La patiente avait été informée du diagnostic d'Alzheimer en octobre 2012. Ceci l'avait amenée à rédiger une demande d'euthanasie avec une clause concernant la démence. Tant qu'elle en était capable, la patiente a poursuivi cette discussion à propos de la demande d'euthanasie avec son époux, sa fille et son médecin de famille. Sa situation s'est cependant à ce point aggravée qu'elle a dû être placée dans une maison de repos au début de l'année 2016. La gériatre qui l'a prise en charge dans cet établissement a poursuivi l'examen de la situation de cette patiente, manifestement en souffrance, sans cependant qu'elle ne puisse encore comprendre et formuler le mot " euthanasie ". Ces entretiens ont été enregistrés par la doctoresse. Elle s'est entourée de l'avis de deux 'Scenartsen' (un gériatre et un spécialiste en médecine interne), l'équivalent de nos médecins LEIF-EOL, alors que la loi néerlandaise n'impose en principe qu'un seul avis d'un médecin indépendant. Elle a également consulté l'équipe médicale de la maison de repos, un conseiller de la Levenseindekliniek. Enfin, elle a eu des entretiens avec le médecin de famille, l'époux et la fille de la patiente. Aucune voix discordante. C'est ainsi que la décision a été prise de procéder à l'euthanasie le 22 avril 2016. Un sédatif, soit du Dormicum, avait été administré par voie orale, dilué dans le café de la patiente. Ainsi que la doctoresse l'avait précisé dans sa déclaration à la Commission régionale de contrôle, la patiente avait réagi au moment de l'injection du barbiturique. L'ensemble de ces éléments avait conduit à la communication par les Commissions régionales de contrôle de ce cas au Ministère public qui avait donc décidé de saisir le tribunal correctionnel. Les chefs d'inculpation retenus étaient basés à titre principal sur le non-respect de la loi euthanasie et à titre subsidiaire, à défaut d'interruption volontaire de vie à la demande de la personne, sur la prévention de meurtre.

Critères de précaution

Pour résumer, il s'agissait d'une patiente âgée de 74 ans dont la demande d'euthanasie avait été formalisée par écrit en octobre 2012 avec une clause concernant la démence, demande répétée à diverses occasions, patiente en grande souffrance atteinte d'une démence fort avancée qui n'était plus capable de confirmer sa demande le jour de l'euthanasie.

Le Tribunal a passé en revue les critères de précaution prévus par la loi euthanasie et a estimé que ceux-ci avaient été pleinement respectés par la doctoresse. Le Tribunal a notamment jugé qu'imposer la confirmation de la demande d'euthanasie dans un tel contexte consisterait à ajouter une condition à la loi !

Le Ministère public dispose de 14 jours pour interjeter appel. La prudence s'impose donc pour tirer d'ores et déjà les enseignements de cette décision judiciaire. Il est important cependant de constater que le Procureur de la Reine ne demandait pas de condamnation à une peine. Une décision de principe donc. Il n'empêche que le prix à payer est bien lourd pour le médecin ! Des voix se sont élevées pour proposer que l'on prévoie une autre procédure que celle qui implique que le médecin poursuivi doive répondre au mieux de non-respect de la loi de 2001 voire de meurtre. Jacob Konhstamm, président des Commissions régionales de contrôle, a suggéré que l'instance compétente devrait être de Hoge Raad, soit notre Cour de Cassation. Est-ce une solution qui pourrait être proposée en Belgique ? Je n'en suis pas certaine. Entre-temps, Jacob Konhstamm veillera à ce que les Commissions régionales de contrôle soient plus attentives au contexte des euthanasies.

Aucun formalisme n'est imposé aux Pays-Bas quant à la demande anticipée d'euthanasie

La loi belge du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie n'est pas un copié-collé de la loi néerlandaise intitulée " Wet toetsing levensbeëindiging op verzoek en hulp bij zelfdoding ". Nous retrouvons certes les principes fondamentaux, à savoir l'existence d'une demande volontaire et réfléchie, d'une affection médicale et de souffrances inapaisables. Notre loi du 28 mai 2002 comporte plus d'adjectifs et d'adverbes que la loi néerlandaise. En revanche, la déclaration que doit faire le médecin aux Pays-Bas va bien plus dans les détails que celle à laquelle est soumis le médecin en Belgique. C'est ainsi que la doctoresse avait donné moult explications quant à l'anamnèse, l'histoire personnelle de la patiente, au contexte de la demande initiale et de sa confirmation, à l'état de démence grave de cette femme de 74 ans et à ses souffrances.

Autre différence : la demande d'euthanasie anticipée néerlandaise versus la déclaration anticipée d'euthanasie belge.

Aucun formalisme n'est imposé aux Pays-Bas quant à la demande anticipée d'euthanasie, ni témoins, ni durée limitée. La déclaration anticipée d'euthanasie est cadenassée par les conditions posées par la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie et ne peut servir de base à une euthanasie que si le patient est atteint d'une affection grave et incurable, qu'il est inconscient et que sa situation est irréversible. Notre déclaration est fermée, sans possibilité de moduler la demande. Pour rappel, des propositions de loi sont régulièrement déposées pour élargir le champ d'application de la déclaration anticipée d'euthanasie.

Homicide involontaire

Enfin, en Belgique, il eût été question d'homicide volontaire avec préméditation voire d'empoisonnement ayant causé la mort avec pour conséquence le renvoi du médecin devant la Cour d'Assises alors que le Code pénal néerlandais prévoit deux articles correctionnalisant l'euthanasie (art. 293 CP) et le suicide assisté (art. 294 CP). Dans la genèse de la dépénalisation de l'euthanasie aux Pays-Bas, la jurisprudence a joué d'ailleurs un rôle très important pour proposer les principes essentiels.

En conclusion, cette décision judiciaire doit nous amener à réfléchir au rôle de la déclaration anticipée ainsi qu'à la construction d'une décision d'euthanasie. Sans oublier que si, en l'absence de recours du Ministère public, cette affaire peut se terminer de manière heureuse, il n'empêche que ce médecin a dû subir une instruction judiciaire précédant le procès devant le Tribunal correctionnel. Ce n'est pas rien. Soyons-en conscients avant de poser tout acte qui conduirait un médecin à subir les affres d'une procédure pénale alors qu'en conscience et humanité, il a accompli ce que je qualifierais d'ultime soin pour son patient.

[i] Voir sur le site néerlandais reprenant la jurisprudence : https://cutt.ly/YwZXz6y.

[ii] quelques explications concernant cette loi : https://www.rijksoverheid.nl/onderwerpen/levenseinde-en-euthanasie/euthanasie

La patiente avait été informée du diagnostic d'Alzheimer en octobre 2012. Ceci l'avait amenée à rédiger une demande d'euthanasie avec une clause concernant la démence. Tant qu'elle en était capable, la patiente a poursuivi cette discussion à propos de la demande d'euthanasie avec son époux, sa fille et son médecin de famille. Sa situation s'est cependant à ce point aggravée qu'elle a dû être placée dans une maison de repos au début de l'année 2016. La gériatre qui l'a prise en charge dans cet établissement a poursuivi l'examen de la situation de cette patiente, manifestement en souffrance, sans cependant qu'elle ne puisse encore comprendre et formuler le mot " euthanasie ". Ces entretiens ont été enregistrés par la doctoresse. Elle s'est entourée de l'avis de deux 'Scenartsen' (un gériatre et un spécialiste en médecine interne), l'équivalent de nos médecins LEIF-EOL, alors que la loi néerlandaise n'impose en principe qu'un seul avis d'un médecin indépendant. Elle a également consulté l'équipe médicale de la maison de repos, un conseiller de la Levenseindekliniek. Enfin, elle a eu des entretiens avec le médecin de famille, l'époux et la fille de la patiente. Aucune voix discordante. C'est ainsi que la décision a été prise de procéder à l'euthanasie le 22 avril 2016. Un sédatif, soit du Dormicum, avait été administré par voie orale, dilué dans le café de la patiente. Ainsi que la doctoresse l'avait précisé dans sa déclaration à la Commission régionale de contrôle, la patiente avait réagi au moment de l'injection du barbiturique. L'ensemble de ces éléments avait conduit à la communication par les Commissions régionales de contrôle de ce cas au Ministère public qui avait donc décidé de saisir le tribunal correctionnel. Les chefs d'inculpation retenus étaient basés à titre principal sur le non-respect de la loi euthanasie et à titre subsidiaire, à défaut d'interruption volontaire de vie à la demande de la personne, sur la prévention de meurtre.Pour résumer, il s'agissait d'une patiente âgée de 74 ans dont la demande d'euthanasie avait été formalisée par écrit en octobre 2012 avec une clause concernant la démence, demande répétée à diverses occasions, patiente en grande souffrance atteinte d'une démence fort avancée qui n'était plus capable de confirmer sa demande le jour de l'euthanasie.Le Tribunal a passé en revue les critères de précaution prévus par la loi euthanasie et a estimé que ceux-ci avaient été pleinement respectés par la doctoresse. Le Tribunal a notamment jugé qu'imposer la confirmation de la demande d'euthanasie dans un tel contexte consisterait à ajouter une condition à la loi !Le Ministère public dispose de 14 jours pour interjeter appel. La prudence s'impose donc pour tirer d'ores et déjà les enseignements de cette décision judiciaire. Il est important cependant de constater que le Procureur de la Reine ne demandait pas de condamnation à une peine. Une décision de principe donc. Il n'empêche que le prix à payer est bien lourd pour le médecin ! Des voix se sont élevées pour proposer que l'on prévoie une autre procédure que celle qui implique que le médecin poursuivi doive répondre au mieux de non-respect de la loi de 2001 voire de meurtre. Jacob Konhstamm, président des Commissions régionales de contrôle, a suggéré que l'instance compétente devrait être de Hoge Raad, soit notre Cour de Cassation. Est-ce une solution qui pourrait être proposée en Belgique ? Je n'en suis pas certaine. Entre-temps, Jacob Konhstamm veillera à ce que les Commissions régionales de contrôle soient plus attentives au contexte des euthanasies.La loi belge du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie n'est pas un copié-collé de la loi néerlandaise intitulée " Wet toetsing levensbeëindiging op verzoek en hulp bij zelfdoding ". Nous retrouvons certes les principes fondamentaux, à savoir l'existence d'une demande volontaire et réfléchie, d'une affection médicale et de souffrances inapaisables. Notre loi du 28 mai 2002 comporte plus d'adjectifs et d'adverbes que la loi néerlandaise. En revanche, la déclaration que doit faire le médecin aux Pays-Bas va bien plus dans les détails que celle à laquelle est soumis le médecin en Belgique. C'est ainsi que la doctoresse avait donné moult explications quant à l'anamnèse, l'histoire personnelle de la patiente, au contexte de la demande initiale et de sa confirmation, à l'état de démence grave de cette femme de 74 ans et à ses souffrances.Autre différence : la demande d'euthanasie anticipée néerlandaise versus la déclaration anticipée d'euthanasie belge.Aucun formalisme n'est imposé aux Pays-Bas quant à la demande anticipée d'euthanasie, ni témoins, ni durée limitée. La déclaration anticipée d'euthanasie est cadenassée par les conditions posées par la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie et ne peut servir de base à une euthanasie que si le patient est atteint d'une affection grave et incurable, qu'il est inconscient et que sa situation est irréversible. Notre déclaration est fermée, sans possibilité de moduler la demande. Pour rappel, des propositions de loi sont régulièrement déposées pour élargir le champ d'application de la déclaration anticipée d'euthanasie.Enfin, en Belgique, il eût été question d'homicide volontaire avec préméditation voire d'empoisonnement ayant causé la mort avec pour conséquence le renvoi du médecin devant la Cour d'Assises alors que le Code pénal néerlandais prévoit deux articles correctionnalisant l'euthanasie (art. 293 CP) et le suicide assisté (art. 294 CP). Dans la genèse de la dépénalisation de l'euthanasie aux Pays-Bas, la jurisprudence a joué d'ailleurs un rôle très important pour proposer les principes essentiels.En conclusion, cette décision judiciaire doit nous amener à réfléchir au rôle de la déclaration anticipée ainsi qu'à la construction d'une décision d'euthanasie. Sans oublier que si, en l'absence de recours du Ministère public, cette affaire peut se terminer de manière heureuse, il n'empêche que ce médecin a dû subir une instruction judiciaire précédant le procès devant le Tribunal correctionnel. Ce n'est pas rien. Soyons-en conscients avant de poser tout acte qui conduirait un médecin à subir les affres d'une procédure pénale alors qu'en conscience et humanité, il a accompli ce que je qualifierais d'ultime soin pour son patient.[i] Voir sur le site néerlandais reprenant la jurisprudence : https://cutt.ly/YwZXz6y.[ii] quelques explications concernant cette loi : https://www.rijksoverheid.nl/onderwerpen/levenseinde-en-euthanasie/euthanasie