Le Plan alcool interfédéral doit être bouclé avec les entités fédérées à la mi-décembre. S'il se targue de vouloir "agir simultanément sur différents fronts pour limiter davantage la consommation excessive et donc nocive d'alcool" selon le cabinet Vandenbroucke, pour le Dr Thomas Orban, alcoologue, c'est surtout une nouvelle occasion ratée.
Ixième tournée générale pour le "plan alcool" qui, avant même d'être versé sur la table des négociations de la Conférence interministérielle (prévue à quelques jours des agapes généralement bien arrosées des fêtes de fin d'année), affiche déjà des relents de lendemain de veille pour les professionnels de la santé. Aux yeux de ceux qui sont confrontés aux dégâts causés par l'abus d'alcool, notamment chez les plus jeunes, les points "forts" de ce plan - qui resurgit régulièrement depuis dix ans et échoue tout autant, faute d'accord politique sous la pression des lobbies - apparaissent comme des mesurettes, pas à la hauteur des enjeux de santé publique.
Limiter la pub
C'est un des fers de lance, depuis ses prémices, du plan alcool: limiter l'exposition des jeunes au marketing des alcooliers (lire jdM 2733). Cadre légal proposé par le gouvernement fédéral: "Toute publicité pour une boisson contenant de l'alcool est interdite durant une période qui court à partir de cinq minutes avant jusqu'à cinq minutes après une émission qui vise un public mineur d'âge." Interdiction également, toujours à destination de ce même public, dans la presse écrite, au cinéma et sur les supports digitaux.
On a écouté les experts, puis l'industrie. Le plan alcool est réduit à peau de chagrin et en plus, cette peau est trouée" regrette le Dr Thomas Orban.
" Il y a eu beaucoup d'oppositions majeures, en particulier de l'Open VLD", dévoile le Dr Thomas Orban, alcoologue, parmi les professionnels de santé consultés pour élaborer le plan mais dont les recommandations semblent avoir été balayées par les autorités. "Notre proposition était d'interdire la pub en radio et télévision en journée au moins jusqu'à 19 heures. Et concernant la pub au cinéma, qui la mesure va-t-elle toucher? On sait très bien que les jeunes vont voir des films pour adultes."
"Par contre, la publicité pour l'alcool sur les abribus et près des écoles n'est toujours pas interdite", gronde le médecin. "Or on sait que plus on est en contact avec la pub, plus on va boire. Les jeunes constituent un public-cible majeur, la moitié des 12-14 ans a déjà touché à l'alcool, montrent des études. Pourtant, aujourd'hui, un club de sport peut vendre de l'alcool et les tournées s'enchaînent après les matchs... Cela commence souvent comme ça. Le marketing se poursuit à l'université, où les alcooliers font signer des contrats aux cercles d'étudiants. Et plus ils vendent, plus on leur propose des prix planchers... C'est choquant."
On peut s'interroger, aussi, sur la façon dont nos autorités belges comptent s'y prendre pour interdire le marketing sur Internet et les réseaux sociaux. Le royaume de la bière fera-t-il plier les Gafam?
" Le plan alcool a été détricoté et clairement vidé de son sens après la dernière concertation qui s'est faite avec... le secteur! On écoute les experts, puis l'industrie. Se moquer des gens de cette manière, à ce point, c'est étonnant", s'insurge Thomas Orban.
Alcool fort? Quel alcool "fort"?
La notion d'alcool "fort" revient également (point 2: "Désormais il n'y aura plus de vente d'alcools forts aux 16-18 ans"). Un terme qui a le don de faire bondir les spécialistes en addictologie. "Il était possible d'interdire toute vente d'alcool", reprend Thomas Orban. "Car il n'y a pas d'alcool "fort" ou "faible", l'alcool, quel qu'il soit, est de l'éthanol. Mais ils jouent encore avec cette notion... On ne pourra donc plus servir 'que' de la bière ou du vin. Mais je rappelle que le cerveau d'un jeune n'est mature qu'à 25 ans!"
Une mesure hypocrite à l'instar d'autres, comme le porte-clés Bob: "Un accessoire soutenu par le secteur de l'alcool et associé à un message terriblement pervers puisqu'il laisse penser qu'avec Bob, tous les autres dans la voiture peuvent boire. Mais on ne demande pas à un braconnier de jouer les gardes-chasse!"
Surréalisme à la Belge
Toujours au rayon de l'absurde, la proposition d'interdire la vente d'alcool dans les stations-services le long des autoroutes entre 22 et 7 heures (uniquement). Car, comme le rappelle le cabinet du ministre de la Santé, "un quart des décès sur la route en Europe sont liés à l'alcool. (...) Une interdiction totale existe déjà dans différents autres pays, comme les Pays-Bas." En Belgique, on pourra cependant continuer à acheter de l'alcool et reprendre le volant, à condition qu'il ne soit pas 22 heures (ou d'aller en boire dans le restoroute voisin, non concerné par la mesure). "Et à côté de ça, on veut des peines exemplaires pour les conducteurs pris avec de l'alcool au volant, c'est schizophrénique", assène le Dr Orban.
L'alcool sera également interdit dans les distributeurs automatiques "pour lutter contre les achats impulsifs" précise le Cabinet, ainsi que dans les magasins d'hôpitaux (du bon sens, mais quid des cafétérias et des plateaux-repas? ).
"Qu'il s'agisse de la pub, de la vente ou de la disponibilité, rien n'est fait", regrette le médecin. "Il faudrait notamment réglementer les étiquettes (indiquer le nombre d'unités d'alcool, NDLR) et augmenter le prix pour diminuer la consommation. La Cara Pils ne doit son succès qu'à son petit prix."
Une peau de chagrin.... trouée
Le cinquième et dernier point du plan concerne un futur trajet de soins pour les jeunes admis aux urgences (intoxication alcoolique ou accident sous influence). Seul point positif pour le Dr Orban, qui " attend toutefois de voir sa mise en place. On sait qu'un seul passage aux urgences constitue un risque pour le futur du jeune, il faut intervenir avant sa sortie d'hôpital et proposer un suivi aux parents."
"La bonne médecine consiste à prévenir, non à guérir", conclut le médecin. "On a ici des mesurettes pour se donner bonne conscience. C'est un non-sens de mettre de l'argent sur la table pour soigner quand, par ailleurs, on balaie d'un revers de la main toutes les propositions de prévention. Il faut encourager, protéger et interdire. Comme on l'a fait pour le tabac. Ici, le plan est réduit à peau de chagrin et en plus, cette peau est trouée. C'est un washing d'image, c'est dommage, c'était une belle opportunité, surtout après la pandémie. Ce qui me peine le plus, c'est qu'on ne prend pas soin de la population. Je les vois, moi, ces souffrances, au quotidien: un million de Belges sont concernés, 280.000 sont dépendants et l'alcool est par ailleurs un des premiers carcinogènes."
Ixième tournée générale pour le "plan alcool" qui, avant même d'être versé sur la table des négociations de la Conférence interministérielle (prévue à quelques jours des agapes généralement bien arrosées des fêtes de fin d'année), affiche déjà des relents de lendemain de veille pour les professionnels de la santé. Aux yeux de ceux qui sont confrontés aux dégâts causés par l'abus d'alcool, notamment chez les plus jeunes, les points "forts" de ce plan - qui resurgit régulièrement depuis dix ans et échoue tout autant, faute d'accord politique sous la pression des lobbies - apparaissent comme des mesurettes, pas à la hauteur des enjeux de santé publique. C'est un des fers de lance, depuis ses prémices, du plan alcool: limiter l'exposition des jeunes au marketing des alcooliers (lire jdM 2733). Cadre légal proposé par le gouvernement fédéral: "Toute publicité pour une boisson contenant de l'alcool est interdite durant une période qui court à partir de cinq minutes avant jusqu'à cinq minutes après une émission qui vise un public mineur d'âge." Interdiction également, toujours à destination de ce même public, dans la presse écrite, au cinéma et sur les supports digitaux. " Il y a eu beaucoup d'oppositions majeures, en particulier de l'Open VLD", dévoile le Dr Thomas Orban, alcoologue, parmi les professionnels de santé consultés pour élaborer le plan mais dont les recommandations semblent avoir été balayées par les autorités. "Notre proposition était d'interdire la pub en radio et télévision en journée au moins jusqu'à 19 heures. Et concernant la pub au cinéma, qui la mesure va-t-elle toucher? On sait très bien que les jeunes vont voir des films pour adultes." "Par contre, la publicité pour l'alcool sur les abribus et près des écoles n'est toujours pas interdite", gronde le médecin. "Or on sait que plus on est en contact avec la pub, plus on va boire. Les jeunes constituent un public-cible majeur, la moitié des 12-14 ans a déjà touché à l'alcool, montrent des études. Pourtant, aujourd'hui, un club de sport peut vendre de l'alcool et les tournées s'enchaînent après les matchs... Cela commence souvent comme ça. Le marketing se poursuit à l'université, où les alcooliers font signer des contrats aux cercles d'étudiants. Et plus ils vendent, plus on leur propose des prix planchers... C'est choquant." On peut s'interroger, aussi, sur la façon dont nos autorités belges comptent s'y prendre pour interdire le marketing sur Internet et les réseaux sociaux. Le royaume de la bière fera-t-il plier les Gafam? " Le plan alcool a été détricoté et clairement vidé de son sens après la dernière concertation qui s'est faite avec... le secteur! On écoute les experts, puis l'industrie. Se moquer des gens de cette manière, à ce point, c'est étonnant", s'insurge Thomas Orban. La notion d'alcool "fort" revient également (point 2: "Désormais il n'y aura plus de vente d'alcools forts aux 16-18 ans"). Un terme qui a le don de faire bondir les spécialistes en addictologie. "Il était possible d'interdire toute vente d'alcool", reprend Thomas Orban. "Car il n'y a pas d'alcool "fort" ou "faible", l'alcool, quel qu'il soit, est de l'éthanol. Mais ils jouent encore avec cette notion... On ne pourra donc plus servir 'que' de la bière ou du vin. Mais je rappelle que le cerveau d'un jeune n'est mature qu'à 25 ans!" Une mesure hypocrite à l'instar d'autres, comme le porte-clés Bob: "Un accessoire soutenu par le secteur de l'alcool et associé à un message terriblement pervers puisqu'il laisse penser qu'avec Bob, tous les autres dans la voiture peuvent boire. Mais on ne demande pas à un braconnier de jouer les gardes-chasse!" Toujours au rayon de l'absurde, la proposition d'interdire la vente d'alcool dans les stations-services le long des autoroutes entre 22 et 7 heures (uniquement). Car, comme le rappelle le cabinet du ministre de la Santé, "un quart des décès sur la route en Europe sont liés à l'alcool. (...) Une interdiction totale existe déjà dans différents autres pays, comme les Pays-Bas." En Belgique, on pourra cependant continuer à acheter de l'alcool et reprendre le volant, à condition qu'il ne soit pas 22 heures (ou d'aller en boire dans le restoroute voisin, non concerné par la mesure). "Et à côté de ça, on veut des peines exemplaires pour les conducteurs pris avec de l'alcool au volant, c'est schizophrénique", assène le Dr Orban. L'alcool sera également interdit dans les distributeurs automatiques "pour lutter contre les achats impulsifs" précise le Cabinet, ainsi que dans les magasins d'hôpitaux (du bon sens, mais quid des cafétérias et des plateaux-repas? ). "Qu'il s'agisse de la pub, de la vente ou de la disponibilité, rien n'est fait", regrette le médecin. "Il faudrait notamment réglementer les étiquettes (indiquer le nombre d'unités d'alcool, NDLR) et augmenter le prix pour diminuer la consommation. La Cara Pils ne doit son succès qu'à son petit prix." Le cinquième et dernier point du plan concerne un futur trajet de soins pour les jeunes admis aux urgences (intoxication alcoolique ou accident sous influence). Seul point positif pour le Dr Orban, qui " attend toutefois de voir sa mise en place. On sait qu'un seul passage aux urgences constitue un risque pour le futur du jeune, il faut intervenir avant sa sortie d'hôpital et proposer un suivi aux parents." "La bonne médecine consiste à prévenir, non à guérir", conclut le médecin. "On a ici des mesurettes pour se donner bonne conscience. C'est un non-sens de mettre de l'argent sur la table pour soigner quand, par ailleurs, on balaie d'un revers de la main toutes les propositions de prévention. Il faut encourager, protéger et interdire. Comme on l'a fait pour le tabac. Ici, le plan est réduit à peau de chagrin et en plus, cette peau est trouée. C'est un washing d'image, c'est dommage, c'était une belle opportunité, surtout après la pandémie. Ce qui me peine le plus, c'est qu'on ne prend pas soin de la population. Je les vois, moi, ces souffrances, au quotidien: un million de Belges sont concernés, 280.000 sont dépendants et l'alcool est par ailleurs un des premiers carcinogènes."