Une pandémie mondiale est une catastrophe ultime de détection difficile

Une catastrophe est souvent définie lorsque les effets destructeurs de ce qui la déclenche dépassent brutalement la capacité d'une communauté donnée à répondre à la demande accrue et inattendue de moyens pour garantir la santé individuelle de chacun. Cette communauté interrompue dans son fonctionnement normal est dépassée dans ses possibilités d'adaptation. Des moyens supplémentaires et des aides extérieures sont souvent requis pour retrouver dans un délai souhaité le plus court possible son fonctionnement habituel. Lorsque la catastrophe est aigue (attentats, accidents collectifs), son identification est assez rapide et la mise en place des moyens nécessaires venant de toutes les disciplines est naturelle et souvent très efficace. Cette reconnaissance de la catastrophe est bien moins aisée dans le cadre d'une pandémie de par la nature même de sa cinétique d'installation progressive et du caractère éventuellement inconnu de la maladie que l'agent causal engendre. Cette atténuation du signal d'alerte dans sa phase débutante empêche de mesurer précocement l'impact réel et potentiel de la catastrophe sanitaire qui se dessine. Ainsi, la pandémie liée au COVID-19 n'a pas échappé à cette confusion initiale. La préparation très inhomogène ou inexistante des différentes nations mondiales s'est révélée dans la lenteur et la difficulté à mettre en place les directives émises malgré l'alerte rapide de l'OMS. L'absence de coordination internationale (et européenne en ce qui nous concerne) a donc laissé à chaque état la responsabilité de gestion de cette crise sanitaire.

De l'impréparation à la pénurie en passant par la gestion du terrain, émergence de Cassandres modernes

En Belgique, dès le début de cette épidémie, l'ensemble des hôpitaux et des acteurs de terrain se sont heurtés à une pénurie à tous les niveaux : pénurie de matériel de protection, pénurie de réactifs, pénurie de matériel à usage unique, pénurie de médicaments. Cette pénurie a créé un réel sentiment d'insécurité parmi les acteurs de terrains qui ont mobilisé beaucoup de créativité et d'énergie pour temporiser ces manques afin d'apporter des soins de qualité à tous les patients atteints ou non du COVID-19. Ces médecins et soignants ont multiplié les appels, les lettres aux différentes autorités pour recevoir des réponses concrètes à leurs questions quant aux besoins immédiats et pragmatiques tant au niveau hospitalier, que dans les maisons de repos ou dans le contexte de la médecine générale et des soins de première ligne sans obtenir un accusé de réception ou des réponses utiles. Ainsi, ces personnes impliquées au coeur de la crise et au chevet des patients, même s'ils ne possèdent pas le don de prophétie de Cassandre accordé par Apollon vivent les mêmes frustrations que cette figure de mythologie grecque. Pour mémoire, Apollon regrettant d'avoir accordé ce don à Cassandre sans pouvoir lui retirer, lui infligea une malédiction : personne ne croirait jamais ses prédictions. Ainsi, pendant la guerre de Troie, elle tenta de nombreuses fois de prévenir les Troyens sans y parvenir. Aujourd'hui, nous sommes beaucoup de Cassandre sur le front de lutte de la pandémie à prévenir, à anticiper et à proposer aux autorités... en vain... Ce sentiment est universel comme en témoigne l'article de Federico Coccolini et ses collaborateurs paru récemment dans World Journal of Emergency Surgery[1]. A la décharge de ces mêmes autorités, l'organisation même de la gouvernance de crise avec le RAG, le RMG, les experts de crise et les nombreux niveaux de pouvoirs fédéraux et régionaux est source d'amalgame. Il est difficile dès lors d'imputer spécifiquement les responsabilités de manière claire d'autant que la composition des différents organes n'est pas facilement accessible et peu transparente. Ainsi, sur le front extrahospitalier et hospitalier, le ressenti est récurrent que les mesures prises et les moyens mis à disposition ne sont ni à la hauteur des besoins réels, ni en cohérence avec les annonces de ces autorités.

Les leçons de l'histoire et les perspectives à court terme

Ce vécu, aussi complexe qu'il soit, n'est pas une première dans l'histoire de notre humanité comme on peut le lire dans le livre passionnant et très documenté de Jean Delumeau " La peur en Occident " (1978)[2] dans un chapitre qui traite de la peste : " Quand apparaît le danger de la contagion, on essaie d'abord de ne pas le voir. Les chroniques relatives aux pestes font ressortir la fréquente négligence des autorités à prendre les mesures qu'imposait l'imminence du péril... ". Aujourd'hui, même si la première vague semble diminuer d'intensité au niveau des hôpitaux, la situation de la pandémie dans les maisons de repos et de soins interpelle par le nombre de personnes atteintes et par le manque de ressources pour assurer les projets de soins attendus pour chaque résident. Ainsi, l'isolement et la fragilité des personnes les plus âgées dans ce contexte hostile engendrent le désarroi des soignants et des médecins coordinateurs et généralistes qui s'organisent pour maintenir un maximum de support médical et humain pour ces patients dont la chambre est une ultime maison. Nos ainés sont testés certes mais les enjeux de ces tests sur leur devenir restent assez flous et beaucoup d'entre eux quittent seuls et sans bruit leur chambre au vu de l'agressivité de la maladie à leur égard. La pénurie est répertoriée aussi dans ces organismes mais les réponses à celle-ci sont ténues. L'annonce de l'arrêt du confinement total annoncé par phases qui débute le 4 mai 2020 autorise déjà certains citoyens à prendre plus de libertés avec les gestes barrières ce qui rend très probable l'émergence d'une deuxième vague pandémique dans un délai assez court. Dans ce contexte, les hôpitaux tentent avec le plus de cohérence possible de résoudre au niveau logistique, organisationnel et humain l'équation complexe d'un retour progressif aux activités normales tout en maintenant la capacité d'absorber un nouvel afflux de patients COVID-19.

Nous viendrons à bout de cette pandémie mais le chemin à parcourir nécessite d'affronter avec réalisme les faits et les défis auxquels nous sommes confrontés

Parallèlement, nos journaux titrent chaque jour sur les manquements de nos politiques qui ne disposent pas de tous les outils de base pour ce déconfinement (tests, matériel de protection) mais qui envisagent paradoxalement un recours aux technologies les plus récentes pour tracer de manière discutable les contacts des patients atteints. Des avis divergents d'experts nationaux ou internationaux sont largement médiatisés.

Face à la complexité et à l'incertitude, l'approche de Stockdale ?

Dès lors, dans ce contexte chaotique, quelle attitude préconiser face à cette incertitude complexe tant pour la population que pour les acteurs de la santé ? Une des pistes est de se souvenir du paradoxe de James Stockdale. Ce célèbre officier de la marine américaine a survécu à 8 ans d'emprisonnement et de torture dans un camp durant la guerre du Vietnam en se basant sur deux principes fondamentaux à savoir d'une part , ne jamais perdre la foi de gagner à la fin et d'autre part, simultanément, avoir la discipline d'affronter avec courage et réalité les faits les plus brutaux de sa réalité de prisonnier. Dans le récit de sa détention, il est paradoxal de constater que les prisonniers optimistes n'ont pas survécu, usés par une succession d'espoirs déçus quant à leur libération. Ainsi, en ce qui nous concerne, il est probablement utile de se souvenir chaque jour que nous viendrons à bout de cette pandémie mais que le chemin à parcourir nécessite d'affronter avec réalisme les faits et les défis auxquels nous sommes confrontés jour après jour. Dépasser les frustrations de Cassandre et cette pandémie sont donc à notre portée si nous, société civile et politique, ne nous fixons pas des échéances trop optimistes ou peu réalistes...

[1] COVID-19 the showdown for mass casualty preparedness and management: the Cassandra Syndrome. World Journal of Emergency Surgery (2020) 15:26. https://doi.org/10.1186/s13017-020-00304-5

[2] La peur en occident. Jean Delumeau. Fayard 1978 : 148

Une catastrophe est souvent définie lorsque les effets destructeurs de ce qui la déclenche dépassent brutalement la capacité d'une communauté donnée à répondre à la demande accrue et inattendue de moyens pour garantir la santé individuelle de chacun. Cette communauté interrompue dans son fonctionnement normal est dépassée dans ses possibilités d'adaptation. Des moyens supplémentaires et des aides extérieures sont souvent requis pour retrouver dans un délai souhaité le plus court possible son fonctionnement habituel. Lorsque la catastrophe est aigue (attentats, accidents collectifs), son identification est assez rapide et la mise en place des moyens nécessaires venant de toutes les disciplines est naturelle et souvent très efficace. Cette reconnaissance de la catastrophe est bien moins aisée dans le cadre d'une pandémie de par la nature même de sa cinétique d'installation progressive et du caractère éventuellement inconnu de la maladie que l'agent causal engendre. Cette atténuation du signal d'alerte dans sa phase débutante empêche de mesurer précocement l'impact réel et potentiel de la catastrophe sanitaire qui se dessine. Ainsi, la pandémie liée au COVID-19 n'a pas échappé à cette confusion initiale. La préparation très inhomogène ou inexistante des différentes nations mondiales s'est révélée dans la lenteur et la difficulté à mettre en place les directives émises malgré l'alerte rapide de l'OMS. L'absence de coordination internationale (et européenne en ce qui nous concerne) a donc laissé à chaque état la responsabilité de gestion de cette crise sanitaire.En Belgique, dès le début de cette épidémie, l'ensemble des hôpitaux et des acteurs de terrain se sont heurtés à une pénurie à tous les niveaux : pénurie de matériel de protection, pénurie de réactifs, pénurie de matériel à usage unique, pénurie de médicaments. Cette pénurie a créé un réel sentiment d'insécurité parmi les acteurs de terrains qui ont mobilisé beaucoup de créativité et d'énergie pour temporiser ces manques afin d'apporter des soins de qualité à tous les patients atteints ou non du COVID-19. Ces médecins et soignants ont multiplié les appels, les lettres aux différentes autorités pour recevoir des réponses concrètes à leurs questions quant aux besoins immédiats et pragmatiques tant au niveau hospitalier, que dans les maisons de repos ou dans le contexte de la médecine générale et des soins de première ligne sans obtenir un accusé de réception ou des réponses utiles. Ainsi, ces personnes impliquées au coeur de la crise et au chevet des patients, même s'ils ne possèdent pas le don de prophétie de Cassandre accordé par Apollon vivent les mêmes frustrations que cette figure de mythologie grecque. Pour mémoire, Apollon regrettant d'avoir accordé ce don à Cassandre sans pouvoir lui retirer, lui infligea une malédiction : personne ne croirait jamais ses prédictions. Ainsi, pendant la guerre de Troie, elle tenta de nombreuses fois de prévenir les Troyens sans y parvenir. Aujourd'hui, nous sommes beaucoup de Cassandre sur le front de lutte de la pandémie à prévenir, à anticiper et à proposer aux autorités... en vain... Ce sentiment est universel comme en témoigne l'article de Federico Coccolini et ses collaborateurs paru récemment dans World Journal of Emergency Surgery[1]. A la décharge de ces mêmes autorités, l'organisation même de la gouvernance de crise avec le RAG, le RMG, les experts de crise et les nombreux niveaux de pouvoirs fédéraux et régionaux est source d'amalgame. Il est difficile dès lors d'imputer spécifiquement les responsabilités de manière claire d'autant que la composition des différents organes n'est pas facilement accessible et peu transparente. Ainsi, sur le front extrahospitalier et hospitalier, le ressenti est récurrent que les mesures prises et les moyens mis à disposition ne sont ni à la hauteur des besoins réels, ni en cohérence avec les annonces de ces autorités.Ce vécu, aussi complexe qu'il soit, n'est pas une première dans l'histoire de notre humanité comme on peut le lire dans le livre passionnant et très documenté de Jean Delumeau " La peur en Occident " (1978)[2] dans un chapitre qui traite de la peste : " Quand apparaît le danger de la contagion, on essaie d'abord de ne pas le voir. Les chroniques relatives aux pestes font ressortir la fréquente négligence des autorités à prendre les mesures qu'imposait l'imminence du péril... ". Aujourd'hui, même si la première vague semble diminuer d'intensité au niveau des hôpitaux, la situation de la pandémie dans les maisons de repos et de soins interpelle par le nombre de personnes atteintes et par le manque de ressources pour assurer les projets de soins attendus pour chaque résident. Ainsi, l'isolement et la fragilité des personnes les plus âgées dans ce contexte hostile engendrent le désarroi des soignants et des médecins coordinateurs et généralistes qui s'organisent pour maintenir un maximum de support médical et humain pour ces patients dont la chambre est une ultime maison. Nos ainés sont testés certes mais les enjeux de ces tests sur leur devenir restent assez flous et beaucoup d'entre eux quittent seuls et sans bruit leur chambre au vu de l'agressivité de la maladie à leur égard. La pénurie est répertoriée aussi dans ces organismes mais les réponses à celle-ci sont ténues. L'annonce de l'arrêt du confinement total annoncé par phases qui débute le 4 mai 2020 autorise déjà certains citoyens à prendre plus de libertés avec les gestes barrières ce qui rend très probable l'émergence d'une deuxième vague pandémique dans un délai assez court. Dans ce contexte, les hôpitaux tentent avec le plus de cohérence possible de résoudre au niveau logistique, organisationnel et humain l'équation complexe d'un retour progressif aux activités normales tout en maintenant la capacité d'absorber un nouvel afflux de patients COVID-19.Parallèlement, nos journaux titrent chaque jour sur les manquements de nos politiques qui ne disposent pas de tous les outils de base pour ce déconfinement (tests, matériel de protection) mais qui envisagent paradoxalement un recours aux technologies les plus récentes pour tracer de manière discutable les contacts des patients atteints. Des avis divergents d'experts nationaux ou internationaux sont largement médiatisés.Dès lors, dans ce contexte chaotique, quelle attitude préconiser face à cette incertitude complexe tant pour la population que pour les acteurs de la santé ? Une des pistes est de se souvenir du paradoxe de James Stockdale. Ce célèbre officier de la marine américaine a survécu à 8 ans d'emprisonnement et de torture dans un camp durant la guerre du Vietnam en se basant sur deux principes fondamentaux à savoir d'une part , ne jamais perdre la foi de gagner à la fin et d'autre part, simultanément, avoir la discipline d'affronter avec courage et réalité les faits les plus brutaux de sa réalité de prisonnier. Dans le récit de sa détention, il est paradoxal de constater que les prisonniers optimistes n'ont pas survécu, usés par une succession d'espoirs déçus quant à leur libération. Ainsi, en ce qui nous concerne, il est probablement utile de se souvenir chaque jour que nous viendrons à bout de cette pandémie mais que le chemin à parcourir nécessite d'affronter avec réalisme les faits et les défis auxquels nous sommes confrontés jour après jour. Dépasser les frustrations de Cassandre et cette pandémie sont donc à notre portée si nous, société civile et politique, ne nous fixons pas des échéances trop optimistes ou peu réalistes...[1] COVID-19 the showdown for mass casualty preparedness and management: the Cassandra Syndrome. World Journal of Emergency Surgery (2020) 15:26. https://doi.org/10.1186/s13017-020-00304-5[2] La peur en occident. Jean Delumeau. Fayard 1978 : 148