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Le 5 juillet 2017, le National Health Service (NHS), système de santé britannique entièrement gratuit, fêtait ses 70 ans. Ce bijou social imaginé après la guerre 40-45 est la fierté des Britanniques. Mais depuis quelques années, le paquebot prend l'eau.En janvier 2018, près de 55.000 opérations non-urgentes ont dû être reportées, y compris des chimiothérapies, soit 92 % de celles avec moins de 18 semaines d'attente. 16.900 personnes ont attendu plus d'une demi-heure dans une ambulance avant d'être admises aux Urgences entre Noël et le Nouvel-An 2018. En faute : une pénurie structurelle d'environ 15.000 lits sur 130.000, une pénurie de personnel soignant (il en manque 86.000 sur un total de 1,7 million, premier employeur mondial après l'armée US, l'armée chinoise, Walmart et MacDonald's) et une croissance autorisée des dépenses insuffisante (1,2 % par an sur un budget total de 144 milliards de livres sterling contre 4 % à 6 % sous les gouvernements travaillistes de Tony Blair).Ce qui a valu à la vénérable maison un Tweet rageur de... Donald Trump luimême, en février dernier : " Les démocrates poussent à créer un système de santé universel alors que des milliers de gens défilent au Royaume-Uni parce que leur système U [universel] est en passe de faire faillite. " S'étranglant presque, le ministre britannique de la Santé, le pourtant conservateur Jeremy Hunt, a rappelé au président des États-Unis que chez lui, près de 28 millions de patient n'ont carrément aucune couverture santé...Les amateurs de Michael Moore se souviennent sûrement de cette scène de Sicko, où le cinéaste pamphlétaire cherche en vain les caisses dans un hôpital du NHS pour régler l'addition. Il parvient finalement à en trouver une dans les caves et, à sa stupéfaction, on lui... rembourse une dizaine de livres sterling. Rires garantis dans la salle.Mais la gratuité totale semble avoir ses limites. En novembre 2017, le patron du NHS, Simon Stevens, avait averti la Première ministre Theresa May qu'il faut trouver 20 à 30 milliards de livres (22 à 34 milliards d'euros) supplémentaires, sans quoi les listes d'attente en chirurgie pourraient atteindre pas moins de 5 millions de patients. Proportionnellement à la population, le Royaume-Uni dépenserait à peu près cette somme en moins par rapport à la France et l'Allemagne. En raison du vieillissement de la population, le nombre d'admissions dans les hôpitaux du NHS a crû de 3,6 % l'an.Le NHS est un enjeu politique majeur au Royaume-Uni, surtout depuis le Brexit. Pour Jeremy Corbyn, le leader de l'opposition travailliste, c'est la Première ministre May qui pousse le NHS dans la crise. L'épidémie de grippe qui a frappé le système en janvier a de fait obligé Mme May à présenter des excuses publiques à la télévision. Le 23 janvier, elle été trahie par son propre ministre des Affaires étrangères, le sulfureux Boris Johnson, dont des proches anonymes ont déclaré qu'il allait réclamer 100 millions par semaine pour renflouer le NHS.Nigel Farage (Ukip) et le même Boris Johnson comptaient beaucoup sur la récupération des 300 millions que payait le pays à l'Union européenne chaque année, afin de renflouer le NHS. Hélas, c'était une fakenews.Au régime sec, le NHS a annoncé l'été dernier une série de déremboursements pour un montant de 212 millions d'euros. Ils concernent l'homéopathie, la phytothérapie, les oméga-3, des compléments alimentaires vitaminés, des baumes musculaires, des anti-douleurs inefficaces et quelques vaccins à prendre avant un voyage dans un pays exotique. Si le déremboursement de l'homéopathie (103.000 euros) est une goutte dans la mer, la fin du financement des hôpitaux homéopathiques préconisée par la British Medical Association, faute de preuves scientifique suffisantes, permettrait sans doute des économies plus substantielles. Encore que la British Homeopathic Association s'est empressée de démontrer que des traitements allopathiques plus coûteux ne manqueraient pas d'être prescrits par les médecins. Ce qui lui a valu la réplique cinglante d'un professeur de pharmacologie de l'université d'Exeter, Edzard Ernst, pour qui le remboursement de l'homéopathie par le NHS est " un affront scandaleux à la médecine rationaliste ".Confrontés aux files d'attente, de plus en plus de patients (ils seraient près de 7 millions) préfèrent se faire opérer dans des cliniques privées qui demandent pas moins de 17.000 euros pour une prothèse de hanche et 4.000 pour une chirurgie de la cataracte.Pour couronner le tout, le système a été frappé plus que tous les autres par les attaques informatiques en mai dernier. Des opérations en tout genre ont aussi été annulées. Depuis 2015, pas moins de 79 services du NHS ont été attaqués, malgré les 2,24 milliards d'euros investis en 2016 dans la cybersécurité dans tout le pays. Le seul budget informatique du NHS se monte à 5 milliards d'euros, dont 60 millions pour la seule sécurité. Toutefois, l'équivalent britannique de la Cour des Comptes a révélé qu'une partie de cette somme servait à renflouer le système informatique du NHS dans ses défaillances quotidiennes.