Depuis 1998, se sont succédé différentes formes de limitation des numéros Inami, indispensables aux médecins et dentistes qui veulent pratiquer la médecine curative en Belgique. Elles partent toutes de l'idée préconçue que trop de médecins, c'est mauvais pour la qualité des soins (le médecin risquant de ne pas avoir une pratique suffisante pour être performant) et pour l'équilibre financier de l'assurance-maladie (le médecin risquant de prescrire des examens inutiles pour gagner sa vie, ce qui plomberait les finances de l'assurance-maladie et justifierait ensuite des économies préjudiciables à la santé).

Depuis 2004, des voix se font entendre pour contester la validité de ce raisonnement et mettre en garde contre le risque de pénurie. D'autant plus que sur le terrain des pénuries existent dans de nombreuses communes, en médecine générale mais aussi dans d'autres spécialisations.

Depuis 2010, on assiste à une arrivée de plus en plus massive de médecins et de dentistes formés dans d'autres Etats membres de l'Union européenne (ci-après "médecins européens") qui, en vertu de la libre circulation, peuvent exercer une pratique curative en Belgique sans aucune limite quant à leur nombre, alors que le nombre de médecins et dentistes formés en Belgique (ci-après "médecins belges") est strictement contingenté. En 2015, le nombre de médecins européens recevant un numéro Inami a dépassé celui des médecins belges francophones (489 contre 473) et, en 2016, il l'approchait encore (418 contre 543).

C'est dans ce contexte connu que le gouvernement Michel a déposé un projet de loi qui réforme le système de contingentement des numéros Inami.

Ce projet a été abondamment critiqué pour ce qu'il contient : il fonde désormais la répartition du quota global entre les communautés sur des critères politiques et plus sur une analyse scientifique, tenant compte des besoins de chaque communauté. C'est ce point qui a motivé le déclenchement d'un conflit d'intérêts par la COCOF, les francophones souffrant davantage des effets de la pénurie, et des quotas retenus par le gouvernement.

Contingentement des médecins européens

Mais une critique encore plus importante que l'on peut adresser à ce projet a trait à ce qu'il ne contient pas: un contingentement des médecins européens. Si un contingentement est nécessaire, il doit être efficace. Il doit donc concerner l'accès de tous les médecins et dentistes susceptibles de s'installer en Belgique, peu importe leur origine. Pénaliser les jeunes Belges qui se destinaient à une carrière médicale et laisser des médecins européens prendre leur place, c'est non seulement terriblement injuste à leur égard, mais c'est inefficace en termes de politique de santé et source de réactions antieuropéennes au même titre que le dumping social.

Il est urgent et indispensable, si l'on veut maintenir un contingentement des médecins en Belgique, d'instaurer un quota pour les médecins européens. Jusqu'à présent, le gouvernement Michel s'y est refusé au motif que le droit européen s'y opposerait, mais peut-être aussi parce que les médecins européens s'installent très majoritairement du côté francophone.

Pour notre part, nous considérons qu'il est parfaitement plaidable qu'un tel contingentement est conforme au droit européen dès lors qu'il est nécessaire pour préserver la santé publique.

En effet, le contingentement des médecins belges prive un certain nombre de jeunes du libre choix de leur profession qui est un droit auquel la Cour constitutionnelle a reconnu une valeur constitutionnelle. Cette atteinte est, comme exposé en introduction, justifiée par la préservation de la santé publique.

Le même raisonnement peut être tenu au niveau européen : le contingentement des médecins européens prive ceux-ci de leur droit à la libre circulation consacré depuis le traité de Rome. Or les traités européens autorisent les atteintes à la libre circulation dès lors qu'elles sont justifiées par des considérations de santé publique. C'est notamment ce qu'ont jugé la Cour de justice et la Cour constitutionnelle lors de l'instauration par la Communauté française de quotas d'étudiants non-résidents en médecine vétérinaire et en kinésithérapie.

Aux arguments de santé publique liés au risque de pléthore, on peut ajouter le risque de pénurie de médecins que pourrait susciter l'afflux incontrôlé de médecins européens. En effet, ceux-ci viennent réduire le besoin de médecins en Belgique. Or ce besoin préside à la détermination des quotas pour les médecins belges. Si le nombre de médecins européens continue d'augmenter, il va donc réduire de plus en plus le quota pour les médecins belges. Certes, il n'en résulterait pas à ce stade une pénurie puisque les postes seraient occupés par des médecins européens. Mais la mobilité des médecins européens étant beaucoup plus grande que celle des belges, le risque de les voir retourner en nombre dans leur pays d'origine, si une opportunité s'y présente ou si la conjoncture y redevient plus favorable, est considérable. Face à ce risque et au délai minimum de 9 ans pour les remplacer par des médecins belges, il est justifié de limiter le nombre de médecins européens pouvant s'installer en Belgique.

Le contingentement des médecins européens est donc justifié par la nécessité à la fois de prévenir à court terme les conséquences d'une pléthore de médecins sur la santé publique et, à plus long terme, de prévenir une ... pénurie.

Si le Gouvernement Michel persiste à refuser de contingenter les médecins européens, il n'y aura plus aucune raison qu'il continue à contingenter les médecins belges.

Catherine Fonck, médecin et députée fédérale

Marie Leroy, juriste, docteur en Santé publique

Patrick van Ypersele, juriste, spécialiste en droit européen

Depuis 1998, se sont succédé différentes formes de limitation des numéros Inami, indispensables aux médecins et dentistes qui veulent pratiquer la médecine curative en Belgique. Elles partent toutes de l'idée préconçue que trop de médecins, c'est mauvais pour la qualité des soins (le médecin risquant de ne pas avoir une pratique suffisante pour être performant) et pour l'équilibre financier de l'assurance-maladie (le médecin risquant de prescrire des examens inutiles pour gagner sa vie, ce qui plomberait les finances de l'assurance-maladie et justifierait ensuite des économies préjudiciables à la santé).Depuis 2004, des voix se font entendre pour contester la validité de ce raisonnement et mettre en garde contre le risque de pénurie. D'autant plus que sur le terrain des pénuries existent dans de nombreuses communes, en médecine générale mais aussi dans d'autres spécialisations.Depuis 2010, on assiste à une arrivée de plus en plus massive de médecins et de dentistes formés dans d'autres Etats membres de l'Union européenne (ci-après "médecins européens") qui, en vertu de la libre circulation, peuvent exercer une pratique curative en Belgique sans aucune limite quant à leur nombre, alors que le nombre de médecins et dentistes formés en Belgique (ci-après "médecins belges") est strictement contingenté. En 2015, le nombre de médecins européens recevant un numéro Inami a dépassé celui des médecins belges francophones (489 contre 473) et, en 2016, il l'approchait encore (418 contre 543). C'est dans ce contexte connu que le gouvernement Michel a déposé un projet de loi qui réforme le système de contingentement des numéros Inami.Ce projet a été abondamment critiqué pour ce qu'il contient : il fonde désormais la répartition du quota global entre les communautés sur des critères politiques et plus sur une analyse scientifique, tenant compte des besoins de chaque communauté. C'est ce point qui a motivé le déclenchement d'un conflit d'intérêts par la COCOF, les francophones souffrant davantage des effets de la pénurie, et des quotas retenus par le gouvernement.Contingentement des médecins européensMais une critique encore plus importante que l'on peut adresser à ce projet a trait à ce qu'il ne contient pas: un contingentement des médecins européens. Si un contingentement est nécessaire, il doit être efficace. Il doit donc concerner l'accès de tous les médecins et dentistes susceptibles de s'installer en Belgique, peu importe leur origine. Pénaliser les jeunes Belges qui se destinaient à une carrière médicale et laisser des médecins européens prendre leur place, c'est non seulement terriblement injuste à leur égard, mais c'est inefficace en termes de politique de santé et source de réactions antieuropéennes au même titre que le dumping social.Il est urgent et indispensable, si l'on veut maintenir un contingentement des médecins en Belgique, d'instaurer un quota pour les médecins européens. Jusqu'à présent, le gouvernement Michel s'y est refusé au motif que le droit européen s'y opposerait, mais peut-être aussi parce que les médecins européens s'installent très majoritairement du côté francophone.Pour notre part, nous considérons qu'il est parfaitement plaidable qu'un tel contingentement est conforme au droit européen dès lors qu'il est nécessaire pour préserver la santé publique.En effet, le contingentement des médecins belges prive un certain nombre de jeunes du libre choix de leur profession qui est un droit auquel la Cour constitutionnelle a reconnu une valeur constitutionnelle. Cette atteinte est, comme exposé en introduction, justifiée par la préservation de la santé publique.Le même raisonnement peut être tenu au niveau européen : le contingentement des médecins européens prive ceux-ci de leur droit à la libre circulation consacré depuis le traité de Rome. Or les traités européens autorisent les atteintes à la libre circulation dès lors qu'elles sont justifiées par des considérations de santé publique. C'est notamment ce qu'ont jugé la Cour de justice et la Cour constitutionnelle lors de l'instauration par la Communauté française de quotas d'étudiants non-résidents en médecine vétérinaire et en kinésithérapie.Aux arguments de santé publique liés au risque de pléthore, on peut ajouter le risque de pénurie de médecins que pourrait susciter l'afflux incontrôlé de médecins européens. En effet, ceux-ci viennent réduire le besoin de médecins en Belgique. Or ce besoin préside à la détermination des quotas pour les médecins belges. Si le nombre de médecins européens continue d'augmenter, il va donc réduire de plus en plus le quota pour les médecins belges. Certes, il n'en résulterait pas à ce stade une pénurie puisque les postes seraient occupés par des médecins européens. Mais la mobilité des médecins européens étant beaucoup plus grande que celle des belges, le risque de les voir retourner en nombre dans leur pays d'origine, si une opportunité s'y présente ou si la conjoncture y redevient plus favorable, est considérable. Face à ce risque et au délai minimum de 9 ans pour les remplacer par des médecins belges, il est justifié de limiter le nombre de médecins européens pouvant s'installer en Belgique.Le contingentement des médecins européens est donc justifié par la nécessité à la fois de prévenir à court terme les conséquences d'une pléthore de médecins sur la santé publique et, à plus long terme, de prévenir une ... pénurie.Si le Gouvernement Michel persiste à refuser de contingenter les médecins européens, il n'y aura plus aucune raison qu'il continue à contingenter les médecins belges.Catherine Fonck, médecin et députée fédéraleMarie Leroy, juriste, docteur en Santé publiquePatrick van Ypersele, juriste, spécialiste en droit européen