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Troubles des apprentissagesLes troubles des apprentissages recouvrent toutes les situations où un enfant éprouve des difficultés à acquérir les matières scolaires à un rythme normal bien que les conditions environnementales soient adéquates. Certains troubles sont non spécifiques. Ils traduisent alors une extrême lenteur de l'enfant dans ses apprentissages sans que l'on puisse mettre en évidence des difficultés particulières dans un domaine bien précis. Les troubles dits spécifiques, eux, soulignent des difficultés très prononcées dans l'apprentissage de la lecture (dyslexie), du langage oral (dysphasie) ou du calcul (dyscalculie). À ce tableau s'ajoutent des troubles de l'attention, avec ou sans hyperactivité (TDA/H).Un facteur commun à presque tous ces troubles est une réduction, par rapport à la norme, des capacités de la mémoire de travail, dont la mission est de maintenir temporairement une petite quantité d'informations sous une forme aisément accessible pendant la réalisation de tâches cognitives diverses. Ainsi, lors d'une opération de calcul, nous pouvons être appelés à garder en tête deux nombres à additionner pendant la réalisation des opérations cognitives imposées par ce calcul. " La forme d'enseignement que nous connaissons dans les écoles sollicite beaucoup la mémoire de travail. Or, ses limites varient de 2 ou 3 informations chez le tout jeune enfant à 7 informations chez l'adulte ", fait remarquer Steve Majerus, maître de recherches FNRS à l'unité de recherche Psychologie et Neuroscience Cognitives de l'Université de Liège. Autrement dit, un enfant disposant d'une mémoire de travail plus faible que les autres perdra rapidement le fil de l'enseignement.Un enfant en proie à un trouble des apprentissages le conservera généralement toute sa vie, fût-ce à un degré qui pourra être très modéré grâce à une prise en charge de type logopédique ou neuropsychologique, c'est selon. " Prenons le cas des enfants dyslexiques, dit Steve Majerus. Si vous les testez à l'âge adulte, vous observez qu'ils gardent une faiblesse au niveau de la lecture, même si leurs performances peuvent se révéler proches de performances normales. Par contre, les déficits qu'ils conservent au niveau de la mémoire de travail se révèlent généralement bien plus nets, soulignant par là même la robustesse du problème. "Se pourrait-il dès lors que les carences de la mémoire de travail soient la cause première des différents troubles des apprentissages ? En moyenne, un groupe d'enfants dyslexiques ou dyscalculiques, par exemple, présentera un déficit de mémoire de travail, mais il existe une forte variabilité interindividuelle quant au degré de ce handicap. Aussi la tendance actuelle est-elle de considérer que la faiblesse de la mémoire de travail est un facteur associé. Ainsi, dans la dyscalculie, des problèmes d'analyse de l'information visuospatiale sont clairement impliqués, comme le sont notamment des problèmes relatifs à l'analyse phonologique des sons du langage chez la personne dyslexique.Dans le cadre des problèmes attentionnels avec ou sans hyperactivité, la mémoire de travail est impactée du simple fait qu'elle dépend elle-même directement des processus attentionnels, lesquels peuvent être entravés par des " absences " (l'attention est déviée vers une autre cible ou annihilée par des rêveries), par une faiblesse intrinsèque des capacités attentionnelles entraînant une fragilité du maintien du contrôle de l'attention ou encore par des difficultés d'inhibition d'informations sans lien direct avec la tâche à accomplir. Selon Steve Majerus, la mémoire de travail serait d'ailleurs assimilable à une situation attentionnelle particulière où l'attention est focalisée sur des informations à mémoriser à un moment donné.Certains auteurs ont émis l'hypothèse que les troubles des apprentissages seraient intimement liés à un déficit de la mémoire procédurale, laquelle permet d'apprendre de nouvelles habiletés perceptives, motrices ou cognitives. Une procédure automatique s'instaure, exactement comme quand un automobiliste aguerri débraie " sans y penser " en changeant de vitesse ou quand les doigts d'une secrétaire se dirigent, sans qu'elle ait à y réfléchir, vers les bonnes touches du clavier de son ordinateur. D'après cette théorie, les principales difficultés rencontrées par les enfants ayant un trouble des apprentissages auraient trait à l'acquisition des automatismes caractéristiques du langage oral, du langage écrit ou des manipulations mathématiques. " Une critique qui peut être adressée à cette théorie est qu'elle ne permet pas d'expliquer la persistance des troubles de la mémoire de travail jusqu'à l'âge adulte alors que les troubles langagiers et mathématiques deviennent moins importants ", indique Steve Majerus.Abstraction faite de leur composante mnésique, en particulier d'un manque de performance de la mémoire de travail, les divers troubles de l'apprentissage font l'objet de nombreuses hypothèses explicatives spécifiques, tantôt concurrentes, tantôt complémentaires, auxquelles ont été associés, parfois avec un haut degré d'incertitude, des substrats neuroanatomiques. Il existe plusieurs théories de la dyslexie, par exemple. La plus solide est la théorie phonologique. Elle postule que la dyslexie se caractérise par un déficit dans le " processus de décodage ", cette aptitude de l'individu à établir la correspondance entre graphèmes (lettres) et phonèmes (sons). Mais ce n'est pas tout. Le dyslexique pâtit également d'une mauvaise " conscience phonologique " : il ne parvient pas ou parvient beaucoup plus lentement qu'un autre enfant à scinder les mots en leurs différentes parties, à les segmenter en syllabes et, plus encore, en phonèmes. En clair, il aura peine à percevoir que " cahier " est composé de deux syllabes (ca-hier) et, surtout, de quatre phonèmes (k-a-i-é). Tout cela s'ajoutant aux problèmes de mémoire de travail déjà évoqués.Parmi les autres théories de la dyslexie figure celle proposée au début des années 1990 par Sylviane Valdois, de l'Université de Grenoble. Pour la chercheuse française, le problème ne serait pas de nature phonologique, mais de nature visuo-attentionnelle - il se situerait au niveau de l'analyse des lettres. Cette situation pourrait concerner un sous-groupe plus spécifique d'enfants dyslexiques.Quoi qu'il en soit, les troubles des apprentissages font l'objet d'une prise en charge spécialisée qui, selon les cas, relève de la logopédie ou de la neuropsychologie. Toutefois, depuis la fin des années 1990, des logiciels de stimulation sont proposés. Ils sont généralement tournés vers les facteurs communs à l'ensemble des troubles des apprentissages : la réduction des capacités de mémoire de travail et les déficits au niveau du contrôle attentionnel. La plupart se targuent non seulement de pouvoir aider les enfants concernés par ces problèmes, mais aussi d'être à même de doper les capacités d'apprentissage des autres enfants. Quelle est leur efficacité réelle ? C'est ce que nous verrons la semaine prochaine.Philippe Lambert