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" Je n'ai pas envie de parler des jetons de présences et de pointer du doigt les fautes de chacun. Cela a déjà a été fait, partout. Ce n'est pas ça qui m'intéresse. Je veux simplement que l'on comprenne qu'en salissant le Samusocial, on détricote une extraordinaire structure qui s'occupe des plus démunis", explique le gynécologue.Le journal du Médecin : Depuis quand êtes-vous en fonction au Samusocial ? Comment y êtes-vous arrivé ?Pr Michel Degueldre : De 2004 à 2013, j'ai été président de Médecins du Monde (MdM) Belgique. Une de nos premières missions en Belgique concernait le Samusocial. Qu'y faisait-on ? Nos infirmières et médecins bénévoles prodiguaient des soins, gratuits, aux sans-abri hébergés au Samu. Comme cela fonctionnait bien, le Samusocial m'a demandé si je voulais intégrer le Conseil d'administration (CA), pour m'occuper de l'aspect médical. Ce que j'ai accepté, volontiers.S'est donc développée une activité médicale au sein du Samusocial sous l'impulsion de MdM, dont j'étais à l'époque président. En 2013, j'ai terminé mes trois mandats de trois ans à la présidence de MdM, et je n'ai plus désiré continuer car j'étais pensionné. J'ai donc proposé ma démission au CA du Samusocial, qui m'a convaincu de rester.J'ai planché par la suite pendant un an sur un projet de centre pour sans-abri malades. Ce dispositif, Medihalte, est un endroit où les sans-abri sont hébergés et pris en charge médicalement. J'ai engagé médecins et infirmières pour s'occuper de ces sans-abri. J'étais donc extrêmement impliqué dans le Samusocial, mais pas dans sa gestion directe, plutôt dans son aspect médical. Puisque le Samusocial s'orientait vers une structure de plus en plus médicale, on m'a proposé la présidence de l'asbl (en 2015, ndlr).Comment voyez-vous votre rôle au sein de la structure, désormais ?J'ai demandé la démission de tout le CA pour permettre une nouvelle gouvernance. Je voudrais être la personne non-politique qui, conjointement avec la cellule de crise, serait humainement et médicalement engagée pour permettre au Samusocial et à tous ses travailleurs de continuer à remplir ses missions. Après, je pourrais m'effacer. Je n'ai aucun problème avec ça. Dans une certaine mesure, je voudrais également être garant que le politique n'étouffe pas le Samusocial. Je ne veux pas que le reproche de la trop grande politisation de cet outil soit la porte ouverte à un autre type de politisation à l'extrême.À vous entendre, on pourrait penser que l'avenir de la structure est en danger...Oui, clairement. Je constate déjà que depuis trois semaines, toute une série de donateurs arrêtent leurs dons réguliers, car ils trouvent que ce qui s'est passé est indigne. Ce que je comprends, parce que ce que la presse a relayé leur faisait comprendre qu'ils donnaient de l'argent pour les pauvres - pour caricaturer - qui allait dans la poche des riches. Ce qui n'est évidemment pas le cas. Ils donnaient de l'argent pour que le Samusocial puisse fonctionner. Les dons ne représentent qu'une très petite partie du budget dont dispose l'asbl, soit 19 millions d'euros, mais ils sont d'une importance capitale pour l'achat de matériel que l'on ne peut acheter via les subsides, c'est-à-dire les dépenses non éligibles.Nous avons besoin de dons pour fonctionner, évidemment. Il en va de même pour la gestion de la structure car les coordinateurs, le CA, le bureau, ne sont pas subsidiés. Je ne veux pas défendre le fait que des édiles publiques se mettent de l'argent en poche parce qu'ils sont dans un CA d'une telle structure. Le cumul, ce n'est pas mon affaire. Mais en même temps, la structure a inévitablement un coût. Si demain, je prends un gestionnaire de crise pour le Samusocial, que croyez-vous que cela coûtera ? Et avec quel argent le payer ? Avec les dons.Même si le politique s'en va, le projet est beau, le projet est bon, le projet a des implications médicales et de santé publique.Quelles sont justement les implications santé du Samusocial ?Medihalte, par exemple. C'est une réponse à la politique de la gestion saine d'un lit aigu. " Un lit aigu sert à traiter des événements aigus. Le reste, cela peut se faire à la maison ", dit-on. Mais quand vous n'avez pas de maison, où pouvez-vous aller? C'est à cette problématique que répond Medihalte. C'est un endroit où les gens, qui ne peuvent plus rester dans la rue vu leur état de santé, peuvent se requinquer, bénéficier d'une continuité des soins. C'est un projet qui est dans la mouvance de la politique de santé actuelle, ce pourquoi nous sommes d'ailleurs financés par l'Inami.D'ailleurs, malgré les coupes budgétaires graves dans le budget de la santé, Maggie De Block - ce n'est pas le PS - a fait en sorte que l'on nous reverse intégralement la même somme dans cette convention avec l'Inami pour 2017.Quel message souhaitez-vous faire passer à ceux qui doutent de l'action du Samusocial, par rapport au corps médical ?C'est le terrain qui amène une réponse à la question. La réalité de tous les jours montre qu'il y a un sens à l'action. Concernant le corps médical, il est important de se rendre compte qu'il existe des structures qu'il faut aider pour éviter qu'à chaque fois que nous hébergeons un sans-abri malade, il se retrouve avec 2 ou 3 comorbidités majeures. Il faudrait donner les moyens à la médecine de première ligne pour prendre ces patients en charge, de manière administrativement simplifiée, pour qu'ils n'arrivent pas à des situations de détresse physique et mentale aussi graves que celles que nous constatons.Est-ce que la première ligne est capable de prendre les sans-abri en charge ?Non, c'est pour ça que le Samusocial doit continuer sa mission. Mais il faut que la première ligne soit mise en relation avec le Samusocial. Ce qui n'est pas le cas. Il faut bien comprendre que les " bas seuils " (les patients n'ayant pas d'accès aux soins, ndlr) sont une tracasserie admirative pour les généralistes, avec un retour financier pour le moins tardif.Faire des " bas seuils " ne devrait pas être l'apanage des structures comme le Samusocial et MdM. Cela devrait être promu par le système de santé. Dans ce cadre, la collaboration devient plus qu'une évidence, c'est une nécessité. Il faut simplement donner la possibilité de cette collaboration, ce qui est très difficile dans le cadre actuel.Yvan Mayeur a proposé la régionalisation de l'asbl. Est-ce une bonne solution ?Cela m'inquiète. Avec la régionalisation de l'asbl, le risque est de passer d'un CA composé uniquement du PS local, il est vrai, mais dont les résultats sur le terrain étaient bons, à un CA représenté par des politiciens qui n'ont jamais su assumer cette activité, ce pourquoi elle l'avait déléguée à une asbl privée.Attention, la régionalisation pourrait également se révéler positive sur la répartition de manière équitable de la détresse sociale à l'intérieur de la Région Bruxelles-Capitale. Ça, c'est sur le papier. Mais sur le terrain, je ne suis pas sûr que cela soit aussi simple. Car les 19 CPAS n'ont pas une volonté commune de s'occuper des sans-abri.Une reprise au sein du réseau Iris n'était pas envisageable ?C'était l'une de mes propositions. Je ne vois pas d'autre alternative étant donné mes craintes par rapport à la Région. Par extension, nous pourrions nous retrouver dans le giron des soins médicaux publics.Mon idée n'a pas été retenue pour des raisons purement locales. Yvan Mayeur et Pascale Peraïta étaient en passe de démissionner, et donc de perdre leur importance au sein du réseau Iris. Ils n'ont pas soutenu cette idée.Une reprise au sein du réseau Iris n'était pas envisageable ?C'était l'une de mes propositions. Je ne vois pas d'autre alternative, étant donné mes craintes par rapport à la Région. Par extension, nous pourrions nous retrouver dans le giron des soins médicaux publics.Mon idée n'a pas été retenue pour des raisons purement locales. Yvan Mayeur et Pascale Peraïta étaient en passe de démissionner, et donc de perdre leur importance au sein du réseau Iris. Ils n'ont pas soutenu cette idée.Est-ce que le politique a sa place dans ce genre d'institution ?Non. Mais toutes les décisions de financement de ces structures sont politiques. Donc on subit inévitablement le politique. Il faut une prise de conscience à ce niveau." La politique menée mise essentiellement sur l'humanitaire ", expliquait mercredi 7 juin Alain Maron, député Ecolo à Bruxelles, dans les colonnes de La Libre Belgique. " Elle est de plus en plus contestée, elle coûte cher et n'aide nullement à diminuer le nombre de sans-abri à Bruxelles. Le positionnement central du Samusocial et ses soutiens politiques empêchent le virage progressif vers des politiques structurelles. " Auriez-vous une réaction ?Son argumentaire est médiocre. Pourquoi de tels propos quand on connait les réponses à l'avance ? Des projets Housing First qui consistent à loger et donc resocialiser des jeunes sans-abri, cela coûte une fortune. Il faut trouver des appartements, des personnes qui accompagnent ces sans-abri. C'est extrêmement difficile. Quand on se retrouve avec 1.600 personnes à loger en plein hiver, où voulez-vous les caser par la suite ? C'est impossible !Ensuite, le Samusocial ne sert pas à diminuer le nombre de sans-abri, cela n'a jamais été son objectif. Le Samusocial sert à héberger et aider les sans-abri à se resocialiser. Bien sûr, quand nous avons la possibilité de réinsérer ces personnes, quand il y a l'accompagnement nécessaire, les projets housing first entrent en jeu. Mais on ne sait pas relocaliser tous les sans-abri de cette manière. Il faut être réaliste. Le nombre de sans abri ne diminue pas et n'est pas prêt de diminuer. Je pense cependant que nous sommes la seule structure capable de loger et de prendre en charge autant de personnes.Est-ce que vous reconnaissez qu'il y a eu une erreur de gestion politique au sein du Samusocial ?Une erreur politique, peut-être, mais une erreur de gestion, non. L'approche politique doit être clarifiée, assainie. C'est clair. Mais il faut que le politique soit capable de le faire. Là, j'ai de gros doutes. N'ayant jamais assumé cette aide aux sans-abri, le politique s'est déchargé sur une structure privée qui a assumé ce rôle avec brio pendant plus de 15 ans. Il n'y a pas de critique à ce niveau. C'est ce rôle incontesté qu'il faut sauver.Un entretien de Laurent Zanella