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Revenons d'abord sur les faits. N'en déplaise à Donald Trump et autres climatosceptiques, la Terre a connu en 2014, 2015 et 2016 les années les plus chaudes depuis 1880. Et l'activité humaine y est pour beaucoup. "Très clairement, la tendance est à la hausse, contrairement à ce que certains essayent encore de nous faire croire", prévient le Pr Jean-Pascal van Ypersele, vice-président du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). "Les températures montent, et la surface de glace descend. Conséquence: le niveau des mers a grimpé de 20 centimètres en 100 ans." À cela s'ajoutent des vagues de chaleur plus fréquentes, des précipitations en augmentation, plus intenses, avec des risques accrus d'inondations. "Les crises humanitaires ne feront qu'augmenter", annonce le professeur néo-louvaniste, citant les exemples récents de l'Allemagne et de Puerto Rico.La cause de ces changements est également connue: les émissions de gaz à effet de serre (GES), et en particulier le carbone qui est responsable de 85% de l'effet total. "Jamais au cours des 3 derniers millions d'années, jamais la concentration en CO² n'a été aussi élevée que ce qu'elle est aujourd'hui." Comment cela se fait-il ? "L'activité humaine a perturbé le cycle naturel du carbone", répond le Pr van Ypersele.Des effets sur la santéLes changements climatiques affectent la santé publique de différentes manières. "Il faut distinguer conséquences directes et indirectes", considère le Dr Bettina Menne, Programme manager du bureau européen de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS). "150.000 décès enregistrés dans le monde en l'an 2000 étaient dus au changement climatique. Une nouvelle étude de l'OMS indique que ce chiffre devrait s'élever à plus de 250.000 décès par an dans le monde, d'ici 2040." Lorsque les températures sont plus élevées, les hivers plus doux et les étés plus humides, les zones où certains vecteurs pathogènes (tels que les tiques et les moustiques) peuvent survivre et proliférer s'étendent. Ces insectes peuvent ensuite transmettre des maladies telles que la maladie de Lyme, la dengue et la malaria dans de nouvelles régions dont le climat n'était auparavant pas propice à ces affections. "Certaines maladies vectorielles vont croître à certains endroits, et décroître ailleurs, il faut le dire", tempère le Pr van Ypersele. "Dans certains domaines, il y a une diminution des zones de prévalence. Mais quand on fait le bilan, on voit très clairement que les zones où il y a un risque majoré pour la santé sont plus importantes."Que faire ?"Les effets des changements climatiques sur la santé se ressentent déjà aujourd'hui, et les projections représentent un risque inacceptable et potentiellement catastrophique pour la santé", expliquait en 2015 la Lancet Commission on Climate Change and Health. "Mais s'attaquer à ces changements climatiques représente la plus grande opportunité de santé publique du 21ième siècle."La voie la plus évidente est de réduire les GES. Le GIEC propose 4 scénarios dans son dernier rapport. À activité humaine égale, les émissions de carbone vont exploser d'ici à 2100 tandis que les températures augmenteront de 4°C. Au prix d'efforts considérables, nous pourrions toutefois garder un équilibre au niveau des émissions de carbone et donc contrôler la montée des températures (+1°C).Côté médical, l'American College of Physicians (ACP) estime qu'il est nécessaire de réduire les effets des changements climatiques sur la santé. Le collège donne des exemples d'adaptation concrets par rapport, notamment, aux vagues de chaleur extrême qui ont touché l'Europe (système d'alarme, émissions réduites pour améliorer la qualité de l'air, rénovation du bâtis résidentiel et du lieu de travail).L'ACP milite par ailleurs pour que le secteur médical, aux États-Unis et ailleurs, implémente des pratiques environnementales durables et efficientes pour se préparer aux impacts des changements climatiques et pour assurer la continuité des soins. L'ACP s'appuie sur le fait qu'aux États-Unis, le secteur des soins de santé est le deuxième secteur le plus énergivore après l'industrie agro-alimentaire, et dépense environ 9 milliards de dollars pour des coûts liés à l'énergie. Les hôpitaux américains sont par ailleurs généreux en déchets, puisqu'ils en produisent plus de 2,3 millions de tonnes par an.En BelgiqueLa Belgique lutte régionalement pour limiter les émissions GES, afin d'atteindre les objectifs fixés par l'Europe. Si au nord, "la Flandre éprouve des difficultés à respecter ses engagements", selon Paul Furlan (PS), ce n'est pas le cas de la Région Bruxelles-capitale, qui a déclaré pouvoir honorer ses objectifs. En Wallonie, les objectifs 2020 seront également atteints. Certaines mauvaises langues diront que c'est à cause du départ de l'industrie lourde, mais les chiffres montrent que les efforts vont plus loin. Ainsi, d'ici 2020, la Wallonie aura réduit ses émissions de GES de 19% au lieu des 14,7 auxquels la région s'est engagée dans l'objectif belge. La Wallonie fait donc figure de bon élève. Par ailleurs, suite à l'initiative de la région, la Belgique est récemment devenue membre de la Coalition pour le climat et l'air pur. Le pays fait également partie de l'Alliance pour la sortie du charbon lancée lors de la COP23 par le Royaume-Uni et le Canada.L'OMS classe pourtant la Belgique dans les mauvais élèves par rapport à son intégration des mesures de santé publique dans notre plan d'adaptation aux changements climatiques. "Les politiques d'atténuation présentent de multiples coûts-bénéfices qui ne sont pas assez mis en valeur, notamment en matière de santé et d'économie", justifie le Dr Yseult Navez, coordinatrice de la cellule environnement santé du SPF santé publique. "Par exemple, en matière de santé, les mesures énergétiques s'accompagnent très souvent de limitation de polluants atmosphériques néfastes pour la santé. On pense aux particules fines, notamment. Cela améliore la qualité de l'air et diminue donc les maladies cardiaques, respiratoires."Le Dr Navez ajoute encore qu'une collaboration est essentielle entre professionnels de la santé et entre institutions. "Le SPF, le KCE et l'Inami doivent travailler main dans la main. Notre santé, la santé animale et l'environnement sont interdépendants. Il faut aborder ces sujets de manière holistique." Il s'agit en somme de s'inspirer du projet One Health initié au début des années 2000, qui promeut une approche intégrée, systémique et unifiée de la santé publique, animale et environnementale aux échelles locale, nationale et planétaire. "Les changements climatiques peuvent être rendus très concrets par l'intermédiaire des effets très mesurables qu'ils ont sur la santé", conclut le Pr van Ypersele. "Ils affectent en premier lieu les groupes les plus vulnérables, il s'agit donc aussi d'un problème social. Il y a par ailleurs une opportunité à saisir en termes de sensibilisation: chacun peut percevoir les changements climatiques différemment, en voyant par exemple les impacts qu'ils peuvent avoir sur sa propre santé, et ainsi pousser à modifier les comportements." Nul doute qu'ici encore, la première ligne a un rôle à jouer.