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D'emblée, Christine Croisiaux, présidente de l'asbl Jeunes aidants proches, souhaite faire le distinguo entre l'aidant proche et le JAP. " La différence, c'est le choix qu'a l'adulte, bien que parfois difficile voire cruel, d'une part, et l'obligation qu'a l'enfant, l'adolescent, d'autre part. " Un JAP est donc une personne jeune qui apporte une aide continue à un proche en raison d'une situation de dépendance. Cette dépendance est soit liée à un handicap, à une maladie ou à un problème d'assuétude. Les JAP ont moins de 18 ans, ou ont entre 18-25 ans, tranche d'âge encore fragile lors de l'entrée dans la vie active, d'ailleurs souvent biaisée par cette situation complexe.Quant au nombre de JAP, difficile de donner un chiffre précis. Aucune étude n'a été menée à ce sujet en Belgique. En Grande Bretagne par contre, où le sujet est connu depuis une vingtaine d'années, il est estimé à deux élèves par classe1. Autre chiffre parlant : un JAP sur trois passe de 11 à 20 h par semaine à soigner son proche. Utilitarisme ? Ces heures passées à aider un proche ne sont pas rémunérées. " Ils rendent ces services gratuitement, et ce faisant, ils réduisent de façon substantielle les coûts des soins de santé et les coûts des services sociaux ", explique Christine Croisiaux.Les Droits de l'enfant sont pourtant clairs : l'enfant doit être protégé. Il doit être en mesure de se développer d'une façon saine et normale sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social. L'enfant ne doit pas être admis à l'emploi avant d'avoir atteint un âge minimum approprié. " De là à dire que l'activité du JAP constitue un emploi, je n'irais pas jusque-là, mais au regard de ses droits, il y a des situations problématiques. " Au niveau médical Une bonne approche est capitale. Evidemment, les milieux scolaire, sportif et associatif doivent aider ces jeunes, mais le milieu médical a également son rôle à jouer, à l'hôpital comme au cabinet. "Ces enfants sont souvent méconnus, soit parce qu'ils ne parlent pas de ce qu'ils vivent au quotidien, soit parce que nous, les médecins 'n'y pensons pas'", explique le Dr Christiane Leenaerts, pédiatre. "Quand on les écoute ou qu'on lit leurs histoires, on peut s'interroger sur ce qu'est leur vie d'enfant et sur le respect de leurs droits fondamentaux."Il existe des moyens pour les aider. D'abord par le biais de l'identification. Ces jeunes accompagnent leur proche aux rendez-vous médicaux. " Si le papa est, par exemple, devenu aphasique, il peut avoir besoin de l'aide de son fils ou de sa fille pour aller chez le médecin, pour s'exprimer, et pour prendre des notes sur les prescriptions du médecin ", note la présidente de l'association.Ensuite, un travail de sensibilisation doit être mené. Ces jeunes, souvent en proie à des difficultés scolaires et au harcèlement2 , peuvent en effet développer eux-mêmes des troubles psychologiques sur le long terme.Le travail du médecin ne doit pas s'arrêter au patient, et doit aller au-delà. Il est important de s'intéresser au tissu familial pour comprendre qui prend en charge un patient atteint d'une maladie chronique, d'un AVC, d'une dépendance ou d'un handicap le rendant dépendant. "Face à un patient avec un handicap important ou une maladie chronique sévère le rendant dépendant, il est essentiel que le médecin dépasse le cadre strictement médical et s'informe sur les proches qui l'entourent, conjoint et enfants, ainsi que sur la prise en charge de la gestion du quotidien", ajoute le Dr Leenaerts. Des exemples de prise en charge Il n'est pas difficile de trouver des exemples parlant de l'importance des JAP en lien avec le milieu médical. Les médecins spécialistes sont en première ligne pour la mise au point diagnostique et la prise en charge thérapeutique du patient en situation de dépendance. Ils organisent le retour à domicile en se centrant essentiellement sur le suivi médical et paramédical. "Et les proches ?" se demande le Dr Leenaerts. "Prenons l'exemple d'une maman seule, suivie en soins palliatifs et qui s'angoisse pour l'avenir de ses enfants. Comment l'ainé de 12 ans, qui s'occupe de ses cadets depuis des mois, va-t-il faire ? Les enfants seront ils placés ? Autre exemple, un père hémiplégique après un AVC refuse les soins infirmiers. Qui s'occupera de sa toilette et de la gestion des médicaments, pendant que son épouse travaille ?""Concernant le médecin traitant, il assure le suivi au domicile. Il connait bien la famille et peut poser la question de l'aide. Qui s'occupe des soins ? Des enfants ? De la maison ? Il se sent démuni quand il estime que la charge portée par un enfant est trop lourde, comme dans une famille où l'alcool a pris une telle place ? Comment intervenir sans être considéré comme intrusif et être rejeté par la famille ?" La politique D'un point de vue politique, l'approche se doit d'être transversale, tant la problématique du JAP touche plusieurs pans de la société. " La réunion d'aujourd'hui doit permettre au monde politique de prendre conscience ", explique dans son discours Céline Frémault, ministre bruxelloise de l'Aide aux personnes et des Personnes handicapées. " Ces jeunes ont des besoins spécifiques. Il faut réfléchir à comment inscrire leur situation dans la législation et ce de manière transversale. " À la rencontre de l'asbl Jeunes aidants proches Le journal du Médecin : Premièrement, qui était à l'initiative de cette rencontre-débat au Parlement francophone bruxellois ? Christine Croisiaux : L'idée d'amener cette thématique au Parlement francophone bruxellois dans le cadre des jeudis de l'hémicycle revient à Fabian Maingain (conseiller communal Défi à la ville de Bruxelles, ndlr) qui a marqué son intérêt pour le projet tout comme d'autres personnes politiques. Quelles sont vos préoccupations les plus urgentes ? Christine Croisiaux : Sans doute la prise de conscience que ces jeunes existent et, donc, la mise en place de moyens pour les soutenir notamment au niveau des écoles. Dans le même temps, il faut mener une réflexion en partenariat avec le service JAP et les politiques pour leur reconnaissance et les soutiens à octroyer. Sans oublier une attention particulière au niveau santé de ces jeunes et l'aspect prévention. C'est un sujet transversal, vous l'avez-dit. Comment savoir à quelle autorité s'adresser ? Christine Croisiaux : Il s'agit d'insérer les JAP dans toutes les réflexions politiques où ils peuvent être impliqués : enseignement, emploi, santé, politique, handicap,... D'un point de vue médical, que désire l'association ? Que le médecin ne s'arrête plus au patient, mais s'inquiète également de qui prend en charge le malade ? Christine Croisiaux : Oui. Il est impératif que le médecin de famille qui détecte un problème de santé mettant un proche en situation de dépendance s'interroge sur la question de l'aide, surtout s'il y a des enfants. Qui aide ? Pourquoi ? Il faut parler du service JAP aux proches.Il nous semble que les médecins de famille voient des situations très diverses, qu'il n'y a pas de cas type. Bien souvent, ils ne savent pas faire grand-chose tant qu'ils estiment que l'enfant n'est pas en danger. Le jour où ils se disent qu'il faudrait intervenir, ils sont parfois mal pris car ils pourraient perdre le patient.Le service JAP, mis en place en mai 2015, propose une aide précoce, un lieu où le jeune pourra parler, rencontrer d'autres jeunes dans des situations semblables et être soutenu. Le service JAP se mandate pour mettre en liens les associations qui pourraient aider les jeunes et leur famille. Quid de la pédiatrie? Dr Leenaert : Le pédiatre a un double rôle :1. Il est conscient que les enfants, qui assurent un rôle de JAP, peuvent avoir des répercussions physiques ou psychologiques importantes : fatigue, angoisses, troubles du sommeil, difficultés scolaires avec troubles de concentration, douleurs psychosomatiques, repli sur soi.... Au-delà de ces symptômes, il est important d'écouter et d'entendre ce qui se vit à la maison : se lever chaque nuit pour aider son parent qui appelle, être inquiet de laisser son père épileptique seul à la maison, gérer les médicaments de sa mère dépressive, s'occuper de son frère atteint d'un handicap sévère...2. Sa spécialité l'amène à soigner des enfants en situation de handicap ou d'affections chroniques invalidantes : là aussi il pose la question des aides éventuelles que frères et soeurs apportent au quotidien à l'enfant malade ou lors des hospitalisations répétées, qui mobilisent les parents : aides ponctuelles ou aides importantes, comme cet enfant, qui veille sur son frère autiste, pendant que l'absence de sa maman. Il peut informer la famille sur les aides possibles à mettre en place pour soulager ces enfants.Il est aussi l'interlocuteur privilégié pour répondre aux questions des enfants JAP, celles que l'on n'ose pas poser aux parents. D'autres spécialités entrent en jeu? Dr Leenaert : Le médecin de l'ONE est interpellé, quand il voit arriver à chaque consultation une ado avec le bébé "parce que la maman est malade et ne sort plus ". L'infirmière ou l'assistante sociale de l'ONE, qui vont à domicile, peuvent être les interlocuteurs privilégiés de cette famille.Le médecin d'école a un rôle tout à fait particulier, puisque l'école est souvent le "lanceur d'alerte" d'un enfant en souffrance : décrochage scolaire, isolement, absentéisme, non participation aux stages et voyages scolaires, plaintes physiques répétées....Mais les contraintes limitent ses possibilités d'action. Les enseignants et les équipes de PMS, en premières lignes ont fait part lors des réunions de la plate-forme JAP, de leurs attentes afin de soutenir et accompagner au mieux ces enfants.On évoque ici le médecin, mais il ne faut pas oublier les équipes paramédicales et les services d'aides ou de soins à domicile, les assistantes sociales et tout le réseau qui peut entourer une famille.Cet accompagnement peut être perçu comme une intrusion dans la famille, une déresponsabilisation parentale, soulignant "l'incompétence" de la personne dépendante ou la lourde charge que peut représenter un frère ou une soeur en situation de dépendance . Or il semble important de redire qu'on ne choisit pas d'avoir un handicap ou une maladie chronique invalidante, qu'on n'est absolument pas "responsable" de cette situation douloureuse. Accepter la solidarité et les aides de personnes extérieures à la famille devrait permettre à chacun, parents et enfants, de "se sentir mieux" tant au niveau physique que psychique.Le service JAP vise à apporter un soutien spécifique pour ces enfants et ces jeunes et propose une aide précoce, un lieu où parler et rencontrer d'autres jeunes vivant des situations semblables. Il se mandate pour mettre en liens les associations qui pourraient aider les familles.On ne peut terminer sans noter que le fait d'avoir été JAP peut aussi avoir un impact positif sur le comportement des enfants et des jeunes, décrits comme empathiques, avec une maturité précoce, un lien familial très fort et un sens accru des responsabilités. Devenus adultes, ils choisissent souvent des métiers de soignants .....comme la médecine ! Est-ce que la télémédecine pourrait aider ces jeunes aidants proches ? Christine Croisiaux: Oui, d'autant plus que les JAP sont connectés. Un piste serait d'offrir la possibilité de discuter via chat ou SMS avec le médecin. Quelles autres solutions existent pour le médecin ? Christine Croisiaux: Il y a actuellement peu de solutions que le médecin puisse proposer aux aidants proches... En caricaturant, c'est lorsque l'aidant en devient malade que le médecin peut faire quelque chose.Si les médecins traitants avaient des dépliants à remettre avec un numéro d'appel ou des infos pour prendre contact par message ou via les réseaux sociaux. Cela permettrait déjà de faire avancer les choses. Cela me fait penser que ce serait peut-être bien de réfléchir à l'opportunité ou pas et à la manière de faire savoir au médecin que le jeune est suivi...