Epidémiologiste et infectiologue à la tête du service Prévention et contrôle de l'infection des Hôpitaux universitaires de Genève, le Dr Didier Pittet est l'instigateur et le promoteur de l'hygiène des mains, d'où son surnom de "docteur mains propres". Il est l'un des "inventeurs" de la solution hydro-alcoolique (SHA), voilà pourquoi on le surnomme aussi "père du gel hydroalcoolique". Ce qu'il juge un peu excessif parce que sa mise au point est le fruit "de la convergence de plusieurs facteurs et d'une histoire évolutive d'essais et d'erreurs ".

Sa méthode simple et peu coûteuse, à savoir remplacer l'eau et le savon par une solution hydro-alcoolique, a véritablement révolutionné l'hygiène médicale en permettant de réduire le nombre d'infections liées aux soins, partout dans le monde. Cette révolution a été rendue possible parce que la SHA est libre de tout brevet.

Outil stratégique

Journal du Médecin: Que vous inspire cette distinction?

Didier Pittet: C'est une reconnaissance qui m'honore et qui remet à sa juste place des éléments de santé publique et de solidarité universelle, parce que je suis reconnu au même titre qu'un scientifique qui aurait fait une découverte exceptionnelle, comme un nouveau gène, par exemple.

Auriez-vous imaginé que cette solution serait devenue à ce point incontournable?

Pour être honnête, non. En 2009, on avait déjà fait la promotion de la SHA contre la grippe H1N1 et on avait demandé aux sociétés qui la produisent de privilégier les hôpitaux, de ne pas vendre dans tous les supermarchés etc.

Avant le Covid-19, avec l'OMS, on a développé la production locale de cette solution pour les pays en développement. Lors de la première vague du Covid, il y a eu pénurie de SHA. Ça n'a pas duré longtemps, mais il y a eu une transformation de la production locale, et tout le concept qu'on avait développé pour les pays en développement a été transféré dans nos pays. À Genève, deux parfumeurs se sont mis à en faire gratuitement, des vignerons en ont aussi produit... Et tant mieux, parce que les compagnies qui en font pour les hôpitaux sont incapables d'en produire en quantités astronomiques.

Cela n'a pu se passer que parce qu'on avait donné le brevet, c'est la clé: la SHA est un outil stratégique qu'on a voulu le moins coûteux possible. Le bien commun est essentiel et il faut réaliser que quand vous donnez, vous recevez en retour. Si, aujourd'hui, cette même clé était utilisée pour les vaccins contre le coronavirus, on aurait déjà vacciné quatre ou cinq fois le nombre de personnes actuellement vaccinées dans le monde! C'est une réflexion éthique qui devrait avoir lieu.

100 ml par semaine

La solution hydroalcoolique est-elle toujours efficace?

Oui, si on utilise la bonne formulation (80% d'alcool éthylique ou 75% d'alcool isopropylique). C'est un des outils les plus utiles pour lutter contre les infections dues à un virus respiratoire, parce que 2/3 des transmissions sont liées aux mains.

On a la chance d'avoir un produit contre lequel il n'y a pas de résistance et qui, en plus, disparaît quand il est appliqué sur les mains. Le gel hydroalcoolique permet de tuer les bactéries tout en préservant la flore cutanée (à l'inverse du savon).

Observe-t-on une amélioration de l'hygiène des mains à l'hôpital?

Les consommations de SHA sont gigantesques à l'hôpital parce qu'on les a généralisées à l'entrée de l'hôpital, des services etc... mais aussi parce que quand l'être humain a peur, il se défend et il fait la friction hydroalcoolique, d'abord pour lui-même, ensuite pour les autres. Tout le monde devrait comprendre que c'est pour soi-même mais aussi pour les autres.

Tout ce mouvement autour du Covid va probablement continuer à transformer nos pratiques et j'espère que cela persistera. Cette année, il n'y a pas de grippe, pas de gastroentérite... et ce n'est pas uniquement à cause de l'hygiène des mains, mais aussi parce qu'on vit moins ensemble... On se rend compte que le vivre ensemble, théoriquement, imposerait certaines consignes, comme l'hygiène des mains. J'ai calculé qu'une personne normale devrait utiliser un flacon de 100 ml de SHA par semaine... On en est loin.

Voit-on un effet sur les infections nosocomiales?

Oui et non, parce que certaines pratiques, malheureusement, entraînent des risques augmentés. Trop de gens qui ont peur mettent des gants alors que ce n'est pas nécessaire et qu'on transfère aussi bien les bactéries qu'avec les mains. Au plus fort de la crise, on a pratiqué une médecine de guerre, les pratiques ont été perturbées et ont été associées à des infections. Maintenant, il faut retourner dans une norme de soins.

Clean Hospitals

Quels sont vos projets?

Le Covid nous occupe beaucoup et le président Emmanuel Macron m'a demandé de diriger l'équipe d'experts qui est en train d'évaluer la façon dans la France a géré l'épidémie. J'espère que cela va se calmer cet été.

Ensuite, je poursuivrai ma mission en tant qu'ambassadeur de l'OMS pour l'hygiène des mains et je me replongerai surtout dans des projets de développement humanitaire internationaux: établir des programmes de prévention des infections, continuer à faire du " Clean Hands ", notamment, en développant la fabrication du gel hydroalcoolique qui est le prérequis du changement de comportement.

On développe un nouveau projet, " Clean Hospitals ", où on travailler sur l'environnement hospitalier et sur les procédures de désinfection, de nettoyage. Des choses qui intéressent moins et pour lesquelles on manque de bonnes interventions. Améliorer la sécurité des soins va rester au coeur de ma mission.

Epidémiologiste et infectiologue à la tête du service Prévention et contrôle de l'infection des Hôpitaux universitaires de Genève, le Dr Didier Pittet est l'instigateur et le promoteur de l'hygiène des mains, d'où son surnom de "docteur mains propres". Il est l'un des "inventeurs" de la solution hydro-alcoolique (SHA), voilà pourquoi on le surnomme aussi "père du gel hydroalcoolique". Ce qu'il juge un peu excessif parce que sa mise au point est le fruit "de la convergence de plusieurs facteurs et d'une histoire évolutive d'essais et d'erreurs ".Sa méthode simple et peu coûteuse, à savoir remplacer l'eau et le savon par une solution hydro-alcoolique, a véritablement révolutionné l'hygiène médicale en permettant de réduire le nombre d'infections liées aux soins, partout dans le monde. Cette révolution a été rendue possible parce que la SHA est libre de tout brevet.Journal du Médecin: Que vous inspire cette distinction?Didier Pittet: C'est une reconnaissance qui m'honore et qui remet à sa juste place des éléments de santé publique et de solidarité universelle, parce que je suis reconnu au même titre qu'un scientifique qui aurait fait une découverte exceptionnelle, comme un nouveau gène, par exemple.Auriez-vous imaginé que cette solution serait devenue à ce point incontournable?Pour être honnête, non. En 2009, on avait déjà fait la promotion de la SHA contre la grippe H1N1 et on avait demandé aux sociétés qui la produisent de privilégier les hôpitaux, de ne pas vendre dans tous les supermarchés etc.Avant le Covid-19, avec l'OMS, on a développé la production locale de cette solution pour les pays en développement. Lors de la première vague du Covid, il y a eu pénurie de SHA. Ça n'a pas duré longtemps, mais il y a eu une transformation de la production locale, et tout le concept qu'on avait développé pour les pays en développement a été transféré dans nos pays. À Genève, deux parfumeurs se sont mis à en faire gratuitement, des vignerons en ont aussi produit... Et tant mieux, parce que les compagnies qui en font pour les hôpitaux sont incapables d'en produire en quantités astronomiques.Cela n'a pu se passer que parce qu'on avait donné le brevet, c'est la clé: la SHA est un outil stratégique qu'on a voulu le moins coûteux possible. Le bien commun est essentiel et il faut réaliser que quand vous donnez, vous recevez en retour. Si, aujourd'hui, cette même clé était utilisée pour les vaccins contre le coronavirus, on aurait déjà vacciné quatre ou cinq fois le nombre de personnes actuellement vaccinées dans le monde! C'est une réflexion éthique qui devrait avoir lieu.La solution hydroalcoolique est-elle toujours efficace?Oui, si on utilise la bonne formulation (80% d'alcool éthylique ou 75% d'alcool isopropylique). C'est un des outils les plus utiles pour lutter contre les infections dues à un virus respiratoire, parce que 2/3 des transmissions sont liées aux mains.On a la chance d'avoir un produit contre lequel il n'y a pas de résistance et qui, en plus, disparaît quand il est appliqué sur les mains. Le gel hydroalcoolique permet de tuer les bactéries tout en préservant la flore cutanée (à l'inverse du savon).Observe-t-on une amélioration de l'hygiène des mains à l'hôpital?Les consommations de SHA sont gigantesques à l'hôpital parce qu'on les a généralisées à l'entrée de l'hôpital, des services etc... mais aussi parce que quand l'être humain a peur, il se défend et il fait la friction hydroalcoolique, d'abord pour lui-même, ensuite pour les autres. Tout le monde devrait comprendre que c'est pour soi-même mais aussi pour les autres.Tout ce mouvement autour du Covid va probablement continuer à transformer nos pratiques et j'espère que cela persistera. Cette année, il n'y a pas de grippe, pas de gastroentérite... et ce n'est pas uniquement à cause de l'hygiène des mains, mais aussi parce qu'on vit moins ensemble... On se rend compte que le vivre ensemble, théoriquement, imposerait certaines consignes, comme l'hygiène des mains. J'ai calculé qu'une personne normale devrait utiliser un flacon de 100 ml de SHA par semaine... On en est loin.Voit-on un effet sur les infections nosocomiales?Oui et non, parce que certaines pratiques, malheureusement, entraînent des risques augmentés. Trop de gens qui ont peur mettent des gants alors que ce n'est pas nécessaire et qu'on transfère aussi bien les bactéries qu'avec les mains. Au plus fort de la crise, on a pratiqué une médecine de guerre, les pratiques ont été perturbées et ont été associées à des infections. Maintenant, il faut retourner dans une norme de soins.Quels sont vos projets?Le Covid nous occupe beaucoup et le président Emmanuel Macron m'a demandé de diriger l'équipe d'experts qui est en train d'évaluer la façon dans la France a géré l'épidémie. J'espère que cela va se calmer cet été.Ensuite, je poursuivrai ma mission en tant qu'ambassadeur de l'OMS pour l'hygiène des mains et je me replongerai surtout dans des projets de développement humanitaire internationaux: établir des programmes de prévention des infections, continuer à faire du " Clean Hands ", notamment, en développant la fabrication du gel hydroalcoolique qui est le prérequis du changement de comportement.On développe un nouveau projet, " Clean Hospitals ", où on travailler sur l'environnement hospitalier et sur les procédures de désinfection, de nettoyage. Des choses qui intéressent moins et pour lesquelles on manque de bonnes interventions. Améliorer la sécurité des soins va rester au coeur de ma mission.