Le système de santé chinois est complexe, dû à l'immensité du pays, à la démographie, aux écarts importants entre les régions, sans oublier le poids de la médecine traditionnelle. Pour comprendre la situation actuelle, il faut remonter à 1978, qui voit l'ouverture de la Chine à l'économie de marché. C'est la fin de la politique du " bol de riz en fer ", qui garantit à chacun l'emploi, mais aussi la santé.

S'en suit une privatisation de fait des soins de santé chinois. En témoigne l'effondrement du financement des hôpitaux, principaux fournisseurs de soins, qui passe d'un subside public de 90% à 15% dès 1979, pour arriver à 7% seulement courant 2000. L'accès aux soins en a inévitablement pâti : la plupart des gens n'avaient aucune protection financière en matière de santé et effectuaient des paiements directs élevés pour leurs soins, qui représentaient environ 60% du total des dépenses de santé.

Une réforme en 2009

La gestion de l'épidémie du Sras de 2003 finit d'asseoir la nécessité de réformer le système de soins. En 2009, le gouvernement s'engage à mettre en place un système de santé accessible, équitable, abordable et efficace pour couvrir toutes les personnes d'ici 2020.

Nous y sommes. Sans entrer dans les détails de cette réforme au long cours, ses résultats sont assez probants. Les dépenses des ménages dans les soins de santé ont chuté de 60% fin des années 2000 à 29% en 2017. Une couverture santé universelle a été mise en place pour couvrir 95% de la population. Le financement des hôpitaux publics a également été revu.

Des défis

Si les résultats sont bons, de nombreux problèmes demeurent. Les soins de santé primaires, à titre d'exemple, sont peu utilisés. " Massivement, la population se rend à l'hôpital ", confirme le Dr Didier Decamps, directeur médical du CHR de Namur qui a travaillé dix ans en Chine. " Il faut dire que le système de soins est davantage structuré en strate, du dispensaire à l'hôpital de ville, de province, de district. "

Deux raisons à cela. Premièrement, la qualité des soins dispensés par la première ligne est insuffisante. En 2010, seulement 5,6% des médecins des centres de santé de canton - portes d'entrée des soins - avaient une formation médicale de cinq ans de médecine. En 2017, ils n'étaient toujours que 10%. Deuxièmement, le système de rémunération à l'acte dans les hôpitaux incite ces derniers à essayer d'attirer et de retenir les patients qui pourraient autrement recourir à la première ligne. À noter que le médecin généraliste, s'il existe depuis peu, est une espèce rare.

La formation fait également défaut. Jusqu'il y a peu, elle n'était pas standardisée, et fluctuait selon les lieux. Depuis, un développement a été réalisé dans la formation des médecins en Chine, mais des défis considérables existent et beaucoup reste à faire. " Le système de santé chinois est très bon dans les grandes villes. Les infrastructures sont excellentes ", relate le Dr Decamps. " Le problème ne se situe pas au niveau des infrastructures, mais dans la qualité intrinsèque des médecins, où les meilleurs côtoient les moins bons. La formation est parfois rapide, même s'il y a moyen de se spécialiser par la suite. Attention, j'ai rencontré des médecins extraordinaires. "

" Maintenant, ce n'est qu'une part du problème, car au-delà du problème potentiel de formation, il y a un problème de charge de travail ", ajoute le pédiatre. " Les médecins sont débordés et voient régulièrement plus de 100 patients par jour dans certains services. À cela s'ajoutent des salaires officiels relativement bas. Ils sont fonctionnaires. C'est assez mal structuré puisque le salaire fixe est très bas, mais peut être augmentée grâce à des primes liées aux actes effectués. D'où une surconsommation assez importante des soins. "

Depuis la réforme, le coût des soins médicaux s'est accru et les ressources sont utilisées de manière non-efficiente. Mais là où le bât blesse véritablement, surtout dans la prise en charge d'une épidémie, c'est au niveau de la coordination jugée insuffisante et du système de soins toujours fragmenté. La continuité des soins fait donc toujours défaut à l'heure actuelle.

La Chine était-elle prête ?

Le système de santé chinois se réforme donc avec brio, mais le processus est inévitablement long. Une question légitime se pose : est-ce que la Chine était préparée à faire face à cette épidémie ? " Oui ", répond sans ambages le Dr Decamps. " L'épidémie constitue un test pour la Chine qui a encore en mémoire le Sras et le relatif manque de communication qui a eu lieu autour de l'épidémie de 2003. C'est un test de transparence de la part des autorités. C'est également une opération de communication à l'attention du monde extérieur. Ils ont peut-être été un peu trop loin, car désormais, tout est un peu à l'arrêt dans le pays. "

On comprend donc que l'enjeu du coronavirus dépasse le cadre strictement médical pour le système de santé chinois. " Certainement. Cela tourne à une espèce d'élan national qui me rappelle le tremblement de terre du Sichuan en 2008 où il y a eu une fierté nationale à réagir, où des gens se sont portés volontaires pour travailler dans la région. Il y a à la fois un sentiment de solidarité et un sentiment de fierté. Il y a également la volonté de montrer au monde extérieur que la Chine est capable de réagir, de monter un hôpital en dix jours. La gestion de l'épidémie dépasse le strictement médical et se mêle à l'émotionnel, voire au sentiment nationaliste. "

Sources :

BMJ 2019 ; 365 : l2349 doi : 10.1136/bmj.l2349

Huang, Sheng-Li et al. " Medical resident training in China. " International journal of medical education vol. 9 108-110. 26 avril 2018, doi : 10.5116/ijme.5ad1.d8be

Le système de santé chinois est complexe, dû à l'immensité du pays, à la démographie, aux écarts importants entre les régions, sans oublier le poids de la médecine traditionnelle. Pour comprendre la situation actuelle, il faut remonter à 1978, qui voit l'ouverture de la Chine à l'économie de marché. C'est la fin de la politique du " bol de riz en fer ", qui garantit à chacun l'emploi, mais aussi la santé.S'en suit une privatisation de fait des soins de santé chinois. En témoigne l'effondrement du financement des hôpitaux, principaux fournisseurs de soins, qui passe d'un subside public de 90% à 15% dès 1979, pour arriver à 7% seulement courant 2000. L'accès aux soins en a inévitablement pâti : la plupart des gens n'avaient aucune protection financière en matière de santé et effectuaient des paiements directs élevés pour leurs soins, qui représentaient environ 60% du total des dépenses de santé.La gestion de l'épidémie du Sras de 2003 finit d'asseoir la nécessité de réformer le système de soins. En 2009, le gouvernement s'engage à mettre en place un système de santé accessible, équitable, abordable et efficace pour couvrir toutes les personnes d'ici 2020.Nous y sommes. Sans entrer dans les détails de cette réforme au long cours, ses résultats sont assez probants. Les dépenses des ménages dans les soins de santé ont chuté de 60% fin des années 2000 à 29% en 2017. Une couverture santé universelle a été mise en place pour couvrir 95% de la population. Le financement des hôpitaux publics a également été revu.Si les résultats sont bons, de nombreux problèmes demeurent. Les soins de santé primaires, à titre d'exemple, sont peu utilisés. " Massivement, la population se rend à l'hôpital ", confirme le Dr Didier Decamps, directeur médical du CHR de Namur qui a travaillé dix ans en Chine. " Il faut dire que le système de soins est davantage structuré en strate, du dispensaire à l'hôpital de ville, de province, de district. "Deux raisons à cela. Premièrement, la qualité des soins dispensés par la première ligne est insuffisante. En 2010, seulement 5,6% des médecins des centres de santé de canton - portes d'entrée des soins - avaient une formation médicale de cinq ans de médecine. En 2017, ils n'étaient toujours que 10%. Deuxièmement, le système de rémunération à l'acte dans les hôpitaux incite ces derniers à essayer d'attirer et de retenir les patients qui pourraient autrement recourir à la première ligne. À noter que le médecin généraliste, s'il existe depuis peu, est une espèce rare.La formation fait également défaut. Jusqu'il y a peu, elle n'était pas standardisée, et fluctuait selon les lieux. Depuis, un développement a été réalisé dans la formation des médecins en Chine, mais des défis considérables existent et beaucoup reste à faire. " Le système de santé chinois est très bon dans les grandes villes. Les infrastructures sont excellentes ", relate le Dr Decamps. " Le problème ne se situe pas au niveau des infrastructures, mais dans la qualité intrinsèque des médecins, où les meilleurs côtoient les moins bons. La formation est parfois rapide, même s'il y a moyen de se spécialiser par la suite. Attention, j'ai rencontré des médecins extraordinaires. "" Maintenant, ce n'est qu'une part du problème, car au-delà du problème potentiel de formation, il y a un problème de charge de travail ", ajoute le pédiatre. " Les médecins sont débordés et voient régulièrement plus de 100 patients par jour dans certains services. À cela s'ajoutent des salaires officiels relativement bas. Ils sont fonctionnaires. C'est assez mal structuré puisque le salaire fixe est très bas, mais peut être augmentée grâce à des primes liées aux actes effectués. D'où une surconsommation assez importante des soins. "Depuis la réforme, le coût des soins médicaux s'est accru et les ressources sont utilisées de manière non-efficiente. Mais là où le bât blesse véritablement, surtout dans la prise en charge d'une épidémie, c'est au niveau de la coordination jugée insuffisante et du système de soins toujours fragmenté. La continuité des soins fait donc toujours défaut à l'heure actuelle.Le système de santé chinois se réforme donc avec brio, mais le processus est inévitablement long. Une question légitime se pose : est-ce que la Chine était préparée à faire face à cette épidémie ? " Oui ", répond sans ambages le Dr Decamps. " L'épidémie constitue un test pour la Chine qui a encore en mémoire le Sras et le relatif manque de communication qui a eu lieu autour de l'épidémie de 2003. C'est un test de transparence de la part des autorités. C'est également une opération de communication à l'attention du monde extérieur. Ils ont peut-être été un peu trop loin, car désormais, tout est un peu à l'arrêt dans le pays. "On comprend donc que l'enjeu du coronavirus dépasse le cadre strictement médical pour le système de santé chinois. " Certainement. Cela tourne à une espèce d'élan national qui me rappelle le tremblement de terre du Sichuan en 2008 où il y a eu une fierté nationale à réagir, où des gens se sont portés volontaires pour travailler dans la région. Il y a à la fois un sentiment de solidarité et un sentiment de fierté. Il y a également la volonté de montrer au monde extérieur que la Chine est capable de réagir, de monter un hôpital en dix jours. La gestion de l'épidémie dépasse le strictement médical et se mêle à l'émotionnel, voire au sentiment nationaliste. "