Le journal du Médecin: Estimez-vous que l'agence a bien évolué durant ces 15 dernières années par rapport à deux de ses principaux "clients": les médecins et les pharmaciens?

Xavier De Cuyper, administrateur général de l'AFMPS: Je suis convaincu qu'il y a une plus-value pour ces deux professions particulières. Pour les pharmaciens, rappelons que l'agence est née d'une direction générale chargée de l'inspection des médicaments. On a profité de la création de l'agence pour développer toutes les étapes de la vie du médicament: pas seulement l'inspection mais aussi la recherche et le développement, la surveillance, la vigilance, etc... L'amélioration du service rendu aux pharmaciens est moins spectaculaire vu les nombreuses interactions que l'agence entretien avec eux depuis toujours. Nous devons par contre poursuivre le développement de nos relations avec le corps médical. Nous les informons déjà depuis 50 ans grâce au CBIP (Centre belge d'information pharmacothérapeutique), qui bénéfice d'une réputation d'indépendance.

Xavier De Cuyper: "Certains termes sont interdits à l'agence. Nous ne voulons, par exemple, plus entendre le mot "back log". Au début, l'AFMPS a été entre autres créée pour réduire les retards colossaux dans le traitement des dossiers d'enregistrement des médicaments.

À l'occasion des 50 ans du CBIP, j'ai répété que l'information relative aux médicaments doit être accessible aux différents publics et qu'il faut donc s'adapter en ce sens. On ne s'adresse pas de la même manière à un médecin, à un pharmacien, à un industriel ou à un citoyen... J'aurais été le plus heureux des hommes si le citoyen qui cherche une information sur les médicaments avait le réflexe de se rendre spontanément sur notre site. L'agence a une plus grande visibilité mais nous n'avons pas encore atteint cet objectif. D'autre part, notre nouvelle base de données sur les médicaments centralise toutes les informations sur les médicaments: notices, RCP, documents RMA, DHPC ... et, grâce à Pharmastatut.be, tout le monde sait si un médicament est disponible. Il y a donc eu de grands pas en avant. Rappelons que par le passé le corps médical ne connaissait pas l'agence. Cela a fort changé. Entre autres au travers des différentes crises durant lesquelles nous avons beaucoup informé les médecins qui en retour nous ont bien informés de la situation réelle sur le terrain et de leurs besoins Nous avons aussi été très transparents. Ces efforts ont renforcé notre notoriété.

Au-delà de la spécificité des crises, je suis un grand partisan des plateformes informelles où tout peut être dit et débattu. Nous en avons créé pour presque tous les prestataires et nos stakeholders mais pas encore pour les médecins parce qu'il est plus difficile d'avoir les représentants spécialisés sur tous les sujets. Toutefois l'agence est certainement intéressée. Nous venons voici deux à trois ans d'en mettre une sur pied pour les patients. Il va par contre de soi que nous associons de nombreux experts médecins dans de multiples spécialisations pour nous conseiller dans nos missions, notamment notre participation aux comités scientifiques de l'EMA ou dans certains groupes de travail et commissions interne à l'AFMPS.

Trouvez-vous des médecins prêts à travailler pour l'agence? L'Inami, le KCE et les organismes assureurs cherchent aussi des médecins prêts à partager leur expertise.

Nous en trouvons mais, et c'est naturel, il y a une grosse concurrence entre les institutions publiques. Un de mes grands regrets est de ne pas être parvenu à obtenir une certaine flexibilité, dans tous les sens du terme, pour l'AFMPS au niveau, par exemple, du recrutement ou des carrières. Les choses s'améliorent, par exemple, lorsque le Selor a modifié les épreuves informatiques qui n'étaient pas du tout adaptées pour les médecins.

Il faut des profils de plus en plus pointus. Par exemple, on ne peut pas demander à un expert en oncologie de venir travailler à l'agence s'il doit démarrer au bas de l'échelle ou imposer de travailler sous statut et à 100%. Nous devons obtenir plus de souplesse. Je suis convaincu que des adaptations sont possibles et je me réjouis que les médecins qui travaillent pour nous sont ravis parce que, par exemple, ils peuvent participer au débat scientifique qui se déroule notamment à l'EMA (Agence européenne du médicament).

Mes collègues de l'Inami et du SPF Santé publique ont le même souci au niveau du recrutement. Il est à cet égard important d'entretenir des bonnes relations avec l'Académie de médecine, avec les universités... Nous en avons par exemple au travers des essais cliniques dans lesquels les médecins sont impliqués, entre autres, dans la conception R&D.

Au sein de l'agence, nous pouvons compter sur l'expertise de juristes, c'est important dans une administration, mais aussi de nombreux profils scientifiques: médecins, pharmaciens, vétérinaires, ingénieurs... Les ingénieurs sont par exemple indispensables parce que les dispositifs médicaux sont issus ou constitués de technologies de plus en plus complexes.

Le recrutement au sein de l'agence évolue-t-il bien? Vous allez pouvoir engager 13 personnes. Est-ce suffisant?

Si j'écoute mes collaborateurs, ce n'est sans doute pas suffisant (rires). Honnêtement, il faut parfois prendre le temps de se poser et de gérer la croissance. L'agence est passée de 200 collaborateurs au début à 500 actuellement. C'est une belle croissance. Nous recrutons encore parce que nous avons constaté lors de crise sanitaire qu'il nous manquait quelques profils. Nous devons aussi tenir compte des demandes des stakeholders. C'est grâce au dialogue constant avec ceux qui nous financent que nous évoluons. C'est un challenge dans la fonction publique.

Le mécanisme de co-financement public-privé de l'agence est-il unique en Belgique?

Oui, c'est un mécanisme très innovant. Ce système de financement nous a pris beaucoup d'énergie lors de sa conception, mais il nous permet, là où il y a un intérêt commun, de développer des nouveaux projets. Ce qui est beaucoup plus complexe pour une administration qui a un modèle de financement classique qui dépend de débat d'opportunité politique dans notre système démocratique. Notre système de financement est une belle opportunité, au profit de tout le monde et, in fine, du patient tout en veillant à éviter les conflits d'intérêt bien sûr.

Pour résumer le système de financement de l'agence, les entreprises du médicament et du dispositif médical paient les différents services que l'AFMPS leur rend.

Ce système de financement est simple. Il est basé sur l'activité en tenant compte des coûts de chacun de nos outputs. Le stakeholder concerné - l'industrie, les vétérinaires, les pharmaciens... - accepte de payer une redevance pour le service rendu. Nous avons mis au point un système, qui est à la base de la loi de financement qui vient d'être revue, qui prévoit que si l'agence a perçu trop d'argent, par exemple, parce que le volume prévu n'a pas été atteint, ce montant est remboursé. C'est un avantage pour négocier avec les différents partenaires parce que le financement est transparent.

Le budget de fonctionnement de l'AFMPS est de 104 millions d'euros. Quelle est la partie couverte par l'industrie?

La contribution de l'industrie et des stakeholders en général varie d'une année à l'autre, entre 75% et 80% du budget global. Il serait intéressant d'ouvrir un débat démocratique sur la part que l'État est prêt à payer via sa dotation pour le fonctionnement de l'agence et sur la manière dont on définit les services qui sont payants. Par exemple, est-ce que l'information sur les médicaments relève d'un financement par l'État ou par l'industrie? Par qui la surveillance des activités liées au matériel corporel humain doit-elle être financée? Ce sont des choix politiques qui ont été faits et un consensus a été trouvé chaque fois qu'une situation particulière se présente.

Xavier De Cuyper: "Nous avons connu au début de la pandémie une course aux vaccins entre les différents pays. Je salue le travail de la commission européenne d'avoir mis en place un système transparent qui nous a permis de gagner énormément de temps et d'énergie.", Getty Images/iStockphoto
Xavier De Cuyper: "Nous avons connu au début de la pandémie une course aux vaccins entre les différents pays. Je salue le travail de la commission européenne d'avoir mis en place un système transparent qui nous a permis de gagner énormément de temps et d'énergie." © Getty Images/iStockphoto

La Belgique est une terre d'essais cliniques. Votre agence accompagne de nombreux essais cliniques. N'est-ce pas remarquable pour un si petit pays?

En effet, certains de nos ministres dans les gouvernements successifs qualifient la Belgique de "Pharmaland". Les essais cliniques permettent de donner aux patients l'accès contrôlé à certains médicaments innovants. Les pays où on ne réalise pas d'essais cliniques doivent attendre leur autorisation de mise sur le marché. Faire des essais cliniques demandent beaucoup d'efforts à des pays comme le nôtre parce que la population est limitée et qu'il faut atteindre une masse critique. Nous donnons aussi, en amont, beaucoup d'avis sur les essais cliniques. Il est très important pour l'industrie et ceux qui développent de nouveaux produits de s'assurer de la pertinence des choix qu'ils font, d'autant plus que dans ce secteur très concurrentiel, il y a une véritable course contre la montre. Ces entreprises peuvent demander, dans des conditions de très strictes confidentialité, d'obtenir un avis scientifique des agences, soit européenne, soit nationale. Nous avons d'ailleurs créé l' "Innovation Office" au sein de l'AFMPS. Ce système leur fait gagner énormément de temps et donc d'argent. Nous figurons dans le top trois au niveau du nombre et de la qualité de nos avis. Notre investissement dans ces domaines permet d'attirer la recherche et dès lors de donner un accès plus rapide et contrôlé à l'innovation.

Vous dirigez depuis longtemps l'agence, plus de 15 ans. A l'instar de Jo De Cock (Inami) et Chris De Coster (SPF Santé publique), vous incarnez votre administration et vous avez assuré sa pérennité. Quels sont, à vos yeux, les grands défis qui attendent encore l'AFMPS et devront être relevés par votre successeur?

Plusieurs défis ne sont pas nouveaux, mais ils ne peuvent plus être laissés de côté. Ainsi, le premier défi est régler la problématique des indisponibilités. C'est un vrai problème de santé publique. Tout le monde y travaille. La Belgique est plus avancée que de nombreux États membres en la matière puisque cela fait des années que nous avons mis sur pied avec les partenaires concernés des procédures pour proactivement assurer la meilleure disponibilité. Ces derniers mois, un certain nombre de décisions juridiques ont été prises par exemple pour permettre d'importer encore plus facilement. Nous allons surtout mettre au point un système de monitoring des stocks. Il faut aussi tenir compte de l'importation parallèle. Ce débat n'est pas simple, mais il y a désormais une véritable prise de conscience au niveau européen.

Un autre défi est de promouvoir l'innovation pour les besoins non-rencontrés. L'industrie, pour des raisons parfois tout à fait objectives, considère qu'elle ne peut pas développer des produits de niche. On sait que le développement de médicaments pour les maladies rares coûte énormément en développement sans garantie de rentabilité. Trouver des solutions dépasse le rôle de l'agence, c'est plutôt du ressort de l'Inami, mais il faut avoir le courage politique d'en discuter au niveau européen. Se pose aussi la question du financement global des médicaments? Certains financements, moins nécessaires, pourraient être utilisés pour des traitements pour les maladies rares. Soulignons que nous pensons en termes d'accès rapide à l'innovation et nos collègues de l'Inami cherchent des solutions qui soient accessibles financièrement. Ce qui est logique. Aujourd'hui, heureusement on est capable d'avoir un dialogue beaucoup plus précoce entre les experts des différentes administrations et nous sommes tous demandeurs d'une politique HTA la plus européenne possible

Troisième défi: il faut avoir une meilleure réglementation sur les dispositifs médicaux. Faut-il créer une agence européenne des dispositifs médicaux? Ce n'est pas une priorité, mais on peut améliorer les exigences sur les garanties de qualité, sécurité et d'efficacité des produits.

Lorsque vous remettrez la clé de l'agence à votre successeur, penserez-vous que l'outil que vous lui laissez en héritage est tout à fait performant ?

Ce serait très prétentieux de ma part. Avec les équipes, nous pouvons être fiers de ce que nous avons réalisé durant les 15 dernières années. Certains chantiers sont encore ouverts. La motivation et l'expertise du personnel sont bien présentes. Je suis confiant sur les possibilités de développement de l'agence.

Importante mobilisation durant la crise

Durant la crise sanitaire, les vaccins ont été achetés aux producteurs via des marchés européens. Est-ce une solution d'avenir de grouper les commandes pour réduire les prix?

Cet achat groupé a été un succès. La commission européenne a d'ailleurs ancré ce mécanisme dans une structure qui va centraliser ces démarches. Cela n'a aucun sens que les pays négocient individuellement avec les fournisseurs, surtout les petits pays qui sont désavantagés par rapport aux grands. Nous avons connu au début de la pandémie une course aux vaccins entre les différents pays. Je salue le travail de la commission européenne d'avoir mis en place un système transparent qui nous a permis de gagner énormément de temps et d'énergie. Rappelons qu'au début de la crise, il y a eu d'importantes difficultés d'approvisionnement de certains produits. C'était un peu la panique à l'échelle du monde.

Pendant la pandémie, l'agence a été responsable du ravitaillement et de l'inspection des centres de vaccination, mais aussi de la distribution des vaccins. Vous avez aussi publié des communiqués, entre autre via les réseaux sociaux, pour signaler les effets indésirables des vaccins. Une initiative fort pragmatique et transparente.

Notre volonté est d'offrir notre expertise à ceux qui en ont besoin. Dès le début de la pandémie, nous avons mis sur pied à l'agence une task force pour pallier les différents manques. A aucun moment, nous n'avons laissé tomber les hôpitaux qui se trouvaient face à des indisponibilités, notamment pour les curares au niveau des soins intensifs. Nous avons eu une collaboration remarquable avec les hôpitaux universitaires et avec les fédérations des pharmaciens hospitaliers.

Mais je tiens à ajouter que cela ne nous a jamais fait dévier par rapport à nos missions de base qui sont de garantir la qualité, l'efficacité et la sécurité des médicaments et produits de santé mis sur le marché. Nous avons ainsi constaté avec satisfaction que les acteurs de terrain comme les citoyens ont notifié énormément d'effets indésirables. Cela est essentiel a fortiori dans les situations de crise pendant lesquelles les procédures d'évaluation ont été accélérées pour offrir au plus vite la mise à disposition de nouveaux produits comme les vaccins.

Lors de la crise, vous avez dû aussi rendre rapidement des avis sur des médicaments et des dispositifs médicaux.

En effet. Les vaccins sont un domaine d'excellence de l'agence. Tout simplement parce que GSK est très présent en Belgique. En tant qu'Européen convaincu, je suis persuadé que tous les États ne doivent pas faire la même chose. Essayons de mutualiser nos efforts pour réduire les coûts pour la société. Nous avons été sollicités pour les essais cliniques, les avis scientifiques et l'évaluation d'un des cinq dossiers introduits pour la mise sur le marché des vaccins anti-Covid. C'est une satisfaction et une grande motivation pour les équipes concernées.

La N-VA et le Vlaams Belang ont réclamé lors des récentes discussions sur la loi de financement de l'AFMPS un audit de l'agence. Qu'en pensez-vous ?

Chacun joue son rôle dans l'arène politique. Lors de la création de l'agence, le législateur a prévu trois comités importants, dont un comité consultatif qui indique le caractère de service public de l'agence, et qui prévoit un droit de regard et de dialogue de tous les stakeholders sur notre fonctionnement, et un comité de transparence pour rappeler que le financement complémentaire à celui de l'Etat mérite une transparence totale. Je n'ai donc aucun souci par rapport à la demande de réaliser un audit de l'AFMPS. Tout n'est pas à 100% parfait, mais fondamentalement, les partenaires les plus concernés, dont l'industrie, auraient exigé cet audit s'il y avait vraiment des doutes sur le bon fonctionnement de l'agence.

Votre agence a également réalisé beaucoup d'études sur les (auto)tests durant la crise sanitaire.

Cette évaluation est toujours en cours. Il faut rappeler le contexte dans lequel nous avons dû réagir. On était face à une urgence. Il fallait déterminer les types des tests qui pourraient être utilisés. Heureusement, nous avons assez d'experts au niveau des hôpitaux pour réaliser rapidement des tests, mais il fallait également faire face à une pénurie de matériel. Des écouvillons ont été imprimés en 3D... Les gouvernements successifs ont dû faire preuve d'imagination pour s'assurer de la mise sur le marché et de la distribution de tous ces produits. Il a fallu aussi mettre des freins par rapport à la commercialisation d'auto-tests qui n'étaient pas valables. La nouvelle réglementation sur les dispositifs médicaux ne va pas encore assez loin malgré les crises que nous avons connues, comme celle des implants mammaires. Ces crises sont en partie dues au fait que l'évaluation de ces produits avant la mise sur le marché n'est pas, comme pour le médicament, aux mains des autorités publiques, mais des firmes privées.

Avez-vous au sein de l'agence une cellule capable de réagir face à une situation de crise, par exemple, une nouvelle pandémie ?

Au niveau des processus, nous avons effectivement une cellule capable de réagir. Mais je suis le premier à reconnaître, pour avoir connu dans ma vie professionnelle antérieure d'autres crises -j'ai entre autres participé très étroitement à la gestion de la crise de la dioxine -, que chaque crise est différente. Il faut garder en tête plusieurs principes de base : unicité du commandement et de la communication. En raison de la durée de cette crise sanitaire, de nombreux processus ont été ancrés de façon durable au niveau de l'AFMPS, mais aussi avec les autres administrations. Cette collaboration est un facteur de succès évident. La mise en place de plusieurs structures a aidé pour la prise de décisions. Des cellules peuvent être activées directement en cas de crise, mais on ne peut bloquer un certain nombre de professionnels dans l'attente d'une crise. Il faut davantage être capable d'activer des expertises qui ont été préalablement identifiées. Il est aussi nécessaire, et c'est d'ailleurs obligatoire, d'avoir un plan de continuité des activités.

Vos équipes ont-elles été sous pression durant la crise sanitaire?

Indéniablement. Elles ont eu énormément de travail et je souligne l'investissement personnel gigantesque sur le plan physique de dizaines de collaborateurs pendant des mois pour contribuer avec maîtrise et efficacité à la gestion de la pandémie dans notre pays. Je comprends donc que quelques personnes ont ensuite quitté l'agence pour ne plus connaître cette pression.

Le journal du Médecin: Estimez-vous que l'agence a bien évolué durant ces 15 dernières années par rapport à deux de ses principaux "clients": les médecins et les pharmaciens? Xavier De Cuyper, administrateur général de l'AFMPS: Je suis convaincu qu'il y a une plus-value pour ces deux professions particulières. Pour les pharmaciens, rappelons que l'agence est née d'une direction générale chargée de l'inspection des médicaments. On a profité de la création de l'agence pour développer toutes les étapes de la vie du médicament: pas seulement l'inspection mais aussi la recherche et le développement, la surveillance, la vigilance, etc... L'amélioration du service rendu aux pharmaciens est moins spectaculaire vu les nombreuses interactions que l'agence entretien avec eux depuis toujours. Nous devons par contre poursuivre le développement de nos relations avec le corps médical. Nous les informons déjà depuis 50 ans grâce au CBIP (Centre belge d'information pharmacothérapeutique), qui bénéfice d'une réputation d'indépendance. À l'occasion des 50 ans du CBIP, j'ai répété que l'information relative aux médicaments doit être accessible aux différents publics et qu'il faut donc s'adapter en ce sens. On ne s'adresse pas de la même manière à un médecin, à un pharmacien, à un industriel ou à un citoyen... J'aurais été le plus heureux des hommes si le citoyen qui cherche une information sur les médicaments avait le réflexe de se rendre spontanément sur notre site. L'agence a une plus grande visibilité mais nous n'avons pas encore atteint cet objectif. D'autre part, notre nouvelle base de données sur les médicaments centralise toutes les informations sur les médicaments: notices, RCP, documents RMA, DHPC ... et, grâce à Pharmastatut.be, tout le monde sait si un médicament est disponible. Il y a donc eu de grands pas en avant. Rappelons que par le passé le corps médical ne connaissait pas l'agence. Cela a fort changé. Entre autres au travers des différentes crises durant lesquelles nous avons beaucoup informé les médecins qui en retour nous ont bien informés de la situation réelle sur le terrain et de leurs besoins Nous avons aussi été très transparents. Ces efforts ont renforcé notre notoriété. Au-delà de la spécificité des crises, je suis un grand partisan des plateformes informelles où tout peut être dit et débattu. Nous en avons créé pour presque tous les prestataires et nos stakeholders mais pas encore pour les médecins parce qu'il est plus difficile d'avoir les représentants spécialisés sur tous les sujets. Toutefois l'agence est certainement intéressée. Nous venons voici deux à trois ans d'en mettre une sur pied pour les patients. Il va par contre de soi que nous associons de nombreux experts médecins dans de multiples spécialisations pour nous conseiller dans nos missions, notamment notre participation aux comités scientifiques de l'EMA ou dans certains groupes de travail et commissions interne à l'AFMPS. Trouvez-vous des médecins prêts à travailler pour l'agence? L'Inami, le KCE et les organismes assureurs cherchent aussi des médecins prêts à partager leur expertise. Nous en trouvons mais, et c'est naturel, il y a une grosse concurrence entre les institutions publiques. Un de mes grands regrets est de ne pas être parvenu à obtenir une certaine flexibilité, dans tous les sens du terme, pour l'AFMPS au niveau, par exemple, du recrutement ou des carrières. Les choses s'améliorent, par exemple, lorsque le Selor a modifié les épreuves informatiques qui n'étaient pas du tout adaptées pour les médecins. Il faut des profils de plus en plus pointus. Par exemple, on ne peut pas demander à un expert en oncologie de venir travailler à l'agence s'il doit démarrer au bas de l'échelle ou imposer de travailler sous statut et à 100%. Nous devons obtenir plus de souplesse. Je suis convaincu que des adaptations sont possibles et je me réjouis que les médecins qui travaillent pour nous sont ravis parce que, par exemple, ils peuvent participer au débat scientifique qui se déroule notamment à l'EMA (Agence européenne du médicament). Mes collègues de l'Inami et du SPF Santé publique ont le même souci au niveau du recrutement. Il est à cet égard important d'entretenir des bonnes relations avec l'Académie de médecine, avec les universités... Nous en avons par exemple au travers des essais cliniques dans lesquels les médecins sont impliqués, entre autres, dans la conception R&D. Au sein de l'agence, nous pouvons compter sur l'expertise de juristes, c'est important dans une administration, mais aussi de nombreux profils scientifiques: médecins, pharmaciens, vétérinaires, ingénieurs... Les ingénieurs sont par exemple indispensables parce que les dispositifs médicaux sont issus ou constitués de technologies de plus en plus complexes. Le recrutement au sein de l'agence évolue-t-il bien? Vous allez pouvoir engager 13 personnes. Est-ce suffisant? Si j'écoute mes collaborateurs, ce n'est sans doute pas suffisant (rires). Honnêtement, il faut parfois prendre le temps de se poser et de gérer la croissance. L'agence est passée de 200 collaborateurs au début à 500 actuellement. C'est une belle croissance. Nous recrutons encore parce que nous avons constaté lors de crise sanitaire qu'il nous manquait quelques profils. Nous devons aussi tenir compte des demandes des stakeholders. C'est grâce au dialogue constant avec ceux qui nous financent que nous évoluons. C'est un challenge dans la fonction publique. Le mécanisme de co-financement public-privé de l'agence est-il unique en Belgique? Oui, c'est un mécanisme très innovant. Ce système de financement nous a pris beaucoup d'énergie lors de sa conception, mais il nous permet, là où il y a un intérêt commun, de développer des nouveaux projets. Ce qui est beaucoup plus complexe pour une administration qui a un modèle de financement classique qui dépend de débat d'opportunité politique dans notre système démocratique. Notre système de financement est une belle opportunité, au profit de tout le monde et, in fine, du patient tout en veillant à éviter les conflits d'intérêt bien sûr. Ce système de financement est simple. Il est basé sur l'activité en tenant compte des coûts de chacun de nos outputs. Le stakeholder concerné - l'industrie, les vétérinaires, les pharmaciens... - accepte de payer une redevance pour le service rendu. Nous avons mis au point un système, qui est à la base de la loi de financement qui vient d'être revue, qui prévoit que si l'agence a perçu trop d'argent, par exemple, parce que le volume prévu n'a pas été atteint, ce montant est remboursé. C'est un avantage pour négocier avec les différents partenaires parce que le financement est transparent.Le budget de fonctionnement de l'AFMPS est de 104 millions d'euros. Quelle est la partie couverte par l'industrie? La contribution de l'industrie et des stakeholders en général varie d'une année à l'autre, entre 75% et 80% du budget global. Il serait intéressant d'ouvrir un débat démocratique sur la part que l'État est prêt à payer via sa dotation pour le fonctionnement de l'agence et sur la manière dont on définit les services qui sont payants. Par exemple, est-ce que l'information sur les médicaments relève d'un financement par l'État ou par l'industrie? Par qui la surveillance des activités liées au matériel corporel humain doit-elle être financée? Ce sont des choix politiques qui ont été faits et un consensus a été trouvé chaque fois qu'une situation particulière se présente. La Belgique est une terre d'essais cliniques. Votre agence accompagne de nombreux essais cliniques. N'est-ce pas remarquable pour un si petit pays? En effet, certains de nos ministres dans les gouvernements successifs qualifient la Belgique de "Pharmaland". Les essais cliniques permettent de donner aux patients l'accès contrôlé à certains médicaments innovants. Les pays où on ne réalise pas d'essais cliniques doivent attendre leur autorisation de mise sur le marché. Faire des essais cliniques demandent beaucoup d'efforts à des pays comme le nôtre parce que la population est limitée et qu'il faut atteindre une masse critique. Nous donnons aussi, en amont, beaucoup d'avis sur les essais cliniques. Il est très important pour l'industrie et ceux qui développent de nouveaux produits de s'assurer de la pertinence des choix qu'ils font, d'autant plus que dans ce secteur très concurrentiel, il y a une véritable course contre la montre. Ces entreprises peuvent demander, dans des conditions de très strictes confidentialité, d'obtenir un avis scientifique des agences, soit européenne, soit nationale. Nous avons d'ailleurs créé l' "Innovation Office" au sein de l'AFMPS. Ce système leur fait gagner énormément de temps et donc d'argent. Nous figurons dans le top trois au niveau du nombre et de la qualité de nos avis. Notre investissement dans ces domaines permet d'attirer la recherche et dès lors de donner un accès plus rapide et contrôlé à l'innovation. Vous dirigez depuis longtemps l'agence, plus de 15 ans. A l'instar de Jo De Cock (Inami) et Chris De Coster (SPF Santé publique), vous incarnez votre administration et vous avez assuré sa pérennité. Quels sont, à vos yeux, les grands défis qui attendent encore l'AFMPS et devront être relevés par votre successeur? Plusieurs défis ne sont pas nouveaux, mais ils ne peuvent plus être laissés de côté. Ainsi, le premier défi est régler la problématique des indisponibilités. C'est un vrai problème de santé publique. Tout le monde y travaille. La Belgique est plus avancée que de nombreux États membres en la matière puisque cela fait des années que nous avons mis sur pied avec les partenaires concernés des procédures pour proactivement assurer la meilleure disponibilité. Ces derniers mois, un certain nombre de décisions juridiques ont été prises par exemple pour permettre d'importer encore plus facilement. Nous allons surtout mettre au point un système de monitoring des stocks. Il faut aussi tenir compte de l'importation parallèle. Ce débat n'est pas simple, mais il y a désormais une véritable prise de conscience au niveau européen. Un autre défi est de promouvoir l'innovation pour les besoins non-rencontrés. L'industrie, pour des raisons parfois tout à fait objectives, considère qu'elle ne peut pas développer des produits de niche. On sait que le développement de médicaments pour les maladies rares coûte énormément en développement sans garantie de rentabilité. Trouver des solutions dépasse le rôle de l'agence, c'est plutôt du ressort de l'Inami, mais il faut avoir le courage politique d'en discuter au niveau européen. Se pose aussi la question du financement global des médicaments? Certains financements, moins nécessaires, pourraient être utilisés pour des traitements pour les maladies rares. Soulignons que nous pensons en termes d'accès rapide à l'innovation et nos collègues de l'Inami cherchent des solutions qui soient accessibles financièrement. Ce qui est logique. Aujourd'hui, heureusement on est capable d'avoir un dialogue beaucoup plus précoce entre les experts des différentes administrations et nous sommes tous demandeurs d'une politique HTA la plus européenne possible Troisième défi: il faut avoir une meilleure réglementation sur les dispositifs médicaux. Faut-il créer une agence européenne des dispositifs médicaux? Ce n'est pas une priorité, mais on peut améliorer les exigences sur les garanties de qualité, sécurité et d'efficacité des produits. Lorsque vous remettrez la clé de l'agence à votre successeur, penserez-vous que l'outil que vous lui laissez en héritage est tout à fait performant ? Ce serait très prétentieux de ma part. Avec les équipes, nous pouvons être fiers de ce que nous avons réalisé durant les 15 dernières années. Certains chantiers sont encore ouverts. La motivation et l'expertise du personnel sont bien présentes. Je suis confiant sur les possibilités de développement de l'agence.