Le journal du Médecin: Pourquoi ce livre?

Pr Alain De Wever: Ce livre résulte d'une réflexion commune. Il n'y avait pas de livre en français, rédigé par des auteurs indépendants des organismes parties prenantes du système, traitant de l'organisation des soins de santé en Belgique à l'usage du grand public. L'intérêt d'un tel ouvrage s'est renforcé avec la pandémie du Covid. Du côté néerlandophone de nombreux livres collectifs ou individuels sont parus pour décrire et critiquer le système et proposer des solutions. Notre but a surtout été de décrire ce système complexe d'autant qu'il fera sans doute partie des enjeux d'une nouvelle réforme de l'État en route vers une régionalisation des compétences encore plus poussée.

Le numerus clausus et son application sont des absurdités.

Vous semblez résigné au fait que l'organisation de nos soins de santé soient extrêmement complexe due à notre fédéralisme un peu erratique mais que le système soit somme toute assez efficace grâce à l'extrême bonne volonté des travailleurs de la santé (à peu près 670.000 en Belgique). Est-ce donc une fatalité?

Nous faisons avant tout un constat: le système est complexe et cette complexité vient de l'histoire de son élaboration basée sur des compromis "à la belge" (linguistique, philosophique, politique) et donc nécessairement alambiqués, à l'opposé d'une organisation rationnelle, simple et efficiente. Malgré cela, les professionnels de la Santé en Belgique ont une formation remarquable et des qualités telles qu'ils parviennent à surmonter cette organisation kafkaïenne et rendre des services tout à fait adéquats. Si nous critiquons le système, nous soulignons aussi ces avantages qu'il faut à tout prix préserver: la liberté d'entreprendre des acteurs, la liberté thérapeutique, la liberté de choix du patient (...).

Dans le chapitre sur les hôpitaux, vous constatez l'évolution du mix du paiement: à l'acte et, de plus en plus au forfait. Quelle "chapelle" privilégiez-vous? Quel est le meilleur système pour rendre les honoraires plus équitablement répartis entre spécialités médicales "pauvres" et "riches"? Tous salariés?

Une révision en profondeur de la nomenclature des actes médicaux nous semble une priorité. Cette nouvelle nomenclature, basée sur des données scientifiques devrait faire clairement la part entre l'acte intellectuel ou technique réalisé par le médecin lui-même et les frais de personnel, d'équipements ou de locaux nécessaires à la réalisation de cet acte. Cela permettra déjà de rectifier les déséquilibres majeurs existants entre spécialités. Par ailleurs, de plus en plus de prestations médicales hospitalières feront l'objet d'un financement global forfaitaire lié au diagnostic et à des indices de sévérité. Le salariat généralisé sans une partie variable en fonction de l'activité n'est sans doute pas la solution si l'on excepte le cas des hôpitaux universitaires où le salariat se justifie par la triple mission de soins, d'enseignement et de recherche clinique.

Suppléments d'honoraires source d'inégalités

Arrivera-t-on un jour à supprimer l'obscur et délétère prélèvement sur les honoraires des médecins pour compenser le sous-financement structurel des hôpitaux? Les suppléments d'honoraire seront-ils alors plus légitimes aux yeux des patients et des mutuelles?

Dans le système décrit au point 4, la partie des honoraires liée à l'équipement, au personnel et aux locaux seraient perçus directement par l'hôpital mais devrait être gérée en commun par les médecins et les gestionnaires dans le cadre d'une législation élargissant les pouvoirs du Conseil médical.

Quant au principe des suppléments d'honoraires, il a été accepté par toutes les parties à la convention médico-mutualiste sous des conditions très strictes. Il n'empêche que le système est source d'inégalités entre les patients et les spécialités médicales. Il ne pourra être remplacé que par une augmentation des honoraires de la convention dans le cadre d'une nouvelle nomenclature des actes médicaux.

Est-ce également une fatalité que siègent dans les conseils d'administration des hôpitaux publics des "créatures politiques" souvent sans aucune compétence en la matière?

Il nous parait légitime que des représentants élus par la population siègent dans les conseils d'administration des hôpitaux publics. Il est cependant de bonne gouvernance que ces conseils soient majoritairement animés par des administrateurs indépendants choisis pour leur compétence et soient éclairés par des représentants des médecins et du personnel infirmier et paramédical. La carte d'un parti politique ne devrait plus être la clé d'entrée dans les conseils d'administration des hôpitaux.

Pendant des années, on a réclamé et partiellement obtenu la fermeture de lits hospitaliers, nos hôpitaux étant en "surcapacité". Était-ce une bonne idée? La pandémie actuelle nous a-t-elle donné tort?

La crise sanitaire récente nous a montré que des lits immédiatement mobilisables sont absolument nécessaires. Il reste que ces lits, vides en période normale, sont une charge financière pour l'hôpital puisque pour que ces lits continuent à être agréés, l'hôpital doit y maintenir un encadrement normatif en personnel. Il faudrait trouver des modalités fonctionnelles flexibles de "mise en veille" qui ne pénalisent pas financièrement les hôpitaux. La mise en place des réseaux hospitaliers locorégionaux pourrait aussi contribuer à cette flexibilité.

Business as usual

Le système des lits justifiés pousse les hôpitaux à réduire les durées de séjour et les normes de plus en plus lourdes ne sont plus intégralement financées. Que penser de ces "cercles vicieux" qui minent l'équilibre financier des hôpitaux? La crise pandémique va-t-elle changer les choses?

Le principe des lits justifiés par la durée moyenne de séjour correspondant à une pathologie nous parait légitime mais il arrive à sa limite. La piste qui privilégie un financement forfaitaire basé sur le prix de revient de la prise en charges des pathologies apporterait sans doute une solution plus élégante parce qu'elle donnerait aux hôpitaux la liberté de leur choix en termes de fonctionnement optimal. La crise sanitaire a permis aux hôpitaux et à leur personnel de mettre au grand jour une série de sous-financement structurel. Notre crainte est qu'une fois la crise terminée on en reviendra au "business as usual".

Sommes-nous oui ou non face à une pénurie inquiétante de médecins et devrions-nous supprimer le numerus clausus si on s'émancipait de toute considération politicienne?

Né d'un consensus entre les partis politiques, les syndicats médicaux et les mutuelles, le numerus clausus et son application sont des absurdités. On peut souligner l'histoire lamentable des nombreuses aventures francophones dans l'organisation de la sélection. Il est très difficile de déterminer les besoins exacts en médecins et encore plus dans les différentes spécialités. Le service public fédéral a effectué un travail considérable pour obtenir des informations les plus proches possible de la réalité. L'évolution exponentielle de la médecine et des nouvelles technologies ainsi que les modifications de comportement en matière de temps de travail rendent les pronostics sur les besoins à dix ans (le temps moyen de la formation d'un spécialiste) illusoires.

S'estimant quelque peu méprisée et dévalorisée (au même titre que les autres spécialités "intellectuelles"), la médecine générale s'est battue ces dernières années pour occuper la place qui lui revient au "centre" du système de soins. Diriez-vous qu'elle y est parvenue?

Les médecins généralistes ont effectivement réussi à redresser la barre en obtenant à juste titre une reconnaissance de leur rôle et une amélioration de leur visibilité et de leurs conditions de travail. Il y a cependant encore du chemin à parcourir: ainsi, la crise sanitaire récente a montré qu'ils étaient complètement oubliés dans leur rôle de prévention. Ils ont été laissés de côté dans les campagnes de vaccination. On a aussi préféré, sans respect du secret médical, fouiller les dossiers informatisés des mutuelles pour détecter les patients "à risque" au lieu de faire confiance aux déclarations des médecins traitants

(1) ISBN : 9 782 875 422 378.

" La Santé des Belges en 25 questions" Olivier Buchin, Alain De Wever et Jean-Louis Vanherweghem. Ed. Luc Pire

Le journal du Médecin: Pourquoi ce livre? Pr Alain De Wever: Ce livre résulte d'une réflexion commune. Il n'y avait pas de livre en français, rédigé par des auteurs indépendants des organismes parties prenantes du système, traitant de l'organisation des soins de santé en Belgique à l'usage du grand public. L'intérêt d'un tel ouvrage s'est renforcé avec la pandémie du Covid. Du côté néerlandophone de nombreux livres collectifs ou individuels sont parus pour décrire et critiquer le système et proposer des solutions. Notre but a surtout été de décrire ce système complexe d'autant qu'il fera sans doute partie des enjeux d'une nouvelle réforme de l'État en route vers une régionalisation des compétences encore plus poussée. Vous semblez résigné au fait que l'organisation de nos soins de santé soient extrêmement complexe due à notre fédéralisme un peu erratique mais que le système soit somme toute assez efficace grâce à l'extrême bonne volonté des travailleurs de la santé (à peu près 670.000 en Belgique). Est-ce donc une fatalité? Nous faisons avant tout un constat: le système est complexe et cette complexité vient de l'histoire de son élaboration basée sur des compromis "à la belge" (linguistique, philosophique, politique) et donc nécessairement alambiqués, à l'opposé d'une organisation rationnelle, simple et efficiente. Malgré cela, les professionnels de la Santé en Belgique ont une formation remarquable et des qualités telles qu'ils parviennent à surmonter cette organisation kafkaïenne et rendre des services tout à fait adéquats. Si nous critiquons le système, nous soulignons aussi ces avantages qu'il faut à tout prix préserver: la liberté d'entreprendre des acteurs, la liberté thérapeutique, la liberté de choix du patient (...). Dans le chapitre sur les hôpitaux, vous constatez l'évolution du mix du paiement: à l'acte et, de plus en plus au forfait. Quelle "chapelle" privilégiez-vous? Quel est le meilleur système pour rendre les honoraires plus équitablement répartis entre spécialités médicales "pauvres" et "riches"? Tous salariés? Une révision en profondeur de la nomenclature des actes médicaux nous semble une priorité. Cette nouvelle nomenclature, basée sur des données scientifiques devrait faire clairement la part entre l'acte intellectuel ou technique réalisé par le médecin lui-même et les frais de personnel, d'équipements ou de locaux nécessaires à la réalisation de cet acte. Cela permettra déjà de rectifier les déséquilibres majeurs existants entre spécialités. Par ailleurs, de plus en plus de prestations médicales hospitalières feront l'objet d'un financement global forfaitaire lié au diagnostic et à des indices de sévérité. Le salariat généralisé sans une partie variable en fonction de l'activité n'est sans doute pas la solution si l'on excepte le cas des hôpitaux universitaires où le salariat se justifie par la triple mission de soins, d'enseignement et de recherche clinique. Arrivera-t-on un jour à supprimer l'obscur et délétère prélèvement sur les honoraires des médecins pour compenser le sous-financement structurel des hôpitaux? Les suppléments d'honoraire seront-ils alors plus légitimes aux yeux des patients et des mutuelles? Dans le système décrit au point 4, la partie des honoraires liée à l'équipement, au personnel et aux locaux seraient perçus directement par l'hôpital mais devrait être gérée en commun par les médecins et les gestionnaires dans le cadre d'une législation élargissant les pouvoirs du Conseil médical. Quant au principe des suppléments d'honoraires, il a été accepté par toutes les parties à la convention médico-mutualiste sous des conditions très strictes. Il n'empêche que le système est source d'inégalités entre les patients et les spécialités médicales. Il ne pourra être remplacé que par une augmentation des honoraires de la convention dans le cadre d'une nouvelle nomenclature des actes médicaux. Est-ce également une fatalité que siègent dans les conseils d'administration des hôpitaux publics des "créatures politiques" souvent sans aucune compétence en la matière? Il nous parait légitime que des représentants élus par la population siègent dans les conseils d'administration des hôpitaux publics. Il est cependant de bonne gouvernance que ces conseils soient majoritairement animés par des administrateurs indépendants choisis pour leur compétence et soient éclairés par des représentants des médecins et du personnel infirmier et paramédical. La carte d'un parti politique ne devrait plus être la clé d'entrée dans les conseils d'administration des hôpitaux. Pendant des années, on a réclamé et partiellement obtenu la fermeture de lits hospitaliers, nos hôpitaux étant en "surcapacité". Était-ce une bonne idée? La pandémie actuelle nous a-t-elle donné tort? La crise sanitaire récente nous a montré que des lits immédiatement mobilisables sont absolument nécessaires. Il reste que ces lits, vides en période normale, sont une charge financière pour l'hôpital puisque pour que ces lits continuent à être agréés, l'hôpital doit y maintenir un encadrement normatif en personnel. Il faudrait trouver des modalités fonctionnelles flexibles de "mise en veille" qui ne pénalisent pas financièrement les hôpitaux. La mise en place des réseaux hospitaliers locorégionaux pourrait aussi contribuer à cette flexibilité. Le système des lits justifiés pousse les hôpitaux à réduire les durées de séjour et les normes de plus en plus lourdes ne sont plus intégralement financées. Que penser de ces "cercles vicieux" qui minent l'équilibre financier des hôpitaux? La crise pandémique va-t-elle changer les choses? Le principe des lits justifiés par la durée moyenne de séjour correspondant à une pathologie nous parait légitime mais il arrive à sa limite. La piste qui privilégie un financement forfaitaire basé sur le prix de revient de la prise en charges des pathologies apporterait sans doute une solution plus élégante parce qu'elle donnerait aux hôpitaux la liberté de leur choix en termes de fonctionnement optimal. La crise sanitaire a permis aux hôpitaux et à leur personnel de mettre au grand jour une série de sous-financement structurel. Notre crainte est qu'une fois la crise terminée on en reviendra au "business as usual". Sommes-nous oui ou non face à une pénurie inquiétante de médecins et devrions-nous supprimer le numerus clausus si on s'émancipait de toute considération politicienne? Né d'un consensus entre les partis politiques, les syndicats médicaux et les mutuelles, le numerus clausus et son application sont des absurdités. On peut souligner l'histoire lamentable des nombreuses aventures francophones dans l'organisation de la sélection. Il est très difficile de déterminer les besoins exacts en médecins et encore plus dans les différentes spécialités. Le service public fédéral a effectué un travail considérable pour obtenir des informations les plus proches possible de la réalité. L'évolution exponentielle de la médecine et des nouvelles technologies ainsi que les modifications de comportement en matière de temps de travail rendent les pronostics sur les besoins à dix ans (le temps moyen de la formation d'un spécialiste) illusoires. S'estimant quelque peu méprisée et dévalorisée (au même titre que les autres spécialités "intellectuelles"), la médecine générale s'est battue ces dernières années pour occuper la place qui lui revient au "centre" du système de soins. Diriez-vous qu'elle y est parvenue? Les médecins généralistes ont effectivement réussi à redresser la barre en obtenant à juste titre une reconnaissance de leur rôle et une amélioration de leur visibilité et de leurs conditions de travail. Il y a cependant encore du chemin à parcourir: ainsi, la crise sanitaire récente a montré qu'ils étaient complètement oubliés dans leur rôle de prévention. Ils ont été laissés de côté dans les campagnes de vaccination. On a aussi préféré, sans respect du secret médical, fouiller les dossiers informatisés des mutuelles pour détecter les patients "à risque" au lieu de faire confiance aux déclarations des médecins traitants