Je suis juste de retour du congrès annuel de l'Alass (Association latine pour l'analyse des systèmes de santé) auquel je participe régulièrement depuis de nombreuses années. L'Alass, qui regroupe des experts ou simplement des praticiens de la santé intéressés par l'organisation des systèmes de santé, a ceci d'original qu'elle recrute exclusivement ses membres dans les pays de langue latine, partant du principe que la proximité culturelle a une influence non négligeable sur les systèmes de santé. Le congrès annuel est organisé en alternance dans un des pays représentés au sein de l'association. Cette année, le congrès annuel avait lieu à Locarno, en Suisse.

A côté d'un thème principal qui servait de fil conducteur lors des 3 jours du congrès, divers sujets étaient débattus en fonction de l'intérêt manifesté par les membres.

La Suisse touchée de plein fouet par une pénurie inédite de personnel de soins

Cette année d'organisation suisse, une après-midi de réflexion était consacrée à la problématique de l'organisation des travailleurs de la santé en Suisse.

Lors de cet après-midi, un responsable syndical a posé un regard inquiet sur le manque croissant de personnel soignant dans les institutions de soins du pays : grand nombre de professionnels qui quittent le secteur de la santé, nombre insuffisant de jeunes qui s'y engagent, recrutement aléatoire de professionnels étrangers, démotivation, burn-out.

Le tout, encore exacerbé par le contexte difficile de la crise Covid.

Pour le Belge que je suis mais aussi pour mes voisins français et canadiens, un tableau assez semblable à celui qui est dressé dans nos pays respectifs. En soi, une communication peu intéressante puisqu'elle nous apprenait ce que nous savions déjà !

Ce n'est qu'à l'issue de ce constat qu'est apparue la partie intéressante (à mon sens) de la communication ; en tout état de cause, celle qui m'a fait me poser les questions que je vous livre.

Je m'interroge sur le fossé qui se creuse de plus en plus entre les contraintes et les valeurs du secteur des soins de santé et les valeurs de notre société

S'organiser pour faire entendre son désarroi ?

L'orateur voyait un lien évident entre le constat posé et le (très) faible taux de syndicalisation des personnels de santé qui, en Suisse, atteint à peine 7%. S'en est suivi un plaidoyer enthousiaste sur l'intérêt des travailleurs à s'unir pour réclamer ensemble des conditions de travail qui correspondent à leurs attentes et qui, bien entendu, ramèneront vers les professions de santé tous ceux qui, aujourd'hui, s'en éloignent.

Un peu court messieurs ! Le mal est plus profond.

Je ne peux pas résister à faire un parallèle avec la Belgique qui souffre de la même désaffection du personnel soignant en atteignant des taux record de syndicalisation dans un modèle qui, sans être un modèle de cogestion, fait une large place à la concertation sociale.

Un échec syndical ?

Je ne crois pas !

Je m'interroge plutôt sur le fossé qui se creuse de plus en plus entre les contraintes et les valeurs du secteur des soins de santé et les valeurs de notre société et sur l'impact de ce phénomène sur les professions de soins et d'aides aux personnes.

Quelques exemples :

Là où les soins de santé exigent empathie, solidarité et disponibilité, la société promeut l'individualisme dont les contraintes nuisent à l'indispensable sérénité qui rend disponible à l'autre.

Les horaires difficiles exigés par la continuité des soins se heurtent à la conception actuelle de disponibilité aux siens et à l'organisation du sacro-saint temps libre auquel chaque individu proclame avoir droit.

Les salaires, corrects mais modestes, octroyés aux soignants semblent bien minces dans un contexte où le luxe est un gage de réussite (je ne parle pas uniquement de la Rolex chère à Nicolas Sarkozy).

Soigner met continuellement face à la souffrance et à la mort. La société s'efforce de les nier, l'une et l'autre.

Il faut élargir le scoop de l'analyse

Pour moi, la vraie question est celle de la compatibilité des valeurs et de la possibilité de les faire se rencontrer. Cette rencontre ne sera pas possible sans évolutions fondamentales : celles de la société ? Celles du secteur ?

Je n'ai pas la réponse à cette question.

Mais je suis persuadé que la pénurie de personnel dont souffre le secteur des soins de santé ne se résorbera pas si on néglige de se la poser et de l'inclure dans la réflexion.

Au-delà de la question que je pose, je voudrais pourtant que le lecteur de ces lignes voit aussi mon admiration pour toutes celles et pour tous ceux dont l'engagement ne se dément pas et qui, chaque jour donnent le meilleur d'eux-mêmes pour aider les patients qui leur sont confiés. Pour tous ceux qui n'ont jamais regretté leur choix professionnel.

C'est peut-être dans leur engagement que se trouve une partie de la réponse.

Je suis juste de retour du congrès annuel de l'Alass (Association latine pour l'analyse des systèmes de santé) auquel je participe régulièrement depuis de nombreuses années. L'Alass, qui regroupe des experts ou simplement des praticiens de la santé intéressés par l'organisation des systèmes de santé, a ceci d'original qu'elle recrute exclusivement ses membres dans les pays de langue latine, partant du principe que la proximité culturelle a une influence non négligeable sur les systèmes de santé. Le congrès annuel est organisé en alternance dans un des pays représentés au sein de l'association. Cette année, le congrès annuel avait lieu à Locarno, en Suisse.A côté d'un thème principal qui servait de fil conducteur lors des 3 jours du congrès, divers sujets étaient débattus en fonction de l'intérêt manifesté par les membres.La Suisse touchée de plein fouet par une pénurie inédite de personnel de soinsCette année d'organisation suisse, une après-midi de réflexion était consacrée à la problématique de l'organisation des travailleurs de la santé en Suisse.Lors de cet après-midi, un responsable syndical a posé un regard inquiet sur le manque croissant de personnel soignant dans les institutions de soins du pays : grand nombre de professionnels qui quittent le secteur de la santé, nombre insuffisant de jeunes qui s'y engagent, recrutement aléatoire de professionnels étrangers, démotivation, burn-out.Le tout, encore exacerbé par le contexte difficile de la crise Covid. Pour le Belge que je suis mais aussi pour mes voisins français et canadiens, un tableau assez semblable à celui qui est dressé dans nos pays respectifs. En soi, une communication peu intéressante puisqu'elle nous apprenait ce que nous savions déjà !Ce n'est qu'à l'issue de ce constat qu'est apparue la partie intéressante (à mon sens) de la communication ; en tout état de cause, celle qui m'a fait me poser les questions que je vous livre.S'organiser pour faire entendre son désarroi ?L'orateur voyait un lien évident entre le constat posé et le (très) faible taux de syndicalisation des personnels de santé qui, en Suisse, atteint à peine 7%. S'en est suivi un plaidoyer enthousiaste sur l'intérêt des travailleurs à s'unir pour réclamer ensemble des conditions de travail qui correspondent à leurs attentes et qui, bien entendu, ramèneront vers les professions de santé tous ceux qui, aujourd'hui, s'en éloignent.Un peu court messieurs ! Le mal est plus profond.Je ne peux pas résister à faire un parallèle avec la Belgique qui souffre de la même désaffection du personnel soignant en atteignant des taux record de syndicalisation dans un modèle qui, sans être un modèle de cogestion, fait une large place à la concertation sociale.Un échec syndical ?Je ne crois pas !Je m'interroge plutôt sur le fossé qui se creuse de plus en plus entre les contraintes et les valeurs du secteur des soins de santé et les valeurs de notre société et sur l'impact de ce phénomène sur les professions de soins et d'aides aux personnes.Quelques exemples :Là où les soins de santé exigent empathie, solidarité et disponibilité, la société promeut l'individualisme dont les contraintes nuisent à l'indispensable sérénité qui rend disponible à l'autre.Les horaires difficiles exigés par la continuité des soins se heurtent à la conception actuelle de disponibilité aux siens et à l'organisation du sacro-saint temps libre auquel chaque individu proclame avoir droit.Les salaires, corrects mais modestes, octroyés aux soignants semblent bien minces dans un contexte où le luxe est un gage de réussite (je ne parle pas uniquement de la Rolex chère à Nicolas Sarkozy).Soigner met continuellement face à la souffrance et à la mort. La société s'efforce de les nier, l'une et l'autre.Il faut élargir le scoop de l'analysePour moi, la vraie question est celle de la compatibilité des valeurs et de la possibilité de les faire se rencontrer. Cette rencontre ne sera pas possible sans évolutions fondamentales : celles de la société ? Celles du secteur ?Je n'ai pas la réponse à cette question.Mais je suis persuadé que la pénurie de personnel dont souffre le secteur des soins de santé ne se résorbera pas si on néglige de se la poser et de l'inclure dans la réflexion.Au-delà de la question que je pose, je voudrais pourtant que le lecteur de ces lignes voit aussi mon admiration pour toutes celles et pour tous ceux dont l'engagement ne se dément pas et qui, chaque jour donnent le meilleur d'eux-mêmes pour aider les patients qui leur sont confiés. Pour tous ceux qui n'ont jamais regretté leur choix professionnel.C'est peut-être dans leur engagement que se trouve une partie de la réponse.