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Les épidémies et les maladies ont frappé l'humanité depuis la nuit des temps et ont même joué un rôle important dans le déroulement des guerres, et de l'histoire de l'homme en général. Ces fléaux ont fait des centaines de millions de morts: 30 à 50 millions lors de la peste de Justinien au 6e siècle, 200 millions suite à la peste au 14e siècle, 56 millions de décès dûs à la variole au 16e siècle, 40 à 50 millions de victimes à cause de la grippe dite 'espagnole 'après la première guerre mondiale. En 1957-1958, la grippe asiatique a causé la mort de plus d'un million de malades. Idem pour la grippe de Hong-Kong à la fin des années soixante. Le sida lui n'est épidémiologiquement pas comparable aux autres maladies infectieuses, mais a quand-même fait, jusqu'à ce jour, 25 à 35 millions de victimes.Face à ces chiffres impressionnants, et compte tenu du fait que la densité de population était alors nettement moins importante que celle de 2020, le nombre actuel de décès suite au virus covid-19 est très bas, ne comptant que quelques dizaines voire peut-être quelques centaines de milliers de victimes. Néanmoins, ses conséquences économiques, sociales et psychologiques sont immenses et sans précédent. Le nouveau virus est parvenu à mettre à plat les trois quart de la planète, a fait chuter les valeurs boursières, a réduit le tourisme à zéro et mis des populations entières au chômage technique.Alors, comment cette épidémie se différencie-t-elle d'autres fléaux sanitaires que l'humanité a connus dans le passé? Et pourquoi oblige-t-on les gens à rester chez eux et à arrêter la plupart des activités économiques et sociales?Cette épidémie est différente comparée aux autres que nous avons connues auparavant, et ce pour plusieurs raisons:· La rapidité phénoménale de la contagion dans le monde entier, à cause de notre grande mobilité et de la multiplication des voyages intercontinentaux, tant touristiques que professionnels. Ce n'était évidemment pas le cas au temps des diligences et des chaloupes...· La maladie elle-même qui, dans les cas graves, atteint le système respiratoire avec risque d'asphyxie et de décès par manque d'oxygène. Dès que ces symptômes inquiétants apparaissent, les patients se précipitent aux urgences et finissent en fin de compte au respirateur artificiel. Cela submerge les hôpitaux et le personnel soignant qui ne peuvent faire face à une telle abondance de patients nécessitant des soins intensifs. Ceci n'était pas le cas pour les épidémies antérieures, les techniques et moyens médicaux n'étant à l'époque, et de loin, pas ceux dont nous disposons actuellement. La plupart du temps les patients mouraient chez eux, entourés de leurs proches, et non pas dans un service de soins intensifs, sans revoir ceux qui leur sont chers. Le confinement a d'ailleurs pour but principal non d'enrayer la maladie, ce qui pour l'instant est encore impossible, mais de l'étaler dans le temps, donc de la faire durer plus longtemps, afin justement d'éviter l'engorgement des hôpitaux, dont les moyens sont forcément limités.· Le virus touche principalement les personnes âgées et souvent déjà atteintes d'autres maladies concomitantes. La moyenne d'âge de notre population et son espérance de vie étant nettement plus élevées qu'auparavant (nous avons gagné plus de trente ans de vie en un siècle!), le nombre de personnes âgées et handicapées est logiquement plus grand, et donc le nombre de victimes du virus l'est également. Le biologiste y verra une forme de sélection naturelle. Heureusement les enfants et adolescents semblent épargnés. Chez eux, le virus provoque éventuellement un syndrome grippal, leur permettant de s'immuniser.Au-delà des problèmes sanitaires, il me semble que les conséquences économiques et sociales sont et seront bien plus importantes et se feront sentir plusieurs mois et peut-être même plusieurs années après l'épidémie. On peut se demander si le confinement que l'on nous impose n'aura pas d'effets plus pervers que positifs. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle? Mettre une bonne part de la population au chômage technique et en difficultés financières et pour certains dans l'indigence et la pauvreté, creuser encore plus le déficit budgétaire de l'Etat, confiner les gens chez eux en leur supprimant toute activité sociale (mis à part l'internet et le téléphone), pourtant bien nécessaire à leur équilibre mental, fermer les écoles et faire perdre aux élèves et étudiants un trimestre entier de cours et de travaux pratiques, remettre nécessairement à plus tard des interventions médicales et chirurgicales dont l'urgence n'est pas évidente, mais dont la nécessité n'en est pas moins réelle, tout cela pour éviter un nombre de décès et de malades plus élevé, mais en sachant que cette épidémie ne durera pas plus que quelques mois (comme toutes les épidémies de virus grippal), est-ce bien raisonnable? Je me pose la question. Chaque année la grippe 'normale', également contagieuse, fait aussi des milliers de victimes, sans que l'on arrête pour autant toute activité économique et sociale.Pourtant, je constate que la grande majorité de la population accepte et respecte très bien les mesures imposées par les autorités. Cela prouve à quel point l'importance de la santé et, en corollaire, la peur de la maladie et de la mort se sont incrustées dans notre civilisation. Cela tient probablement en partie au fait que la croyance en un au-delà prometteur bat de l'aile depuis quelques décennies... La (bonne) santé est devenue le bien suprême qui surpasse tous les autres aspects de notre vie et pour lequel tout le reste semble secondaire. La maladie et la mort ne sont plus acceptées et quand ils nous menacent, on compte sur la médecine pour redresser la situation, les moyens techniques toujours plus performants, mais de plus en plus coûteux, nous faisant croire que les succès thérapeutiques sont assurés. La santé n'a pas de prix, dit-on, mais l'acharnement thérapeutique lui, nous coûte très cher.Finalement, cette épidémie, aura sans doute le don de nous faire réfléchir et de remettre les pendules à l'heure. En tous cas, elle nous prouve à quel point nous sommes vulnérables, que nous ne sommes pas les rois de la création, qu'un simple virus peut tout remettre en question et nous faire comprendre que nous ne sommes que peu de chose, des êtres de chair et d'os, dont la survie ne tient qu'à un fil. Nous faisons partie d'un tout et devons sans doute cesser de nous comporter comme supérieurs, d'agir à notre guise, sans tenir compte des limites que la nature nous impose.La crise actuelle nous fait (re)découvrir également quelques valeurs essentielles: l'importance des relations humaines, de la solidarité, de la convivialité. Elle nous permet d'insérer, malgré nous, dans notre vie trépidante quelques semaines de calme et de tranquillité.Profitons-en au maximum, en espérant que ce virus diabolique s'éloigne de nous aussi rapidement qu'il nous a envahis.Dr Jean-Marie Segers