Le 18 septembre dernier, l'opération Télévie atteignait un résultat inespéré en cette période de crise sanitaire avec 10,6 millions d'euros récoltés pour la recherche contre le cancer. La Commission scientifique du Télévie s'est alors réunie le 20 septembre pour sélectionner les meilleurs dossiers parmi les projets déposés. Sur base de ses recommandations, 95 demandes de financement ont été validées par le CA du FNRS. Parmi eux, des cancers plébiscités, mais d'autres également délaissés. Pourquoi? Les explications d'Arsène Burny, président de la Commission scientifique du Télévie, sont surprenantes.
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Le journal du Médecin: En 33 ans, le Télévie a récolté plus de 210 millions d'euros et permis au FNRS de soutenir plus de 2.500 chercheurs dans la lutte contre le cancer. Mais en parcourant la liste des projets déposés cette année, on se rend compte de la prévalence de certains cancers (appareil digestif, cancers du sein), et de l'absence d'autres, comme les cancers de la sphère génito-urinaire. Quelle est l'explication? Pr Arsène Burny: À part le cancer du col de l'utérus, c'est vrai qu'il n'y a guère de recherches actuellement dans ce domaine. Il n'y a, par exemple, presque pas de recherches sur le cancer de la prostate. Est-ce que dû à un manque d'expertise en Belgique? Tout d'abord, la Belgique n'est pas le temple de la recherche scientifique. Quand vous voyez l'investissement d'autres pays comme l'Allemagne, la France, les États-Unis, l'Angleterre ou même les Pays-Bas, l'investissement de la Belgique est faible. Ensuite, il y a un problème d'échantillons. Il faut dire les choses telles qu'elles sont: c'est lié un problème d'interactions directes, honnêtes, franches, entre cliniciens et chercheurs. Il y a peu d'endroits en Belgique où vous trouvez une bonne connexion entre ce qu'on appelle l'hôpital universitaire et la recherche académique. Dans la plupart des cas, l'hôpital universitaire est un lieu de soins comme un autre. On l'appelle universitaire car il forme des candidats médecins, pas parce qu'il participe à la recherche stricto sensu. C'est ça le problème. Que l'on appelle ça hôpital académique à Bruxelles, Cliniques universitaires à Louvain-la-Neuve ou CHU à Liège, tout cela est du pareil au-même. Ce sont peut-être même les Liégeois les plus avancés grâce au Giga qui dispose d'un début, un tout début, d'interactions entre clinique et recherche. Mais il n'y a pas, en Belgique, de Dana- FarberCancerInstitute comme à Boston par exemple. Vous contribuez pourtant depuis plus de 30 ans à améliorer la situation? Nous essayons, mais c'est lourd. Ce n'est pas facile. Les institutions pèsent lourd. Il faut 20 ans pour apercevoir l'esquisse d'un changement. Une institution comme le Télévie permet tout de même à la recherche en oncologie de se développer. Oui, comme vous l'avez mentionné, nous avons fait travailler 2.500 chercheurs dans le monde de la recherche biomédicale et en cancérologie. C'est le gros du troupeau. Mais c'est de la mendicité. C'est un peu fort de devoir dire ça, mais il faut appeler les choses par leur nom. Il y a pourtant de très belles recherches qui se font. Qu'est-ce qui vous motive encore à continuer le combat, plus de 30 ans après la mise sur pied du Télévie? Il y a énormément d'obstacles. Et le monde académique en est largement responsable. Par exemple, le petit laboratoire va disparaître, c'est clair. Il faut des équipes où l'on trouve dans la même pièce celui qui s'intéresse à la physico-chimie d'une réaction à côté de celui qui va voir le patient dans sa chambre. Ces deux personnes doivent discuter ensemble, se frotter l'une à l'autre dans les mêmes couloirs, dans les mêmes endroits. Il doit y avoir plus de mixité. Nous venons de très loin, et c'est qui me motive. Même aujourd'hui, alors que la situation est imparfaite, nous avons fait un tel chemin et il reste tant à faire. Aujourd'hui, on peut rencontrer, en tant que chercheur, un médecin qui s'intéresse à la recherche et inversement, un chercheur qui s'intéresse à la partie clinique. On casse peu à peu le mur qui sépare le chercheur dans son laboratoire et le médecin dans sa clinique? C'est ça. Mais il faut faire tomber ce mur complètement. L'un comme l'autre doivent être dans le même bureau, dans la même pièce ouverte, dans la salle café. On a fait des progrès. Ma motivation est restée intacte. Même si je me suis rendu compte de difficultés énormes que je ne soupçonnais même pas, l'essentiel est de s'en rendre compte, d'en discuter, d'avancer et de voir des médecins faire de la recherche. Ils sont pourtant peu nombreux, trop peu nombreux au goût du FNRS. Effectivement. L'une des raisons est liée à l'obligation de rentabilité des hôpitaux. Cela provoque-t-il une fuite des cerveaux? Sans aucun doute. Il faut permettre au clinicien désireux de faire de la recherche de pouvoir en faire librement, sans obligation de prescrire. Je comprends les directeurs hospitaliers qui doivent équilibrer leur budget. C'est la conception même de l'hôpital universitaire qui n'est pas bonne. Que veut dire le "U" de CHU? C'est une question à se poser. On ne devrait pas pouvoir s'appeler CHU pour la simple raison que l'on accueille des stagiaires. Il y a des tas d'hôpitaux qui accueillent des stagiaires et qui ne sont pas universitaires. L'hôpital universitaire doit être capable de faire la différence, de prodiguer des meilleurs soins, de contribuer à la recherche.