Pourtant, qu'il soit prestataire, client, bénéficiaire ou intermédiaire, nul ne peut se soustraire au besoin de valorisation financière, sous peine de s'exposer à de grandes désillusions dans sa vie privée, professionnelle ou citoyenne. D'autre part, accepter sans fausse pudeur l'omniprésence de l'argent peut entraîner des tensions insupportables. D'où la tentation, largement répandue, de déléguer la défense de ses intérêts financiers à d'autres, non sans risque d'abus de confiance. Galbraith, l'un des plus prestigieux économistes du XXème siècle, a écrit : "Ceux qui parlent d'argent ou en font le sujet de leur enseignement et donc leur gagne-pain tirent prestige, estime et avantages pécuniaires, comme les médecins ou les sorciers, de la croyance soigneusement cultivée qu'ils entretiennent une association privilégiée avec l'occulte - qu'ils ont des perspectives sur un domaine totalement inaccessible aux gens ordinaires."

Depuis des générations nous oscillons entre deux conceptions extrêmes. Pour les uns les rapports économiques entre individus relèvent d'un espace qualifié de "marché"; pour les autres, ils ont vocation à être subordonnés à l'état, seul garant de l'intérêt général. Montée en idéologies conflictuelles, l'opposition caricaturale entre le tout "marché" versus le tout "Etat" exacerbe le mépris du commerce ou la liberté débridée d'entreprendre.

Notion de valeur

Ces deux conceptions radicales ont complètement perverti la notion de valeur dans la société. Or, les choses pourraient se passer autrement. Imaginons que de proche en proche, du terrain des pratiques individuelles aux cimes de la gouvernance, les plus modérés se préoccupent de faire contrepoids aux plus extrêmes, une approche plus équilibrée de la valorisation financière des biens et des services pourrait émerger du seul fait de la diversité des caractères. Par contre, si les modérés abandonnent les négociations qu'implique le "marché " aux moins généreux et aux plus cupides, il ne faut pas s'étonner d'obtenir des résultats d'autant plus contreproductifs que le "non marchand" n'est pas à l'abri de dérives et peut servir aisément de camouflage éthique. In fine, la dichotomie "marchand / non marchand" contribue davantage à brouiller les cartes qu'à tracer une claire frontière éthique. S'il est périlleux de soutenir cette thèse au vu des effets désastreux de la recherche effrénée du profit, on peut aussi d'étonner qu'il suffise de se proclamer "non-marchand" pour bénéficier d'un label d'honnêteté, quand ce n'est pas de compétence.

La pratique médicale montre combien les belles proclamations ne suffisent à garantir ni la qualité technique, ni l'éthique. Leur appartenance proclamée au non marchand n'empêche pas certaines organisations hospitalières et mutuellistes de vendre leurs services et de défendre leurs intérêts. Il n'y a là rien de répréhensible, si ce n'est qu'elles prétendent agir mieux et plus éthiquement que d'autres du seul fait de leur étiquetage "non marchand". Une preuve de bonne conduite un peu courte ! Et aussi une supercherie intellectuelle, quand on se souvient que seuls les personnes peuvent se réclamer d'une éthique, non les structures ou organismes qui les abritent.

Vision étriquée de l'éthique

La santé ne serait pas une marchandise ? Qu'est-ce à dire ? Que les marchandises pourraient être systématiquement négligées, maltraitées, trafiquées ? La médecine fait appel à des marchandises, appareils, ambulances, brancards, voitures pour handicapés, scalpels, médicaments... Ces grands et petits objets seraient-ils moins dignes d'attention que les malades auxquels ils sont destinés ? Quelle vision étriquée de l'éthique alors que depuis toujours la survie et le confort des êtres humains et surtout des malades dépendent de la manière dont nous concevons, construisons, vendons, achetons et utilisons des marchandises !

S'il fallait s'en convaincre, songeons à l'immense créativité en matière d'innovations technologiques utiles aux patients. Qu'elles dérivent ou non de programmes militaires et spatiaux, ou qu'elles soient issues d'une recherche dédiée, elles relèvent avant tout d'une volonté de bien faire dans le chef de leurs concepteurs ou de leurs utilisateurs, évidemment assortie de profit en cas de réussite. Nul n'a jamais poussé l'hypocrisie jusqu'à les récuser au nom d'un péché originel qui les entacherait.

* "The Persian Boy", Roman historique de Mary Renault, époque d'Alexandre le Grand

Pourtant, qu'il soit prestataire, client, bénéficiaire ou intermédiaire, nul ne peut se soustraire au besoin de valorisation financière, sous peine de s'exposer à de grandes désillusions dans sa vie privée, professionnelle ou citoyenne. D'autre part, accepter sans fausse pudeur l'omniprésence de l'argent peut entraîner des tensions insupportables. D'où la tentation, largement répandue, de déléguer la défense de ses intérêts financiers à d'autres, non sans risque d'abus de confiance. Galbraith, l'un des plus prestigieux économistes du XXème siècle, a écrit : "Ceux qui parlent d'argent ou en font le sujet de leur enseignement et donc leur gagne-pain tirent prestige, estime et avantages pécuniaires, comme les médecins ou les sorciers, de la croyance soigneusement cultivée qu'ils entretiennent une association privilégiée avec l'occulte - qu'ils ont des perspectives sur un domaine totalement inaccessible aux gens ordinaires."Depuis des générations nous oscillons entre deux conceptions extrêmes. Pour les uns les rapports économiques entre individus relèvent d'un espace qualifié de "marché"; pour les autres, ils ont vocation à être subordonnés à l'état, seul garant de l'intérêt général. Montée en idéologies conflictuelles, l'opposition caricaturale entre le tout "marché" versus le tout "Etat" exacerbe le mépris du commerce ou la liberté débridée d'entreprendre.Ces deux conceptions radicales ont complètement perverti la notion de valeur dans la société. Or, les choses pourraient se passer autrement. Imaginons que de proche en proche, du terrain des pratiques individuelles aux cimes de la gouvernance, les plus modérés se préoccupent de faire contrepoids aux plus extrêmes, une approche plus équilibrée de la valorisation financière des biens et des services pourrait émerger du seul fait de la diversité des caractères. Par contre, si les modérés abandonnent les négociations qu'implique le "marché " aux moins généreux et aux plus cupides, il ne faut pas s'étonner d'obtenir des résultats d'autant plus contreproductifs que le "non marchand" n'est pas à l'abri de dérives et peut servir aisément de camouflage éthique. In fine, la dichotomie "marchand / non marchand" contribue davantage à brouiller les cartes qu'à tracer une claire frontière éthique. S'il est périlleux de soutenir cette thèse au vu des effets désastreux de la recherche effrénée du profit, on peut aussi d'étonner qu'il suffise de se proclamer "non-marchand" pour bénéficier d'un label d'honnêteté, quand ce n'est pas de compétence.La pratique médicale montre combien les belles proclamations ne suffisent à garantir ni la qualité technique, ni l'éthique. Leur appartenance proclamée au non marchand n'empêche pas certaines organisations hospitalières et mutuellistes de vendre leurs services et de défendre leurs intérêts. Il n'y a là rien de répréhensible, si ce n'est qu'elles prétendent agir mieux et plus éthiquement que d'autres du seul fait de leur étiquetage "non marchand". Une preuve de bonne conduite un peu courte ! Et aussi une supercherie intellectuelle, quand on se souvient que seuls les personnes peuvent se réclamer d'une éthique, non les structures ou organismes qui les abritent.La santé ne serait pas une marchandise ? Qu'est-ce à dire ? Que les marchandises pourraient être systématiquement négligées, maltraitées, trafiquées ? La médecine fait appel à des marchandises, appareils, ambulances, brancards, voitures pour handicapés, scalpels, médicaments... Ces grands et petits objets seraient-ils moins dignes d'attention que les malades auxquels ils sont destinés ? Quelle vision étriquée de l'éthique alors que depuis toujours la survie et le confort des êtres humains et surtout des malades dépendent de la manière dont nous concevons, construisons, vendons, achetons et utilisons des marchandises ! S'il fallait s'en convaincre, songeons à l'immense créativité en matière d'innovations technologiques utiles aux patients. Qu'elles dérivent ou non de programmes militaires et spatiaux, ou qu'elles soient issues d'une recherche dédiée, elles relèvent avant tout d'une volonté de bien faire dans le chef de leurs concepteurs ou de leurs utilisateurs, évidemment assortie de profit en cas de réussite. Nul n'a jamais poussé l'hypocrisie jusqu'à les récuser au nom d'un péché originel qui les entacherait.* "The Persian Boy", Roman historique de Mary Renault, époque d'Alexandre le Grand