à de pompeuses - et souvent trompeuses - accréditations. D'où sa proposition iconoclaste d'abandonner ces fastidieuses procédures! Un généraliste flamand, le Dr Jos Vanhoof, président du Vlaamse Artsensyndicaat (VAS) dresse un tableau en trois points: 1) traitements de haute technologie à domicile ou dans des structures de quartier (dialyse, antibiothérapie intraveineuse, chimiothérapie...) ; 2) extension virtuelle de l'hôpital réel, véritable combinaison de soins traditionnels et de soins numériques intelligents grâce à des dispositifs portables ad hoc permettant un suivi à distance. 3) division de l'hôpital traditionnel en hôtels de soins pour les malades chroniques déstabilisés, en centres médicaux offrant de nombreux services et en entités spécifiques (focused factory) où seules certaines techniques sont réalisées en grand nombre de manière systématisée (prothèses totales de hanche ou de genou, chirurgie de l'oesophage, chirurgie bariatrique,...). En outre, des équipes mobiles de chirurgiens, infirmiers et autres soignants vont louer temporairement des structures desservant une région. Tous voient donc l'hôpital du futur comme un lieu de médecine aiguë hautement technique, tout le reste étant fait en ambulatoire, en ce compris de nombreux actes chirurgicaux. Gilbert Bejjani, dynamique président de l'Absym Bruxelles, résume: nous allons vers un système de soins intégrés sous l'impulsion des technologies de la communication (TICs) et des attitudes de plus en plus proactives des patients, favorisées par ces techniques. Pour le Pr Jacques Deviere, entreprenant innovateur de la gastro-entérologie, cela ne se fera pas sans douleur. Les services de services tels que radiologie, anesthésie, pathologie... vont disparaître, mais pas leurs spécialistes, appelés à se fondre au sein d'entités centrées sur des pathologies. Par ailleurs, cette évolution offre de grandes opportunités aux cliniciens, généralistes ou spécialistes, en interaction constante avec les patients et les collègues. Tout cela est bien beau mais ne répond pas à la question: comment chacun de nous, ici et maintenant, peut-il influencer l'hôpital du futur?