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Si le Belge se dit prêt à partager ses données médicales dans le cadre de recherches cliniques encadrées[1], il est beaucoup moins enthousiaste à participer aux promesses scientifiques de thérapies géniques innovantes à partir de bases de données ADN généralisées.Rappelons d'abord que les promesses de la science génétique et de son utilisation en médecine ne sont pas neuves. Elles ont cependant été prématurément embellies par les médias qui se sont emparés, très tôt, du pouvoir médiatique de cette nouvelle science. Au prix de 100.000.000 de dollars pour le séquençage d'un seul génome en 2001 (300.000 en 2006), la génétique est restée longtemps au stade embryonnaire.Ce n'est que depuis une dizaine d'années qu'elle a réellement pris son envol, profitant des progrès technologiques de la miniaturisation et de l'IA.En regroupant plusieurs milliers de séquençages individuels dans des processus d'analyse comparée, que seule la puissance d'une machine est capable d'effectuer, il a été possible de perfectionner les algorithmes de lecture et de réduire considérablement les prix d'un séquençage ADN complet.Il est actuellement possible de séquencer bien plus rapidement et à prix abordable l'ADN, mais aussi de trier algorithmiquement, avec une précision accrue, les variations naturelles des variations potentiellement pathogènes. Ce qui permet aux scientifiques de mieux comprendre le rôle des gènes dans l'apparition de certaines pathologies ou encore l'absence de réponse à certains traitements, ouvrant la porte d'une médecine prédictive plus performante et à l'apparition de nouveaux outils diagnostiques.Cependant, pour permettre ce progrès, la génomique a besoin d'une IA performante et donc de données.Ces données représentent un marché qui se chiffre en milliards et qui est particulièrement difficile à réguler, a fortiori dans un contexte international où l'Europe a pris un sérieux retard sur la Chine et les Etats-Unis. Parmi les principaux acteurs concernés, citons : les sociétés actives dans l'ADN récréatif, les sociétés technologiques, les sociétés de stockage, les sociétés de cybersécurité, les sociétés pharmaceutiques et enfin, les systèmes de santé publique et assureurs.Par conséquent, pour profiter pleinement de la plus-value que représentent des bases de données ADN séquencées sur le plan de la recherche médicale et de la santé publique, le premier rôle des gouvernements est de définir, de manière urgente, des cadres juridiques et éthiques plus précis pour ces marchés, d'ores et déjà en proie à des dérives importantes.Citons l'exemple de la société américaine 23andMe (filiale de Google), qui a obtenu dès avril 2017, une autorisation de la FDA de commercialiser un test analysant quelques 500.000 variantes génétiques, à partir d'un prélèvement de salive, dans le but d'identifier les prédispositions génétiques d'une dizaine de maladies (...)Le 27 février 2019, le CEO d'Illumina déclarait cependant, dans une interview à Bloomberg, que le monde n'était sans doute pas prêt à absorber un séquençage ADN complet (WGS) au prix de 100 dollars [2], prix qui conduirait inévitablement à une course aveugle aux données.Une aubaine pour les grands hébergeurs, dont les géants du numérique, sachant que 1 WGS codé correspond à 300 GB et que peu d'autorités publiques ont investi dans les infrastructures d'hébergement nécessaires aux stockages sécurisés des données. Les géants du numérique n'entendent, du reste, pas se limiter au simple hébergement mais souhaitent s'associer activement au marché de la santé.Des réalités économiques et éthiques qui permettent de relativiser le retard européen pris dans le domaine pour autant que l'Europe opte rapidement pour des processus encadrés de séquençages, à l'instar du Plan France Médecine Génomique 2025[3].Celui-ci vise, au-delà de la collecte de données brutes, à planter les prémisses d'une véritable médecine personnalisée, rendant certaines personnes éligibles au remboursement du séquençage, dans le cadre défini d'un itinéraire de soins qui intègre le dossier médical. Il y a donc bien un médecin prescripteur formé, interlocuteur du patient et une fusion des données médicales avec le séquençage réalisé (...)Côté européen, la dynamique se limite malheureusement à un accord de coopération facultatif, adopté en février 2018 et connu sous le nom de " 1+million declaration " [4]. Cet accord vise la constitution d'une banque de données européennes à la seule fin de recherches scientifiques qui regrouperait l'ADN d'un million d'individus d'ici 2022. Une vingtaine d'Etats y ont souscrit mais pas encore la Belgique.Faut-il regretter l'absence de politiques plus proactives dans les séquençages généralisés d'ADN ? Si la réponse paraît évidente pour le scientifique, elle l'est beaucoup moins pour le citoyen, dont le coeur balance entre envie de savoir et crainte d'une utilisation abusive de son ADN.Elle ne l'est pas plus pour le régulateur qui doit veiller à jongler entre les intérêts financiers des différentes parties prenantes, tout en préservant son " ADN valeur ".