Dans La Libre du 7/05/2003, Étienne Cerexhe, juge émérite à la cour d'arbitrage, s'inquiétait des difficultés d'accès à la législation suite à l'arrêt de la diffusion du Moniteur papier. Le 5/10/2020, sur le site de WinBooks, Roland Rosoux, administrateur - directeur scientifique de l'Ordre des experts comptables et comptables va plus loin: Que le principal souci du législateur (re)devienne l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi. Le problème a donc une portée générale. Il est tentant d'en rendre les politiques seuls responsables. Sans être expert en droit, cela ne me semble pas tout à fait juste. Sur base de ma petite expérience, dès que vous occupez une fonction hiérarchique, la tentation est grande de multiplier les circulaires. Lorsque des médecins se réunissent en un groupe organisé, très vite ils se mettent à rédiger des statuts, écrire et réécrire des règles remises en question au moindre prétexte. Une réflexion en profondeur sur l'art de rédiger des lois et des règlements s'impose donc, non seulement de la part des gouvernants, mais aussi des gouvernés.
Faire de bonnes lois et règlements: trois difficultés.
1°L'imperfection des savoirs
Les savoirs ne peuvent tout prévoir. C'est un truisme de le dire, mais il faut toujours des catastrophes pour le rappeler. Les industries actives dans des domaines délicats doivent sans cesse améliorer leurs procédures à tous les niveaux. Des informations déterminantes peuvent provenir de personnes occupant des positions inattendues, parfois très modestes ; si les règles ne leur permettent pas de s'exprimer, gare aux accidents! La pandémie a montré combien la population a besoin d'instructions claires mais aussi subtiles, privilégiant l'information plutôt que la contrainte. En situation d'incertitudes, quand nul ne sait vraiment, pourquoi tout imposer d'en haut?
2°L'ambiguïté des pouvoirs
Dans l'article cité ci-dessus, le juge Cerexhe rappelait que celui qui dispose du savoir a généralement (mis en italique par moi) le pouvoir. Au service d'autrui ou au sien propre? Voilà l'ambiguïté! Il y a même des pouvoirs sans savoir, comme l'a montré l'histoire de la médecine avec les médecins messagers des dieux. L'ère des fake news rappelle, si besoin en était, le pouvoir du mensonge et de la manipulation. Et que dire à propos de l'argent? Les intentions les plus généreuses comme les passions les plus égoïstes peuvent en mobiliser d'énormes quantités pour des projets aux conséquences pas toujours prévisibles. Tous les efforts pour prendre l'avis de spécialistes compétents et capables de résister aux pressions ne lèvent pas entièrement cette ambiguïté, d'autant plus que des effets initialement positifs peuvent devenir désastreux à long terme.
3°L'effet d'échelle
La différence entre exercer des pouvoirs spécifiques au service de personnes prises une à une comme en médecine ou des pouvoirs généraux s'adressant à des masses m'a toujours parue étonnamment négligée. Le législateur ne peut pas ignorer les conditions de travail des différents niveaux d'application de la loi, du plus général au plus particulier. Les incertitudes des savoirs et les ambiguïtés des pouvoirs jouent partout. Cela plaide pour des lois offrant à la fois une protection et la liberté d'en user ou non chaque fois que possible au niveau individuel.
Rêvons un peu.
L'insouciance actuelle sur la qualité rédactionnelle des lois pose en soi un problème.
Dans une société se voulant démocratique, les incertitudes et les ambiguïtés évoquées ci-dessus impliquent une grande attention à la manière de les gérer tant au niveau politique en haut, qu'au niveau individuel en bas, sans oublier les niveaux intermédiaires, gestionnaires d'hôpitaux et mutuelles par exemple.
Aucun groupe ne peut se passer de règles pour atteindre ses objectifs en termes de qualités techniques, humaines et financières. Dans les trois articles suivants, nous allons réfléchir, entreprise d'une déconcertante naïveté, j'en conviens, à un cadre légal susceptible d'aider à mieux atteindre ces trois types de qualités.