...

Le président honoraire du GBO (Groupement belge des omnipraticiens) retrace sa vie à la tête du syndical et aussi un peu sa vie avant et ce que sera son existence après. Il a rejoint le GBO dans les années 90. Très tôt, il en devient vice-président. Parallèlement, une expérience marquante au Rwanda durant le génocide, l'amène à s'engager davantage dans la santé publique.Ceci le décide à suivre une maîtrise en santé publique à l'Institut de médecine tropicale d'Anvers. Après cette formation, il quitte toutefois la Belgique et son cabinet de médecine générale pour travailler en coopération internationale. Ce départ a suscité des réactions mitigées au sein du GBO, certains espérant qu'il prendrait la présidence. Malgré cela, Paul De Munck poursuit son engagement en dehors de la Belgique jusqu'à son retour en 2010.À son retour en Belgique, Philippe Vandermeeren, souffrant, ne pouvait plus assurer la présidence du GBO. Anne Gillet, qui avait repris le flambeau, sollicite Paul De Munck pour qu'il réintègre l'organisation. Il devient son bras droit avant d'être nommé président en 2015, lors de l'Assemblée générale marquant les 50 ans du GBO.Cette présidence de Paul De Munck, initialement prévue pour deux ans, a été prolongée à plusieurs reprises. Les défis liés au maintien d'une activité clinique tout en gérant des responsabilités syndicales et politiques se sont multipliés, ce qui va précipiter le pas de côté d'Anne Gillet et l'accession de De Munck à la présidence du GBO. Il souligne la difficulté de concilier ces engagements, surtout dans un contexte où les médecins cherchent à préserver leur équilibre de vie.Paul De Munck met en avant le problème de renouvellement des générations dans les structures syndicales. Les jeunes médecins s'intéressent aux enjeux professionnels, mais leur engagement actif reste limité, notamment en raison de contraintes personnelles et professionnelles. Même les outils modernes comme la visioconférence n'ont pas suffi à surmonter ces obstacles.Il évoque également ses prolongations de mandats dues à des crises comme le covid-19, ainsi que la nécessité de trouver une relève avant les prochaines élections syndicales. "Ce manque de renouvellement démographique représente un défi majeur pour l'avenir de la concertation et de la défense professionnelle. Je souligne l'importance de réconcilier les jeunes générations avec l'engagement syndical, tout en reconnaissant les évolutions des priorités personnelles et professionnelles des médecins. Cette problématique, combinée à des défis politiques et organisationnels, nécessite des solutions innovantes pour assurer la pérennité des structures syndicales. "Or le parcours syndical chez les médecins généralistes débute souvent tardivement, vers 40-45 ans, lorsque les contraintes familiales s'allègent et que la patientèle est acquise. Toutefois, cette tranche d'âge manque actuellement dans les structures syndicales, et peu souhaitent assumer des rôles représentatifs, encore moins celui de président." Lawrence Cuvelier, actuel président, espère qu'une jeune femme prendra la relève, mais ce changement tarde à se concrétiser. Cette situation illustre un enjeu majeur pour le renouvellement des instances syndicales. "Le Dr De Munck revient sur les accomplissements dont il est le plus fier durant son mandat au GBO. Et d'abord... une excellente collaboration avec les journalistes. " La presse est un relais indispensable pour transmettre des informations aux praticiens et au public, et une collaboration respectueuse est essentielle. " Et de citer le Journal du Médecin comme un exemple de média très lu et apprécié dans le secteur.Il cite également la présence accrue du GBO sur le terrain pendant son mandat. " J'ai systématiquement occupé le terrain, répondant aux sollicitations et parfois poussant des portes qui restaient fermées. Cette stratégie a permis au GBO d'être davantage reconnu et consulté par les administrations, les politiques et les autres acteurs du secteur. Il a également favorisé un dialogue constructif avec les organismes assureurs et les partenaires comme les pharmaciens. "De Munck estime avoir joué un rôle clé dans la création de la Plateforme de première ligne wallonne et l'instauration de Proxysanté. Ces initiatives visent à mieux organiser les soins primaires en interdisciplinarité. Bien que des projets comme un institut de première ligne soient encore en pause, il reste confiant quant à leur aboutissement.L'éclairage apporté à la médecine générale pendant le Covid-19 a certainement positionné le MG et le GBO comme centraux. La pandémie a mis en lumière l'importance de la médecine générale, notamment grâce à son adaptabilité et son bon sens. " Le GBO a été parmi les premiers à appeler à des mesures comme le port du masque ou la limitation des consultations physiques pour préserver le corps médical de la contagion. Cela a démontré la pertinence de la médecine générale dans la gestion des crises sanitaires. "Paul De Munck insiste sur l'importance de repenser la défense de la médecine générale au-delà d'un simple corporatisme. Il plaide pour une collaboration interdisciplinaire avec d'autres professions de la santé, comme les infirmières et les pharmaciens. Cette multidisciplinarité est, selon lui, la clé pour organiser un système de soins modernes et efficaces. Un exemple marquant est la gestion du dossier médical informatisé, qui illustre le rôle central du médecin généraliste dans la coordination des soins. Cependant, cette place doit être constamment défendue pour éviter une dilution des responsabilités.A cet égard, Paul De Munck souligne les différences fondamentales entre le GBO et d'autres syndicats, notamment l'Absym. " Alors que certains appellent à l'unification des deux syndicats, j'estime que les valeurs et principes directeurs diffèrent encore trop. Le GBO privilégie une approche réfléchie et nuancée, ce qui le distingue de ses homologues souvent plus prompts à réagir de manière corporatiste et précipitée à mon goût. " Cette capacité à prendre le temps de la réflexion a contribué à la réputation du GBO. Cependant, cette méthode est parfois critiquée par ceux qui souhaitent des positions plus nettes.Paul De Munck insiste sur l'importance de sortir de la compétition entre professions de santé pour privilégier une coopération harmonieuse et efficace. " La défense des prérogatives du médecin généraliste doit s'inscrire dans cette logique de complémentarité et de modernisation des soins. "Diviser la profession, attiser les antagonismes internes, c'est absurde et même coupable dans le contexte actuel de sous-effectifs, insiste le Dr De Munck. " Nous avons besoin d'une concertation constructive, comme celle initiée avec Roland Lemye (ancien président de l'Absym, NdlR) pour la concertation médico-pharmaceutique, qui réunit médecins et pharmaciens autour de problématiques communes sans ingérence des pouvoirs publics. "Parmi ses regrets principaux, Paul De Munck cite l'échec de Proxy Santé. " Le projet Proxysanté, visant à structurer et renforcer la première ligne de soins, n'a pas abouti, en partie à cause de la pandémie de Covid-19 qui a retardé de nombreux projets. Cet arrêt, je le regrette, car il aurait pu constituer un pilier pour améliorer la coordination des soins. "Le financement insuffisant des trois syndicats médicaux se partageant environ 1,2 million d'euros par an, reste un problème majeur. " La dotation de l'Inami, qui n'a pas augmenté malgré l'arrivée d'un troisième syndicat, est divisée entre les organisations, réduisant les moyens disponibles. Ce manque de ressources limite les capacités du GBO à fonctionner efficacement, notamment pour mener des recherches - pensons à la tâche qui avait été confiée à Thomas Orban - ou engager du personnel. Bien que le syndicat ait un nombre record de cotisants (environ 1.000), cela reste insuffisant pour soutenir pleinement ses activités. D'autant que la partie flamande du Cartel prend sa part. "Paul De Munck distingue trois défis principaux :Structurer et valoriser la médecine généraleLe GBO plaide pour une refonte du système de santé, notamment en clarifiant le rôle central du médecin généraliste dans une approche multidisciplinaire. Cela inclut la définition d'un référentiel métier, à l'instar de ce qui se fait en France, afin de mieux délimiter les responsabilités entre les professions de santé.Financer et renforcer la première ligneUne première ligne bien financée et structurée permettrait de réduire les coûts globaux du système de santé tout en améliorant l'accès aux soins. Le GBO continue de se battre pour obtenir un quota de médecins généralistes suffisant pour répondre aux besoins croissants des patients.Intégrer l'intelligence artificielleBien que l'IA puisse apporter des outils précieux pour la médecine, elle ne remplacera jamais le médecin généraliste. L'interaction humaine et la prise en compte globale des patients restent au coeur du métier. " Il y aura toujours ce moment où deux humains se parlent, se voient, se touchent, et établissent une relation de confiance. Aucune machine ne peut remplacer cela. Par contre l'IA pourrait même permettre une meilleure organisation et démultiplier les capacités des médecins, notamment dans des contextes de pénurie. Malgré les frustrations liées à une reconnaissance insuffisante de la part de certains ministres, dont certains recevait du bout des doigts le GBO ou pas du tout, " il est crucial de maintenir un dialogue constructif. Le GBO a su se faire entendre auprès des administrations et des politiques, en tissant une toile relationnelle solide. Ce travail, souvent invisible, représente une grande part de l'énergie investie. Si vous supprimez cette concertation, c'est foutu. "Toutefois, Paul De Munck met l'accent sur plusieurs défis liés à cette concertation :-Manque de ressources humaines pour y participer efficacement.-Faible rémunération des participants (ex. : jetons de présence bien inférieurs à ce qu'un MG gagne avec 4 patients par heure).-La pénurie de médecins généralistes accentue le problème, car le temps pris pour la concertation est souvent déduit du temps clinique.Le numerus clausus est inadapté et devrait être largement repensé sans toutefois prendre le risque de créer une autre pléthore. " Une meilleure planification sur le long terme (30 ans) est nécessaire, tenant compte des besoins en généralistes par rapport aux spécialistes. Il faudrait dire plus clairement que ceux qui commencent des études de médecine ne pourront pas tous faire la spécialité de leur choix. Des sous-quotas dans les spécialités ont toujours existé. "L'importation de médecins étrangers est jugée éthiquement problématique, car cela crée des pénuries dans les pays d'origine. Les différences de valeurs et de pratiques médicales posent également des défis d'intégration sans même parler de la langue.Par ailleurs, la féminisation croissante des facultés de médecine est un fait. Elle soulève des questions sur le déséquilibre entre genres. " Je regrette qu'il y ait de moins en moins d'hommes qui s'orientent vers la médecine générale, même si l'arrivée de plus de femmes est une excellente chose. Un métier exclusivement exercé par un seul sexe n'est jamais idéal. Cela s'applique à d'autres professions comme l'enseignement ou le métier d'infirmier. Il est crucial de rendre le métier attractif pour les deux sexes. Sinon, cela pourrait avoir des impacts sur la disponibilité des effectifs et la répartition des rôles au sein du système de santé. "Est-ce que les médecins généralistes sont assez payés aujourd'hui ? " Certains oui, d'autres non. Un médecin généraliste qui travaille 8 à 9 heures par jour, ou même 12 heures, peut gagner honnêtement sa vie. Mais certaines activités liées à ce métier sont sous-payées : les soins palliatifs, les concertations, les euthanasies, par exemple. Si les hommes se désintéressent de cette profession, cela peut être dû à la pénibilité du métier, au rapport entre l'effort fourni et la rémunération, ou à d'autres facteurs sociologiques qu'il faut étudier. "Pour Paul De Munck, les disparités de revenus entre spécialités médicales sont encore beaucoup trop importantes. " Pour moi, il n'y a pas de "petites spécialités" comme on les qualifie parfois. Chaque discipline est essentielle. Pourtant, en bas de l'échelle, on retrouve des spécialités comme la pédopsychiatrie ou la dermatologie, tandis qu'en haut, on a les cardiologues, gastro-entérologues, etc. Une réforme de la nomenclature est nécessaire pour mieux dissocier le temps intellectuel consacré au patient et le financement des actes techniques. Cela pourrait harmoniser les écarts de revenus entre spécialités. "Le New Deal, un échec total vu le tout petit nombre d'adhérents ? " Je ne dirais pas que c'est un échec. C'est un projet, et un projet ne peut pas être qualifié d'échec. Il a déjà permis à certains médecins de continuer leur activité. Lors d'un colloque sur la ruralité, un médecin a témoigné que le New Deal l'a convaincu de rester généraliste alors qu'il comptait arrêter. Ce sont des retours qu'il faut écouter. Est-ce que le New Deal sera la formule de demain ? Je ne sais pas. Peut-être qu'un mélange de différents systèmes - forfaitaire et à l'acte - sera la solution. Personnellement, je suis pour favoriser de plus en plus la part forfaitaire, même si le GBO insiste pour garder un minimum à l'acte. Aujourd'hui, nous sommes déjà à 25-30 % de forfaitaire. "Le New Deal est un projet que Paul De Munck a accueilli à bras ouverts, il le reconnaît. " Comme tout projet, il doit être évalué. Si, à terme, il ne fonctionne pas, on devra revoir la copie, mais cela ne signifie pas qu'il ne valait pas la peine d'être tenté. La médecine générale de demain ne peut pas être organisée comme celle d'hier, avec un médecin isolé dans son cabinet, sans aide administrative ou interdisciplinaire. Le New Deal n'a pas été imposé, il est le fruit d'une concertation entre divers acteurs de la médecine générale. Des erreurs ont peut-être été commises, mais l'initiative méritait d'exister. Ce modèle, bien que critiqué, a permis à certains médecins de continuer leur pratique, ce qui est déjà un succès. "En parallèle au New Deal, est-ce que le forfait, comme dans les maisons médicales, est une solution viable ? " Le forfait a ses avantages, notamment pour libérer du temps en dehors de la clinique, mais il peut aussi induire des effets pervers, comme une "fonctionnarisation" de la médecine avec des horaires stricts et une limitation des nouveaux patients. Il faut discuter de ces enjeux sans parti pris ni divisions au sein de la profession. "Le MR et la N-VA qui sont en train de former un gouvernement Arizona multiplient les appels aux économies. Pour les libéraux, le budget des soins de santé est une énormité. " Parler ''d'économies pour faire des économies'' est une erreur. Il faut viser une plus grande efficience dans le système de santé, ce qui implique de rendre le système plus efficace, pas seulement moins coûteux. Un exemple évident est le renforcement de la première ligne. Cela permettrait de réaliser des économies globales, comme le montrent de nombreuses études internationales. On doit réformer en profondeur, voire révolutionner certains aspects du système, pour mieux répondre aux besoins tout en maîtrisant les coûts. "Qu'attend-on pour agir ? Les ministres diront qu'ils ont déjà fait beaucoup, mais cela suffit-il ?, tance De Munck. " Est-ce que la première ligne est aujourd'hui assez forte pour jouer pleinement son rôle de filtre et empêcher les gens de tomber malades ? Non. Faisons-nous suffisamment de prévention ? Pas encore. Je me réjouis que Frank Vandenbroucke veuille investir dans la prévention, mais il faudra voir comment cela sera mis en oeuvre. "Le Cartel s'oppose aux économies linéaires. " Les politiques veulent souvent des économies à court terme, sur une législature, alors que les résultats des investissements en prévention se voient sur des décennies, parfois 15, 20, ou 30 ans. C'est une difficulté majeure à leur faire comprendre. "" Si on désinvestit dans la santé et l'enseignement, où va-t-on ? Ce sont des secteurs qu'il faut non seulement protéger, mais dans lesquels il faudrait même surinvestir, y compris en période de restrictions budgétaires. C'est pour cela que nous nous sommes battus pour la norme de croissance. On ne peut pas faire des économies alors que tous les indicateurs montrent qu'on aura besoin de plus de moyens : la population vieillit, les maladies augmentent, et tout cela coûtera forcément plus cher. "Or, pour Paul De Munck, le fait pour les libéraux, au sein de la Vivaldi, de ne pas voter le budget 2025, est une énorme erreur. " C'est scandaleux. C'est de l'irresponsabilité crasse. Ils renvoient la patate chaude au prochain gouvernement. Nous avons pris nos responsabilités en acceptant des économies dans un budget négocié avec tous les partenaires sociaux, mais ce gouvernement sortant se permet de se désengager. C'est un jeu politique malsain que je dénonce haut et fort. Je suis en phase avec Frank Vandenbroucke sur ce sujet, mais pas uniquement lui. J'aimerais que d'autres responsables politiques fassent preuve de plus de courage et cessent de renvoyer les responsabilités aux suivants. C'est une question d'éthique et de responsabilité sociale. "Quelle vie après le GBO ? Après le syndicalisme, Paul De Munck restera mandataire et certainement pas une belle-mère. Il donnera son avis lorsqu'on lui demandera. Il ne compte pas rempiler dans l'associatif ou dans une ONG comme Médecins du monde bien qu'il ait été sollicité. Il aspire manifestement à une véritable retraire après tant et tant consacré à la défense syndicale.