"I l est essentiel de voir ce qui se passe dès le moment préliminaire de la crise en termes de réaction émotionnelle et du lien entre réaction émotionnelle et changement de comportement. Pour des psychologues de la santé, ce qui est intéressant c'est qu'on est devant des recommandations inhabituelles. En cas de crise sanitaire, les recommandations se centrent surtout sur des comportements comme le lavage des mains. Ici, ce qui est particulier c'est qu'il y a aussi la consigne de limitation des comportements sociaux qui, en général, n'ont aucun impact négatif, au contraire ", explique le Pr Olivier Luminet (psychologie de la santé, UCLouvain).

Voilà pourquoi l'enquête vise trois comportements : se laver les mains, prendre les transports publics et ne pas voir de gens pendant un mois. " Pour nous, il y a un gradient de difficulté entre ces trois types d'activités. Quels sont les facteurs qui permettent ou qui rendent plus difficile l'inhibition des comportements sociaux ? Comment faciliter ce changement de comportement ? Pour quelles personnes est-ce particulièrement difficile ? ... Cela nous permettra d'être mieux préparé en cas de situation similaire dans le futur et de proposer des recommandations plus ciblées en fonction de différents groupes dans la population. "

Lancée le mardi 17 mars, juste après l'annonce du confinement total, cette enquête devrait être suivie par un deuxième volet lors de la sortie de crise, l'objectif étant de mesurer les changements dans les comportements et émotions. Pour l'instant, 1500 personnes ont répondu au questionnaire qui devrait encore être accessible une quinzaine de jours.

Quelles inquiétudes ?

L'expérience prolongée de la restriction des comportements sociaux pourrait avoir des conséquences négatives pour deux catégories à risque : les personnes isolées et les extraverties qui ont besoin de plus de contacts sociaux que d'autres. " Ensuite, depuis le début du confinement, le temps est magnifique, si on commence à avoir un temps détestable, la seule activité qui reste possible comme se promener ou faire du vélo sera compromise, les échappatoires deviendront très limitées. "

Pour Olivier Luminet, le risque principal ce sont les troubles dépressifs et l'anxiété mais pas nécessairement le suicide : " Dans des situations extrêmes, il y a des phénomènes de mobilisation. Dans les périodes de guerre par exemple, il y a moins de suicides parce que les gens sont dans un processus d'activation sociale, ils se sentent d'abord concernés par ce qui se passe dans leur pays, ce qui a comme conséquence de mettre de côté leurs problèmes personnels. "

Au rang des solutions, les pratiques de méditation aident à relativiser, à se recentrer sur son fonctionnement intérieur. " Chez certaines personnes, la crise du coronavirus sera propice à une réflexion générale sur leur vie personnelle ou sur le mode de fonctionnement de la société. D'autant qu'il y a un autre paradoxe : les activités physiques sont également fortement limitées. Or, il s'est toujours agi d'un moyen de distraction et de bien-être qui est pour le moment très restreint. C'est pourquoi les pratiques introspectives comme la méditation sont à encourager. Certains programmes sont facilement disponibles via Internet et peuvent aider à diminuer le niveau d'anxiété. "

Temps de parole

Comment protéger les professionnels de santé en première ligne ? " Il est très important et utile d'avoir des formations régulières à la gestion du stress et il faut détecter parmi le personnel soignant les personnes le plus sensibles au stress. D'autant qu'ici la mobilisation des équipe est d'une ampleur rarement atteinte. Les directions d'hôpital doivent y être attentives et offrir au personnel des moments, des espaces de paroles, ainsi que des contacts même à distance avec des professionnels du stress, pour parler, seul ou en groupe, de leur vécu. Ces professionnels doivent détecter chez les membres du personnel certains symptômes d'alerte, parce qu'il y aura certainement plus de burnout ", estime le psychologue.

Cette pandémie du coronavirus est une situation tout à fait inédite et un cas d'étude particulièrement intéressant pour l'équipe du Pr Luminet : " Dans une crise sanitaire comme celle-ci, les psychologues ont un rôle important à jouer pour développer de nouveaux modèles qui seront utiles. L'élément central ce sont les changements de comportement parce qu'ils ont un effet clair sur l'évolution des maladies infectieuses comme le Covid-19. Si on a des modèles plus précis sur les facteurs qui peuvent accélérer les changements de comportement, sur les sous-groupes à risque qui ne changent pas assez rapidement et qui ne respectent pas les consignes officielles dans une telle crise sanitaire, on pourra agir de manière beaucoup plus ciblée la prochaine fois. Les virologues pensent en effet qu'un des éléments du pic est attribuable à ce fameux soir du vendredi 13 mars où des milliers de gens ont été faire la fête dans les cafés et restaurants. "

Éléments de langage

Dans cette optique, la question du discours officiel est primordiale : il doit utiliser des éléments qui parlent à l'ensemble des catégories de la population et notamment à celles identifiés comme les moins enclines à changer. " Il s'agit d'arriver, dans les délais les plus brefs, à 100% d'adhérence au message, ce qui est très difficile. La peur peut être un élément qui mobilise les gens dans une certaine mesure, mais jouer sur une peur excessive peut pousser certains à avoir des comportements réactifs opposés. Ainsi, on peut penser que le ton conciliant mais ferme de Sophie Wilmès fonctionne mieux que le ton autoritaire et martial d'Emmanuel Macron. La communication officielle méritera aussi d'être analysée pour voir ce qui a le mieux fonctionné ", conclut Olivier Luminet.

1. http://bit.ly/corona-uclouvain

"I l est essentiel de voir ce qui se passe dès le moment préliminaire de la crise en termes de réaction émotionnelle et du lien entre réaction émotionnelle et changement de comportement. Pour des psychologues de la santé, ce qui est intéressant c'est qu'on est devant des recommandations inhabituelles. En cas de crise sanitaire, les recommandations se centrent surtout sur des comportements comme le lavage des mains. Ici, ce qui est particulier c'est qu'il y a aussi la consigne de limitation des comportements sociaux qui, en général, n'ont aucun impact négatif, au contraire ", explique le Pr Olivier Luminet (psychologie de la santé, UCLouvain). Voilà pourquoi l'enquête vise trois comportements : se laver les mains, prendre les transports publics et ne pas voir de gens pendant un mois. " Pour nous, il y a un gradient de difficulté entre ces trois types d'activités. Quels sont les facteurs qui permettent ou qui rendent plus difficile l'inhibition des comportements sociaux ? Comment faciliter ce changement de comportement ? Pour quelles personnes est-ce particulièrement difficile ? ... Cela nous permettra d'être mieux préparé en cas de situation similaire dans le futur et de proposer des recommandations plus ciblées en fonction de différents groupes dans la population. " Lancée le mardi 17 mars, juste après l'annonce du confinement total, cette enquête devrait être suivie par un deuxième volet lors de la sortie de crise, l'objectif étant de mesurer les changements dans les comportements et émotions. Pour l'instant, 1500 personnes ont répondu au questionnaire qui devrait encore être accessible une quinzaine de jours. L'expérience prolongée de la restriction des comportements sociaux pourrait avoir des conséquences négatives pour deux catégories à risque : les personnes isolées et les extraverties qui ont besoin de plus de contacts sociaux que d'autres. " Ensuite, depuis le début du confinement, le temps est magnifique, si on commence à avoir un temps détestable, la seule activité qui reste possible comme se promener ou faire du vélo sera compromise, les échappatoires deviendront très limitées. " Pour Olivier Luminet, le risque principal ce sont les troubles dépressifs et l'anxiété mais pas nécessairement le suicide : " Dans des situations extrêmes, il y a des phénomènes de mobilisation. Dans les périodes de guerre par exemple, il y a moins de suicides parce que les gens sont dans un processus d'activation sociale, ils se sentent d'abord concernés par ce qui se passe dans leur pays, ce qui a comme conséquence de mettre de côté leurs problèmes personnels. " Au rang des solutions, les pratiques de méditation aident à relativiser, à se recentrer sur son fonctionnement intérieur. " Chez certaines personnes, la crise du coronavirus sera propice à une réflexion générale sur leur vie personnelle ou sur le mode de fonctionnement de la société. D'autant qu'il y a un autre paradoxe : les activités physiques sont également fortement limitées. Or, il s'est toujours agi d'un moyen de distraction et de bien-être qui est pour le moment très restreint. C'est pourquoi les pratiques introspectives comme la méditation sont à encourager. Certains programmes sont facilement disponibles via Internet et peuvent aider à diminuer le niveau d'anxiété. " Comment protéger les professionnels de santé en première ligne ? " Il est très important et utile d'avoir des formations régulières à la gestion du stress et il faut détecter parmi le personnel soignant les personnes le plus sensibles au stress. D'autant qu'ici la mobilisation des équipe est d'une ampleur rarement atteinte. Les directions d'hôpital doivent y être attentives et offrir au personnel des moments, des espaces de paroles, ainsi que des contacts même à distance avec des professionnels du stress, pour parler, seul ou en groupe, de leur vécu. Ces professionnels doivent détecter chez les membres du personnel certains symptômes d'alerte, parce qu'il y aura certainement plus de burnout ", estime le psychologue. Cette pandémie du coronavirus est une situation tout à fait inédite et un cas d'étude particulièrement intéressant pour l'équipe du Pr Luminet : " Dans une crise sanitaire comme celle-ci, les psychologues ont un rôle important à jouer pour développer de nouveaux modèles qui seront utiles. L'élément central ce sont les changements de comportement parce qu'ils ont un effet clair sur l'évolution des maladies infectieuses comme le Covid-19. Si on a des modèles plus précis sur les facteurs qui peuvent accélérer les changements de comportement, sur les sous-groupes à risque qui ne changent pas assez rapidement et qui ne respectent pas les consignes officielles dans une telle crise sanitaire, on pourra agir de manière beaucoup plus ciblée la prochaine fois. Les virologues pensent en effet qu'un des éléments du pic est attribuable à ce fameux soir du vendredi 13 mars où des milliers de gens ont été faire la fête dans les cafés et restaurants. " Dans cette optique, la question du discours officiel est primordiale : il doit utiliser des éléments qui parlent à l'ensemble des catégories de la population et notamment à celles identifiés comme les moins enclines à changer. " Il s'agit d'arriver, dans les délais les plus brefs, à 100% d'adhérence au message, ce qui est très difficile. La peur peut être un élément qui mobilise les gens dans une certaine mesure, mais jouer sur une peur excessive peut pousser certains à avoir des comportements réactifs opposés. Ainsi, on peut penser que le ton conciliant mais ferme de Sophie Wilmès fonctionne mieux que le ton autoritaire et martial d'Emmanuel Macron. La communication officielle méritera aussi d'être analysée pour voir ce qui a le mieux fonctionné ", conclut Olivier Luminet.