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Le déconfinement est sur toutes les lèvres. Mais l'exercice est périlleux. Très critique quant à l'impréparation de la plupart des gouvernements européens à la crise sanitaire actuelle et quant à leur gestion " excessivement mauvaise " qui s'en est suivi, Eric Muraille, Maître de recherche au FRS-FNRS, biologiste et immunologiste, attaché à l'Université Libre de Bruxelles (ULB) et collaborateur scientifique à l'Université de Namur (UNamur), ne désespère pas que la sortie de crise soit, elle, réussie.Pour y parvenir, il propose une stratégie de déconfinement progressif et responsable. Cette stratégie, il l'a élaborée avec trois autres chercheurs de l'ULB, Michel Goldman, médecin et professeur d'immunologie, Marius Gilbert, épidémiologiste, et Mathias Dewatripont, économiste, et avec Jean-Philippe Platteau, économiste et professeur émérite à l'UNamur. Le Journal du Médecin : La stratégie proposée a valu à votre quintet une publication dans la revue Nature Medicine.1 Comment en êtes-vous arrivés à ce bel aboutissement ?Eric Muraille : A l'origine, c'est Mathias Dewatripont qui s'est entretenu avec Michel Goldman quant à l'intérêt d'un dépistage de masse en Belgique via des tests RNA et Michel Goldman m'a ensuite contacté pour discuter de cette possibilité. Partant de là, nous avons réfléchi avec d'autres collègues à une série de principes généraux applicables un peu partout. Notre approche se voulait pluridisciplinaire. Nous avons cherché à concilier les exigences sanitaires, sociales et économiques sachant notamment que plus la casse économique sera importante, plus nous risquons de mettre en péril notre capacité à subsidier les systèmes de recherche et de santé et à traiter les autres maladies. Voilà les raisons qui ont probablement séduit l'éditeur de la revue.Venons-en à votre stratégie de déconfinement. En quoi consiste-t-elle ?Elle comprend trois axes d'action complémentaires : le maintien de la distance sociale, l'augmentation de notre capacité de tests et l'implémentation de procédures à large échelle. La distanciation sociale reste indispensable car elle seule permet de maintenir le nombre de cas d'infection sous un seuil gérable par les hôpitaux.Qu'en est-il du dépistage ?Un individu négatif au test ARN aujourd'hui peut devenir positif ultérieurement ou être déjà protégé. J'ai donc proposé de combiner le test ARN, qui détecte les porteurs du virus, avec ou sans symptômes, et le test sérologique pour identifier les individus immunisés. Ces derniers ont développé des anticorps spécifiques suite à l'infection et sont en principe protégés d'une réinfection pour une période dont la durée reste à déterminer. La détection des immunisés permettra de mesurer le pourcentage de la population qui contribue à l'immunité collective, protectrice contre la dissémination du virus. Celle-ci nécessite qu'on atteigne un pourcentage de personnes immunisées compris entre 60 et 70%. Pour les porteurs du virus, une mise en quarantaine s'imposera.Qu'entendez-vous par implémentation de procédures à large échelle ?Tester toute la population est impossible. Il faut donc établir des priorités. Les membres du système hospitalier sont prioritaires car ils sont les plus exposés et indispensables pour lutter contre ce virus. Ensuite les travailleurs d'autres services essentiels, comme la sécurité, l'alimentation, la distribution, les transports, et l'enseignement. Les tests devraient ensuite être adressés à d'autres groupes de la population en prenant en compte à la fois leur profil de risques et leur contribution au rétablissement de l'activité économique et sociale. Ceci suppose que des personnes acceptent de rester confinées alors que d'autres se verront libérées de certaines contraintes.Un déconfinement total et rapide est exclu et son planning ne devra pas être rigide. Nous privilégions une stratégie adaptative. Il s'agit d'ouvrir progressivement le robinet, en relâchant d'abord les personnes qui sont moins à risque, comme les jeunes, et tout en mesurant les impacts du déconfinement progressif sur le nombre d'infections et le taux d'immunité collective. Il est primordial de ne pas avancer à l'aveuglette afin de corriger le tir le cas échéant et de refermer le robinet si la situation sanitaire venait à se dégrader à nouveau. Nous plaidons donc pour un monitoring continu de la situation qui reposerait sur des modèles mathématiques alimentés par une mesure de l'immunité collective à l'aide de tests aléatoires dans la population. Cette stratégie permettra, nous l'espérons, de gérer la transmission du virus à des niveaux soutenables pour notre système de santé, parallèlement au développement d'améliorations thérapeutiques, à la mise au point de vaccins et à l'établissement graduel d'une immunité collective.La réouverture des écoles fait partie des priorités. Est-ce judicieux ?C'est un point qui reste délicat. Nous sommes d'ailleurs restés assez elliptique dans l'article. Les enfants semblent très peu à risque mais on pense qu'ils peuvent être porteurs du virus et donc si on les remet dans le circuit, il va falloir songer à protéger les parents et les professeurs.Il est aussi question d'utiliser l'une ou l'autre forme de " contact tracing ", ce qui suscite de grosses craintes au sein de la population...C'est devenu un faux problème. Le traçage des individus tel qu'il a été mis en place dans les pays asiatiques se justifie tant qu'il y a relativement peu de gens infectés. Chez nous, en février, au tout début de la pandémie, cela aurait pu être utile en combinaison avec des tests systématiques. Mais à partir du moment où on estime qu'environ 5% de la population belge a été infectée, je pense qu'il est trop tard pour lancer ce genre de choses à grande échelle. On pourrait l'envisager dans certains cas à risque, les maisons de repos et les homes par exemple, afin de mettre en quarantaine les personnes qui seraient infectées. Mais au niveau global, ce serait peu utile de géolocaliser les contacts de 500.000 individus. Sans compter que notre mentalité n'est pas celle des pays asiatiques et qu'il s'agit quand même d'une discrimination...Un entretien de Luc Ruidant1. Nature Medicine, 14 avril 2020, doi :10.1038/s41591-020-0871-y