jdM : En Belgique, il y a des manifestations, même en faveur du Hamas. On a l'impression d'être chez les fous... Vous avez réagi notamment sur X (ex-Twitter), dans les médias... Vous en pensez quoi ?

Dr G.D. : Je suis effrayé par la dérive de la pensée, de l'éthique et de la morale. L'incapacité à voir le réel, à voir la nature de ce crime. Cette terreur, ce crime terroriste interrogent le plus profond de notre humanité. Le mot terrorisme qui parfois galvaudé, mais il y a ici, dans ces attentats du Hamas, l'intention de tuer, de massacrer, de déshumaniser complètement le plus vite possible toutes les populations, femmes, enfants, vieillards, de torturer des enfants avant de les mettre à mort, de les décapiter. L'intention génocidaire est claire, c'est cela fait partie de la charte du Hamas qui est soutenu par l'Iran qui veut anéantir Israël et les Juifs d'Israël. Ne pas être capable de qualifier correctement cette tragédie, dans la classe politique, surtout à gauche, c'est navrant. On assiste à des manifestations, soi-disant d'appel à la paix... Par rapport à la tragédie qui s'est passée samedi en Israël (le 7 octobre, NdlR), c'est une insulte aux victimes, évidemment. Ces crimes interrogent notre humanité et ne pas être capable de les qualifier correctement, cela, cela met en danger notre humanité à chacun d'entre nous. Si nous ne sommes pas capables de les voir tels qu'ils sont, nous préparons l'avenir pour que d'autres crimes comme cela soient commis de la même manière, avec la même barbarie. Je suis non seulement profondément choqué par cette incapacité à voir le réel, mais profondément aussi inquiet de l'avenir que certains préparent en n'étant pas capables de dire ce que sont ces horreurs.

Vous avez fait votre édification politique dans l'humanitaire... Vous avez été témoins des horreurs que les êtres humains infligent à d'autres...

Oui. J'ai été confronté à cela au Rwanda, à Srebrenica, dans l'enclave arménienne en Azerbaïdjan. J'ai été confronté à ces grands crimes contre l'humanité. Je sais ce que la barbarie des humains peut représenter. Je sais que si nous voulons protéger l'humanité, nous ne pouvons jamais légitimer en aucune façon ces monstruosités. Parce que nous sommes tous collectivement les gardiens de notre humanité, de notre avenir. Une fois dans la politique, j'ai continué à travailler selon les mêmes méthodes. Je me suis porté au-devant des populations qui étaient confrontées à la pire détresse et aux pires crimes. J'étais par exemple dans le nord de l'Irak quand toutes ces minorités chrétiennes yézidies étaient poursuivies par Daech. J'ai vécu le génocide des Yézidis (l'intention génocidaire était claire de la part de Daech). J'ai voulu que ce soit qualifié par notre part Parlement comme tel, et cela a été le cas. J'ai aussi travaillé pour que le génocide commis en Ukraine par Staline en 1932-33 soit qualifié correctement par d'autres parlements parce que c'est important. J'ai travaillé pour que le génocide des Arméniens soit également reconnu. S'ils ne sont pas qualifiés comme tels, s'ils ne sont pas condamnés, s'ils ne sont pas vus en face comme étant des crimes contre l'humanité, des crimes de génocide, nous savons que le risque qu'ils se répètent est réel. Je suis pétri de ces expériences personnelles face à la barbarie que l'être humain est capable d'infliger à d'autres êtres humains. C'est toujours au nom d'une cause qu'il trouve légitime. Il y a toujours derrière ces crimes, une forme de d'argumentation, de légitimation, de prétexte. N'oublions pas que Salah Abdelsam, lors du procès qui s'est déroulé à Bruxelles, a justifié les attentats en Belgique en disant que c'était un acte de guerre et qu'il était en guerre contre notre société. Ça ne concerne pas que des pays hors de l'Europe. Ça concerne aussi notre propre avenir à nous. La menace djihadiste reste la principale menace qui pèse sur la Belgique et de loin. Or il me semble qu'on n'a pas vraiment appris justement de cette menace et de ces attentats du 22 mars. Que nous ne sommes toujours pas capables de dire qu'il y a des limites que personne ne peut franchir. Il y a une forme au moins indirecte et parfois directe, d'apologie du terrorisme qui se passe dans les rues de Bruxelles et c'est intolérable.

"Le Hamas qui est soutenu par l'Iran veut anéantir Israël et les Juifs d'Israël"

Comment expliquez-vous cette lâcheté de la classe politique face à l'innommable ?

Il y a une part d'aveuglement et de clientélisme. Mais il n'y a pas que cela. Il y a une forme de contamination des esprits qui s'est produite progressivement, surtout dans l'espace francophone belge. On banalise. On tolère les expressions qui sont intolérables. On dessine un avenir qui continuera à être dangereux pour notre sécurité et nos libertés, faute de limite claire à l'incitation à la haine et à la violence.

Si on compare à la France par exemple, on a La France insoumise qui s'est déshonorée, mais il y a des contre-pouvoirs. Des hommes politiques se scandalisent. En Belgique francophone, il n'y a pas ces contre-pouvoirs. Il n'y a pas des gens qui se lèvent hormis vous et quelques autres éventuellement, mais vous êtes minoritaires.

Oui, c'est vrai. Je faisais le compte des députés belges francophones qui représentaient des partis qui n'avaient pas condamné clairement ces attentats terroristes par le Hamas en Israël : ça représente 2/3 de la représentation au Parlement du côté francophone. Alors que du côté flamand, ça représente plutôt 20-25%. C'est pour ça que je parle de contamination des esprits. Dans l'espace francophone belge, il y a une sorte de " clientélisme d'excuse ", cette idée " victimaire systématique " qui est mise en avant et qui finit par justifier l'injustifiable. En France, à l'exception notable de La France Insoumise, on a une classe politique qui a condamné immédiatement, clairement, y compris d'ailleurs le Parti communiste français et, bien sûr, François Hollande. Il y a une forme de dignité en France par rapport à ces attentats que moi je n'ai pas retrouvé ici en Belgique. Je pense qu'il y a effectivement un naufrage de la pensée humaniste, de la vocation universaliste d'un pays comme la Belgique.

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null © belga

Un autre médecin de votre parti, Catherine Fonck, et vous-même semblez déçusvoire aigrisde la politique. Vous semblez dépités. Je me trompe ?

Non, je ne veux pas résumer mon départ à cela. Mon départ est lié au fait que j'ai toujours souhaité avoir des vies professionnelles différentes et j'ai toujours voulu explorer finalement ce qu'était mon époque, mon environnement et j'aimerais pouvoir continuer à avoir ce rôle d'explorateur. C'est comme ça que je le définissais quand j'étais jeune. J'ai beaucoup de gratitude en fait par rapport à cette expérience qui m'a été donnée de représenter la population, de défendre et d'essayer de défendre un progrès humain, d'essayer de travailler pour le bien commun et pour un progrès humain. C'est un grand privilège. Il y a une inquiétude plutôt qu'une déception. Une inquiétude qui ne tient pas seulement à l'action politique et qui tient à l'état de la société. C'est une société où les réseaux sociaux amplifient. On observe la montée d'une violence verbale, d'une classe politique qui elle-même est fragmentée. On a l'impression qu'il n'y a pas la recherche de sens qu'on devrait avoir au niveau des responsabilités que nous avons par rapport à l'avenir. Je pense à l'Ukraine, au déficit des finances publiques abyssal. Il y a des domaines où règne une incapacité à parfois jouer collectivement. On devrait trouver chez les uns et les autres les forces constructives pour avancer. Il y a une forme d'immobilisme, de statu quo qui est tout à fait délétère. Notre démocratie doit absolument évoluer. Il faut que le Parlement retrouve aussi des couleurs. Aujourd'hui, c'est l'Exécutif qui contrôle le Parlement alors que cela devrait être l'inverse ! Donc cette inversion des rôles est extrêmement dommageable par rapport à la démocratie. Il faut retrouver finalement des partis politiques démocratiques consistants, plus forts, qui pèsent mieux sur l'avenir du pays.

"Quand j'ai démarré, j'avais un peu le syndrome de l'imposteur."

Votre passage de l'humanitaire au politique, c'était précisément j'imagine pour peser par rapport au constat que vous posiez jeune. Vous êtes-vous rendu compte assez vite des limites de l'action politique ?

Mon passage en politique, c'était de dire finalement : les pansements, les ambulances ne suffisent pas, il faut pouvoir prévenir certains crimes. Il faut pouvoir anticiper certaines horreurs. Il faut pouvoir arrêter certains conflits et donc il faut effectivement pouvoir peser en amont sur les causes, y compris pour les catastrophes naturelles... Mais j'étais atteint du syndrome (comment dit-on déjà ?)...

Le syndrome de l'imposteur ?

Oui. J'avais un peu ce syndrome de l'imposteur. Je suis arrivé au Sénat et je me suis dit " je ne suis pas compétent pour être dans cette proposition de loi ". J'avais beaucoup d'admiration et beaucoup d'estime effectivement pour mes collègues et j'étais très impressionné quand je déposais des questions en séance plénière et que dans l'heure qui venait, ma ministre venait me répondre. Aujourd'hui, j'ai encore beaucoup de respect pour beaucoup de mes collègues, mais je crois que les institutions deviennent de moins en moins efficaces. Elles produisent de moins en moins de décisions et cela finit par décourager les citoyens. On s'émeut de l'augmentation des partis populistes, qu'ils soient d'extrême gauche ou d'extrême droite, mais en réalité, entre les partis " démocratiques ", c'est souvent " business as usual ". On continue à se chamailler, à se tirailler et à se mettre des balles dans le pied les uns les autres. Une grande partie de mes collègues ont une forme d'honnêteté intellectuelle mais collectivement, ça ne fonctionne plus. C'est un danger pour la démocratie. Les Démocrates se chamaillent dans l'arène et les populistes sont sur les gradins. Demain, ce seront eux qui prendront la place des démocrates.

La montée du populisme politique, mais aussi un peu citoyen, n'est-ce pas dû au fait que la classe politique traditionnelle est maladivement politiquement correcte, coupée du réel, du vécu des citoyens ordinaires ?

On travaille avec les anciens logiciels. Du temps où nous étions très prospères, nous pouvions effectivement fermer les yeux sur une série de difficultés. Il y a un problème de lucidité. Je le vois par exemple sur la question migratoire. C'est une question qui est sensible, qui est complexe. On entend toujours que la migration est une richesse pour le pays. Oui, cela peut être une richesse, mais c'est aussi un défi et cela peut être une difficulté. Ce qui était possible il y a 10 ou 20 ans n'est peut-être plus possible aujourd'hui. Je pense qu'il faut voir le monde tel qu'il est aujourd'hui, la réalité d'aujourd'hui. Si les démocrates ne se saisissent pas de la question migratoire avec leurs principes humanistes, il ne faudra pas s'étonner que d'autres se saisissent de cette question-là avec un agenda qui sera un agenda non démocratique.

"Les Démocrates se chamaillent dans l'arène et les populistes sont sur les gradins."

Pourquoi avoir choisi le Parti social-chrétien (rebaptisé CDH puis Les Engagés, NdlR) à l'époque ?

Il m'est apparu à l'époque où Philippe Maystadt était président que ce parti-là était la traduction de mon combat humaniste en politique. J'ai eu une conversation avec Maystadt, soulignant que j'étais agnostique mais que la culture chrétienne correspondait à l'idéal humaniste. Mais qu'il ne fallait pas mêler politique et religion. Il m'a dit que le parti allait changer de nom. J'ai trouvé que ça me correspondrait.

En quoi c'est différent d'être médecin et homme politique (par rapport aux hommes politiques non-médecins) ?

Il y a d'abord le fondement scientifique et le diagnostic auxquels nous avons été élevés. Ensuite nous essayons de trouver la meilleure réponse, donc le meilleur traitement. Je pense que c'est véritablement une base de travail solide. J'ai travaillé sur l'épidémiologie et j'ai une maîtrise en gestion des hôpitaux et en politique internationale. Ces formations complémentaires m'aident à mesurer les phénomènes étudiés. Encore aujourd'hui, je suis toujours à la recherche d'indicateurs de documents, de faits, de chiffres pour pouvoir mesurer effectivement l'efficacité de certaines politiques.

Cette approche pragmatique et scientifique, ça ne manque pas un peu en politique aujourd'hui ?

Oui, certainement. Prenons un exemple très concret. J'essaie de mesurer l'aide réelle de la Belgique à l'Ukraine. Beaucoup de gens disent " qu'on donne beaucoup trop à l'Ukraine ". Avoir des chiffres est très compliqué, en fait. C'est assez opaque. Mais lorsqu'on obtient les chiffres, on se rend compte que cette aide provient de la saisie des avoirs russes qui la financent. Aucun de mes collègues n'avait fait ce travail. Des journalistes s'en sont saisis. L'aide à l'Ukraine ne coûte rien au Trésor.

Quel est votre regard sur la santé publique belge et celle des entités fédérées ? On vante notre système comme un des meilleurs du monde. Néanmoins, les hôpitaux sont dans le rouge structurellement et les médecins en formation se plaignent que la qualité de la formation n'est peut-être pas tout à fait à la hauteur. Y a-t-il un déclin de notre santé publique comme du reste du secteur public ?

Il y a une menace très clairement qui pèse sur notre système de santé. Elle tient au fait en premier lieu que les ressources humaines n'ont pas été suffisamment valorisées, qu'elles soient infirmières ou médecin. On a voulu réduire le nombre de médecins en Belgique. Le système de quotas était en décalage avec les besoins de la population belge et discriminatoire à l'égard des Belges puisqu'en réalité on ne pouvait pas réduire l'offre de médecins de l'Union européenne qui venaient s'installer chez nous. Avec un impact aussi sur la santé de la population parce que nous ne savions pas si les médecins formés dans des pays tiers étaient formés aussi bien que chez nous, sans oublier l'obstacle de la langue. De plus, notre système de santé est aujourd'hui disloqué entre les différents niveaux de pouvoir. Et donc là aussi, il y a un vrai problème puisque la promotion et la prévention appartient à la Fédération Wallonie-Bruxelles ou aux entités fédérées, alors que les soins curatifs sont gérés par le niveau fédéral. Donc, on a beaucoup de mal à avoir une politique de santé globale qui essaye de prévenir certaines maladies, notamment chroniques. Il faut remettre à nouveau de la cohérence et des ressources dans notre système de santé. Je crois de moins en moins à l'idée que c'est encore un très bon système de santé quand il faut 6 mois pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste.

Ce contact tellement privilégié entre un patient et un médecin, c'est quelque chose de tout à fait spécial.

Vous êtes entré en politique en 1999. Depuis, la médecine de terrain (soigner) vous a-t-elle manqué ?

C'était une question amusante parce qu'on me la pose rarement, mais en fait, oui, bien entendu. Ce contact tellement privilégié entre un patient et un médecin, c'est quelque chose de tout à fait spécial. Quand on vient chez un médecin, on lui confie sa santé, donc on lui confie sa vie. D'une certaine manière, on lui confie son intimité. Lorsque je vais dans les zones de guerre, je retrouve en partie cette relation particulière. Je suis un être humain qui rencontre un autre être humain qui me confie son intimité, sa détresse, ses espoirs...

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null © belga

Vous arrêtez la politique en juin prochain. Comptez-vous retourner vers la médecine active, par exemple dans un hôpital ?

Je n'exclus rien et ça me ferait très plaisir. Cela dit, je ne sais pas si je pourrais encore parce que je suis conscient aussi des compétences que j'ai perdues sur le plan clinique. Mais donner un coup de main en tant que retraité, pourquoi pas ?

Avez-vous des projets pour " peser " encore sur les affaires du monde et de la Belgique : travailler pour une organisation internationale, un think tank, écrire un livre... Vous n'êtes pas du genre à tout arrêter...

Je n'exclus aucune des pistes que vous mentionnez... Mais je n'ai rien de concret en tête.

"Le djihadisme reste la principale menace qui pèse sur la Belgique et de loin."

Les élections l'année prochaine, ça s'annonce quand même compliqué, puisqu'on a le Vlaams Belang qui monte en Flandre, le PTB qui monte en Wallonie... La cassure entre les deux communautés linguistiques s'agrandit... Vous êtes pessimiste ? On va encore attendre 300 ou 500 jours pour avoir un gouvernement ?

Oui, évidemment, ça va être compliqué. Il y a effectivement cette volonté de renverser la table, des propositions populistes. Mais je suis confiant que ce pays a plus de résilience qu'on ne le pense. Les démocrates ont évité le pire jusqu'à présent. Je fonde l'espoir que les démocrates trouveront les moyens de piloter ce pays convenablement. Mais il est tard, bien tard.... Ceci dit, je ne crois pas à un Apocalypse politique. Nous n'y croyons pas parce qu'on en est toujours bien sorti. Les démocrates se sont toujours entendus sur l'essentiel. S'ils acceptent de voir le réel et d'avoir des propositions à la hauteur de cette réalité... qu'ils n'osent pas toujours formuler. Qu'ils soient à la hauteur d'un environnement qui s'est profondément dégradé, pas seulement en Belgique, mais à l'international. La Belgique s'est racrapotée sur elle-même. Elle s'est concentrée sur ses problèmes internes. Depuis le cataclysme de 40-45, nos sociétés ont été considérablement ébranlées. Les demandes autoritaires, les violations du droit international... elles viennent de ceux-là même qui sont censés nous en protéger. Ceux qui devraient tenter de pacifier, de stabiliser le monde comme la Russie menacent d'utiliser des armements nucléaires. Alors que la Russie siège au Conseil de sécurité, qu'elle est en un membre permanent... Quand on voit effectivement la Chine qui est là aussi avec son agenda, je pense qu'il faut être très attentif...

Est-on à l'aube d'un guerre de civilisation ? Samuel Huntington séparait l'Occident et la " Slavo-Russie " dans son " Clash des civilisations " dont tout le monde parle mais que personne n'a lu. Il voulait en fait conjurer ce clash. Lorsqu'on voit les BRICS et le Sud Global qui se désolidarisent de l'Occident... ?

Est-on à l'aube de cela ? En tout cas, on n'est plus dans cette forme de consensus qui voulait que la démocratie était quand même un idéal, une forme de repère, en tout cas universel. Lorsqu'on violait les droits humains, on prétendait qu'on les respectait. On défendait le multilatéralisme, on défendait la négociation plutôt que la force. Tout cela est en train d'être remis en en cause. D'autres propositions sont en train d'émerger comme étant des alternatives présentées comme légitimes mais qui n'ont plus rien à voir justement avec les droits humains. Chaque être humain a le droit de vivre libre, ça doit être la norme. Son intégrité doit être respectée. Nous devons nous battre pour notre conception de l'humanité, nos valeurs.

Dans ce contexte international global planétaire, il y a l'Union européenne, évidemment. L'Union européenne, c'est 80% de la législation nationale. Je ferme la boucle. Je reviens aux événements en Israël, l'Union européenne a été sensationnelle puisqu'il y a eu une unanimité de condamnation contre le Hamas. Ça n'a pas toujours été le cas sur ce sujet-là. Cependant, l'Union européenne est très critiquée dans son fonctionnement, parfois pas suffisamment démocratique. La Présidente de la Commission n'est pas élue, on regrette une certaine technocratie... Les souverainistes ont la volonté de retourner parfois aux États nations. Comment voyez-vous l'UE ? Vous avez aussi des critiques sur son fonctionnement ?

Je veux d'abord dire que c'est une belle et grande histoire que celle de l'Union européenne. C'est globalement une très grande réussite quand on voit l'histoire, la tragédie de ce continent divisé. On l'a vu ces dernières années : l'UE a su encaisser des chocs énormes. Elle a finalement été le continent qui a probablement le mieux traversé la pandémie covid. Elle s'est ressaisie, même si c'est tardivement, même si c'est insuffisamment si on pense à la guerre en Ukraine... L'UE est aujourd'hui plus solide et plus cohérente qu'il y a quelques années. Évidemment, il y a de grands défis pour l'avenir. La citoyenneté européenne est encore quelque chose à acquérir. L'idée qu'on est vraiment des Européens. C'est notre identité la plus forte, quelque part, sans remettre en cause les autres identités qu'on peut avoir, nationales, régionales, et caetera. Beaucoup de choses restent à construire : une vraie défense européenne contribuerait certainement à une citoyenneté. À partir du moment où on se défend véritablement collectivement, on défend collectivement notre sécurité. Cela débouche sur l'appartenance effective à un peuple. Dans ce destin commun, il y a aussi la question de l'efficacité des institutions, de la légitimité certainement des institutions. Je pense que cette légitimité pourrait être renforcée. Il y a quand même différents éléments de légitimité : le Conseil européen, le Parlement européen. Je pense qu'il faut définitivement mettre de côté l'unanimité dans les décisions. Il faut accepter, évidemment, l'élargissement de l'Union européenne. Il faut continuer à insister sur le fait qu'il ne s'agit pas seulement d'un espace économique, mais qu'il s'agit avant tout d'un espace démocratique, d'un espace politique, d'un espace qui partage des valeurs. Plutôt que de sanctionner financièrement certains pays comme la Hongrie, il faut clairement avoir un moment donné un débat sur sa place à l'intérieur de l'Union européenne. Soulignons à quel point nous avons une chance absolument extraordinaire de vivre dans cet espace aujourd'hui, dans cette Europe unie. Elle a su nous protéger jusqu'à présent. Le défi, c'est de continuer à consolider ses acquis et continuer à être ambitieux

© BELGA
jdM : En Belgique, il y a des manifestations, même en faveur du Hamas. On a l'impression d'être chez les fous... Vous avez réagi notamment sur X (ex-Twitter), dans les médias... Vous en pensez quoi ?Dr G.D. : Je suis effrayé par la dérive de la pensée, de l'éthique et de la morale. L'incapacité à voir le réel, à voir la nature de ce crime. Cette terreur, ce crime terroriste interrogent le plus profond de notre humanité. Le mot terrorisme qui parfois galvaudé, mais il y a ici, dans ces attentats du Hamas, l'intention de tuer, de massacrer, de déshumaniser complètement le plus vite possible toutes les populations, femmes, enfants, vieillards, de torturer des enfants avant de les mettre à mort, de les décapiter. L'intention génocidaire est claire, c'est cela fait partie de la charte du Hamas qui est soutenu par l'Iran qui veut anéantir Israël et les Juifs d'Israël. Ne pas être capable de qualifier correctement cette tragédie, dans la classe politique, surtout à gauche, c'est navrant. On assiste à des manifestations, soi-disant d'appel à la paix... Par rapport à la tragédie qui s'est passée samedi en Israël (le 7 octobre, NdlR), c'est une insulte aux victimes, évidemment. Ces crimes interrogent notre humanité et ne pas être capable de les qualifier correctement, cela, cela met en danger notre humanité à chacun d'entre nous. Si nous ne sommes pas capables de les voir tels qu'ils sont, nous préparons l'avenir pour que d'autres crimes comme cela soient commis de la même manière, avec la même barbarie. Je suis non seulement profondément choqué par cette incapacité à voir le réel, mais profondément aussi inquiet de l'avenir que certains préparent en n'étant pas capables de dire ce que sont ces horreurs.Vous avez fait votre édification politique dans l'humanitaire... Vous avez été témoins des horreurs que les êtres humains infligent à d'autres...Oui. J'ai été confronté à cela au Rwanda, à Srebrenica, dans l'enclave arménienne en Azerbaïdjan. J'ai été confronté à ces grands crimes contre l'humanité. Je sais ce que la barbarie des humains peut représenter. Je sais que si nous voulons protéger l'humanité, nous ne pouvons jamais légitimer en aucune façon ces monstruosités. Parce que nous sommes tous collectivement les gardiens de notre humanité, de notre avenir. Une fois dans la politique, j'ai continué à travailler selon les mêmes méthodes. Je me suis porté au-devant des populations qui étaient confrontées à la pire détresse et aux pires crimes. J'étais par exemple dans le nord de l'Irak quand toutes ces minorités chrétiennes yézidies étaient poursuivies par Daech. J'ai vécu le génocide des Yézidis (l'intention génocidaire était claire de la part de Daech). J'ai voulu que ce soit qualifié par notre part Parlement comme tel, et cela a été le cas. J'ai aussi travaillé pour que le génocide commis en Ukraine par Staline en 1932-33 soit qualifié correctement par d'autres parlements parce que c'est important. J'ai travaillé pour que le génocide des Arméniens soit également reconnu. S'ils ne sont pas qualifiés comme tels, s'ils ne sont pas condamnés, s'ils ne sont pas vus en face comme étant des crimes contre l'humanité, des crimes de génocide, nous savons que le risque qu'ils se répètent est réel. Je suis pétri de ces expériences personnelles face à la barbarie que l'être humain est capable d'infliger à d'autres êtres humains. C'est toujours au nom d'une cause qu'il trouve légitime. Il y a toujours derrière ces crimes, une forme de d'argumentation, de légitimation, de prétexte. N'oublions pas que Salah Abdelsam, lors du procès qui s'est déroulé à Bruxelles, a justifié les attentats en Belgique en disant que c'était un acte de guerre et qu'il était en guerre contre notre société. Ça ne concerne pas que des pays hors de l'Europe. Ça concerne aussi notre propre avenir à nous. La menace djihadiste reste la principale menace qui pèse sur la Belgique et de loin. Or il me semble qu'on n'a pas vraiment appris justement de cette menace et de ces attentats du 22 mars. Que nous ne sommes toujours pas capables de dire qu'il y a des limites que personne ne peut franchir. Il y a une forme au moins indirecte et parfois directe, d'apologie du terrorisme qui se passe dans les rues de Bruxelles et c'est intolérable.Comment expliquez-vous cette lâcheté de la classe politique face à l'innommable ?Il y a une part d'aveuglement et de clientélisme. Mais il n'y a pas que cela. Il y a une forme de contamination des esprits qui s'est produite progressivement, surtout dans l'espace francophone belge. On banalise. On tolère les expressions qui sont intolérables. On dessine un avenir qui continuera à être dangereux pour notre sécurité et nos libertés, faute de limite claire à l'incitation à la haine et à la violence.Si on compare à la France par exemple, on a La France insoumise qui s'est déshonorée, mais il y a des contre-pouvoirs. Des hommes politiques se scandalisent. En Belgique francophone, il n'y a pas ces contre-pouvoirs. Il n'y a pas des gens qui se lèvent hormis vous et quelques autres éventuellement, mais vous êtes minoritaires.Oui, c'est vrai. Je faisais le compte des députés belges francophones qui représentaient des partis qui n'avaient pas condamné clairement ces attentats terroristes par le Hamas en Israël : ça représente 2/3 de la représentation au Parlement du côté francophone. Alors que du côté flamand, ça représente plutôt 20-25%. C'est pour ça que je parle de contamination des esprits. Dans l'espace francophone belge, il y a une sorte de " clientélisme d'excuse ", cette idée " victimaire systématique " qui est mise en avant et qui finit par justifier l'injustifiable. En France, à l'exception notable de La France Insoumise, on a une classe politique qui a condamné immédiatement, clairement, y compris d'ailleurs le Parti communiste français et, bien sûr, François Hollande. Il y a une forme de dignité en France par rapport à ces attentats que moi je n'ai pas retrouvé ici en Belgique. Je pense qu'il y a effectivement un naufrage de la pensée humaniste, de la vocation universaliste d'un pays comme la Belgique.Un autre médecin de votre parti, Catherine Fonck, et vous-même semblez déçusvoire aigrisde la politique. Vous semblez dépités. Je me trompe ?Non, je ne veux pas résumer mon départ à cela. Mon départ est lié au fait que j'ai toujours souhaité avoir des vies professionnelles différentes et j'ai toujours voulu explorer finalement ce qu'était mon époque, mon environnement et j'aimerais pouvoir continuer à avoir ce rôle d'explorateur. C'est comme ça que je le définissais quand j'étais jeune. J'ai beaucoup de gratitude en fait par rapport à cette expérience qui m'a été donnée de représenter la population, de défendre et d'essayer de défendre un progrès humain, d'essayer de travailler pour le bien commun et pour un progrès humain. C'est un grand privilège. Il y a une inquiétude plutôt qu'une déception. Une inquiétude qui ne tient pas seulement à l'action politique et qui tient à l'état de la société. C'est une société où les réseaux sociaux amplifient. On observe la montée d'une violence verbale, d'une classe politique qui elle-même est fragmentée. On a l'impression qu'il n'y a pas la recherche de sens qu'on devrait avoir au niveau des responsabilités que nous avons par rapport à l'avenir. Je pense à l'Ukraine, au déficit des finances publiques abyssal. Il y a des domaines où règne une incapacité à parfois jouer collectivement. On devrait trouver chez les uns et les autres les forces constructives pour avancer. Il y a une forme d'immobilisme, de statu quo qui est tout à fait délétère. Notre démocratie doit absolument évoluer. Il faut que le Parlement retrouve aussi des couleurs. Aujourd'hui, c'est l'Exécutif qui contrôle le Parlement alors que cela devrait être l'inverse ! Donc cette inversion des rôles est extrêmement dommageable par rapport à la démocratie. Il faut retrouver finalement des partis politiques démocratiques consistants, plus forts, qui pèsent mieux sur l'avenir du pays.Votre passage de l'humanitaire au politique, c'était précisément j'imagine pour peser par rapport au constat que vous posiez jeune. Vous êtes-vous rendu compte assez vite des limites de l'action politique ?Mon passage en politique, c'était de dire finalement : les pansements, les ambulances ne suffisent pas, il faut pouvoir prévenir certains crimes. Il faut pouvoir anticiper certaines horreurs. Il faut pouvoir arrêter certains conflits et donc il faut effectivement pouvoir peser en amont sur les causes, y compris pour les catastrophes naturelles... Mais j'étais atteint du syndrome (comment dit-on déjà ?)...Le syndrome de l'imposteur ?Oui. J'avais un peu ce syndrome de l'imposteur. Je suis arrivé au Sénat et je me suis dit " je ne suis pas compétent pour être dans cette proposition de loi ". J'avais beaucoup d'admiration et beaucoup d'estime effectivement pour mes collègues et j'étais très impressionné quand je déposais des questions en séance plénière et que dans l'heure qui venait, ma ministre venait me répondre. Aujourd'hui, j'ai encore beaucoup de respect pour beaucoup de mes collègues, mais je crois que les institutions deviennent de moins en moins efficaces. Elles produisent de moins en moins de décisions et cela finit par décourager les citoyens. On s'émeut de l'augmentation des partis populistes, qu'ils soient d'extrême gauche ou d'extrême droite, mais en réalité, entre les partis " démocratiques ", c'est souvent " business as usual ". On continue à se chamailler, à se tirailler et à se mettre des balles dans le pied les uns les autres. Une grande partie de mes collègues ont une forme d'honnêteté intellectuelle mais collectivement, ça ne fonctionne plus. C'est un danger pour la démocratie. Les Démocrates se chamaillent dans l'arène et les populistes sont sur les gradins. Demain, ce seront eux qui prendront la place des démocrates.La montée du populisme politique, mais aussi un peu citoyen, n'est-ce pas dû au fait que la classe politique traditionnelle est maladivement politiquement correcte, coupée du réel, du vécu des citoyens ordinaires ?On travaille avec les anciens logiciels. Du temps où nous étions très prospères, nous pouvions effectivement fermer les yeux sur une série de difficultés. Il y a un problème de lucidité. Je le vois par exemple sur la question migratoire. C'est une question qui est sensible, qui est complexe. On entend toujours que la migration est une richesse pour le pays. Oui, cela peut être une richesse, mais c'est aussi un défi et cela peut être une difficulté. Ce qui était possible il y a 10 ou 20 ans n'est peut-être plus possible aujourd'hui. Je pense qu'il faut voir le monde tel qu'il est aujourd'hui, la réalité d'aujourd'hui. Si les démocrates ne se saisissent pas de la question migratoire avec leurs principes humanistes, il ne faudra pas s'étonner que d'autres se saisissent de cette question-là avec un agenda qui sera un agenda non démocratique.Pourquoi avoir choisi le Parti social-chrétien (rebaptisé CDH puis Les Engagés, NdlR) à l'époque ?Il m'est apparu à l'époque où Philippe Maystadt était président que ce parti-là était la traduction de mon combat humaniste en politique. J'ai eu une conversation avec Maystadt, soulignant que j'étais agnostique mais que la culture chrétienne correspondait à l'idéal humaniste. Mais qu'il ne fallait pas mêler politique et religion. Il m'a dit que le parti allait changer de nom. J'ai trouvé que ça me correspondrait.En quoi c'est différent d'être médecin et homme politique (par rapport aux hommes politiques non-médecins) ?Il y a d'abord le fondement scientifique et le diagnostic auxquels nous avons été élevés. Ensuite nous essayons de trouver la meilleure réponse, donc le meilleur traitement. Je pense que c'est véritablement une base de travail solide. J'ai travaillé sur l'épidémiologie et j'ai une maîtrise en gestion des hôpitaux et en politique internationale. Ces formations complémentaires m'aident à mesurer les phénomènes étudiés. Encore aujourd'hui, je suis toujours à la recherche d'indicateurs de documents, de faits, de chiffres pour pouvoir mesurer effectivement l'efficacité de certaines politiques.Cette approche pragmatique et scientifique, ça ne manque pas un peu en politique aujourd'hui ?Oui, certainement. Prenons un exemple très concret. J'essaie de mesurer l'aide réelle de la Belgique à l'Ukraine. Beaucoup de gens disent " qu'on donne beaucoup trop à l'Ukraine ". Avoir des chiffres est très compliqué, en fait. C'est assez opaque. Mais lorsqu'on obtient les chiffres, on se rend compte que cette aide provient de la saisie des avoirs russes qui la financent. Aucun de mes collègues n'avait fait ce travail. Des journalistes s'en sont saisis. L'aide à l'Ukraine ne coûte rien au Trésor.Quel est votre regard sur la santé publique belge et celle des entités fédérées ? On vante notre système comme un des meilleurs du monde. Néanmoins, les hôpitaux sont dans le rouge structurellement et les médecins en formation se plaignent que la qualité de la formation n'est peut-être pas tout à fait à la hauteur. Y a-t-il un déclin de notre santé publique comme du reste du secteur public ?Il y a une menace très clairement qui pèse sur notre système de santé. Elle tient au fait en premier lieu que les ressources humaines n'ont pas été suffisamment valorisées, qu'elles soient infirmières ou médecin. On a voulu réduire le nombre de médecins en Belgique. Le système de quotas était en décalage avec les besoins de la population belge et discriminatoire à l'égard des Belges puisqu'en réalité on ne pouvait pas réduire l'offre de médecins de l'Union européenne qui venaient s'installer chez nous. Avec un impact aussi sur la santé de la population parce que nous ne savions pas si les médecins formés dans des pays tiers étaient formés aussi bien que chez nous, sans oublier l'obstacle de la langue. De plus, notre système de santé est aujourd'hui disloqué entre les différents niveaux de pouvoir. Et donc là aussi, il y a un vrai problème puisque la promotion et la prévention appartient à la Fédération Wallonie-Bruxelles ou aux entités fédérées, alors que les soins curatifs sont gérés par le niveau fédéral. Donc, on a beaucoup de mal à avoir une politique de santé globale qui essaye de prévenir certaines maladies, notamment chroniques. Il faut remettre à nouveau de la cohérence et des ressources dans notre système de santé. Je crois de moins en moins à l'idée que c'est encore un très bon système de santé quand il faut 6 mois pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste.Vous êtes entré en politique en 1999. Depuis, la médecine de terrain (soigner) vous a-t-elle manqué ?C'était une question amusante parce qu'on me la pose rarement, mais en fait, oui, bien entendu. Ce contact tellement privilégié entre un patient et un médecin, c'est quelque chose de tout à fait spécial. Quand on vient chez un médecin, on lui confie sa santé, donc on lui confie sa vie. D'une certaine manière, on lui confie son intimité. Lorsque je vais dans les zones de guerre, je retrouve en partie cette relation particulière. Je suis un être humain qui rencontre un autre être humain qui me confie son intimité, sa détresse, ses espoirs...Vous arrêtez la politique en juin prochain. Comptez-vous retourner vers la médecine active, par exemple dans un hôpital ?Je n'exclus rien et ça me ferait très plaisir. Cela dit, je ne sais pas si je pourrais encore parce que je suis conscient aussi des compétences que j'ai perdues sur le plan clinique. Mais donner un coup de main en tant que retraité, pourquoi pas ?Avez-vous des projets pour " peser " encore sur les affaires du monde et de la Belgique : travailler pour une organisation internationale, un think tank, écrire un livre... Vous n'êtes pas du genre à tout arrêter...Je n'exclus aucune des pistes que vous mentionnez... Mais je n'ai rien de concret en tête.Les élections l'année prochaine, ça s'annonce quand même compliqué, puisqu'on a le Vlaams Belang qui monte en Flandre, le PTB qui monte en Wallonie... La cassure entre les deux communautés linguistiques s'agrandit... Vous êtes pessimiste ? On va encore attendre 300 ou 500 jours pour avoir un gouvernement ?Oui, évidemment, ça va être compliqué. Il y a effectivement cette volonté de renverser la table, des propositions populistes. Mais je suis confiant que ce pays a plus de résilience qu'on ne le pense. Les démocrates ont évité le pire jusqu'à présent. Je fonde l'espoir que les démocrates trouveront les moyens de piloter ce pays convenablement. Mais il est tard, bien tard.... Ceci dit, je ne crois pas à un Apocalypse politique. Nous n'y croyons pas parce qu'on en est toujours bien sorti. Les démocrates se sont toujours entendus sur l'essentiel. S'ils acceptent de voir le réel et d'avoir des propositions à la hauteur de cette réalité... qu'ils n'osent pas toujours formuler. Qu'ils soient à la hauteur d'un environnement qui s'est profondément dégradé, pas seulement en Belgique, mais à l'international. La Belgique s'est racrapotée sur elle-même. Elle s'est concentrée sur ses problèmes internes. Depuis le cataclysme de 40-45, nos sociétés ont été considérablement ébranlées. Les demandes autoritaires, les violations du droit international... elles viennent de ceux-là même qui sont censés nous en protéger. Ceux qui devraient tenter de pacifier, de stabiliser le monde comme la Russie menacent d'utiliser des armements nucléaires. Alors que la Russie siège au Conseil de sécurité, qu'elle est en un membre permanent... Quand on voit effectivement la Chine qui est là aussi avec son agenda, je pense qu'il faut être très attentif...Est-on à l'aube d'un guerre de civilisation ? Samuel Huntington séparait l'Occident et la " Slavo-Russie " dans son " Clash des civilisations " dont tout le monde parle mais que personne n'a lu. Il voulait en fait conjurer ce clash. Lorsqu'on voit les BRICS et le Sud Global qui se désolidarisent de l'Occident... ?Est-on à l'aube de cela ? En tout cas, on n'est plus dans cette forme de consensus qui voulait que la démocratie était quand même un idéal, une forme de repère, en tout cas universel. Lorsqu'on violait les droits humains, on prétendait qu'on les respectait. On défendait le multilatéralisme, on défendait la négociation plutôt que la force. Tout cela est en train d'être remis en en cause. D'autres propositions sont en train d'émerger comme étant des alternatives présentées comme légitimes mais qui n'ont plus rien à voir justement avec les droits humains. Chaque être humain a le droit de vivre libre, ça doit être la norme. Son intégrité doit être respectée. Nous devons nous battre pour notre conception de l'humanité, nos valeurs.Dans ce contexte international global planétaire, il y a l'Union européenne, évidemment. L'Union européenne, c'est 80% de la législation nationale. Je ferme la boucle. Je reviens aux événements en Israël, l'Union européenne a été sensationnelle puisqu'il y a eu une unanimité de condamnation contre le Hamas. Ça n'a pas toujours été le cas sur ce sujet-là. Cependant, l'Union européenne est très critiquée dans son fonctionnement, parfois pas suffisamment démocratique. La Présidente de la Commission n'est pas élue, on regrette une certaine technocratie... Les souverainistes ont la volonté de retourner parfois aux États nations. Comment voyez-vous l'UE ? Vous avez aussi des critiques sur son fonctionnement ?Je veux d'abord dire que c'est une belle et grande histoire que celle de l'Union européenne. C'est globalement une très grande réussite quand on voit l'histoire, la tragédie de ce continent divisé. On l'a vu ces dernières années : l'UE a su encaisser des chocs énormes. Elle a finalement été le continent qui a probablement le mieux traversé la pandémie covid. Elle s'est ressaisie, même si c'est tardivement, même si c'est insuffisamment si on pense à la guerre en Ukraine... L'UE est aujourd'hui plus solide et plus cohérente qu'il y a quelques années. Évidemment, il y a de grands défis pour l'avenir. La citoyenneté européenne est encore quelque chose à acquérir. L'idée qu'on est vraiment des Européens. C'est notre identité la plus forte, quelque part, sans remettre en cause les autres identités qu'on peut avoir, nationales, régionales, et caetera. Beaucoup de choses restent à construire : une vraie défense européenne contribuerait certainement à une citoyenneté. À partir du moment où on se défend véritablement collectivement, on défend collectivement notre sécurité. Cela débouche sur l'appartenance effective à un peuple. Dans ce destin commun, il y a aussi la question de l'efficacité des institutions, de la légitimité certainement des institutions. Je pense que cette légitimité pourrait être renforcée. Il y a quand même différents éléments de légitimité : le Conseil européen, le Parlement européen. Je pense qu'il faut définitivement mettre de côté l'unanimité dans les décisions. Il faut accepter, évidemment, l'élargissement de l'Union européenne. Il faut continuer à insister sur le fait qu'il ne s'agit pas seulement d'un espace économique, mais qu'il s'agit avant tout d'un espace démocratique, d'un espace politique, d'un espace qui partage des valeurs. Plutôt que de sanctionner financièrement certains pays comme la Hongrie, il faut clairement avoir un moment donné un débat sur sa place à l'intérieur de l'Union européenne. Soulignons à quel point nous avons une chance absolument extraordinaire de vivre dans cet espace aujourd'hui, dans cette Europe unie. Elle a su nous protéger jusqu'à présent. Le défi, c'est de continuer à consolider ses acquis et continuer à être ambitieux