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Pour comprendre la première ligne guinéenne, il faut d'abord s'attarder sur la formation médicale, qui est différente de la formation belge. " Nous avons d'abord une formation en médecine de base. Elle dure six ans. Après quoi, nous devons réaliser une thèse de docteur d'État en médecine afin d'obtenir la qualification de médecin généraliste ", explique le Dr Thierno Mouctar Diallo, médecin de famille guinéen. La conception de la médecine générale est toutefois différente dans le pays ouest-africain. Elle constitue la base. " Ce n'est qu'en 2009 que la faculté de médecine de l'Université de Conakry (grâce notamment au Dr Abdoulaye Sow, voir page 6) a initié la formation de quatre années complémentaires en médecine de famille. Un appel à candidature a été lancé. Beaucoup de médecins ont postulé, mais il n'y avait que dix places à pourvoir. "La médecine de famille tarde cependant à prendre forme dans le pays. " Cela traîne, à cause, notamment, d'un manque de connaissance de la discipline ", estime le Dr Diallo. " Le corps enseignant n'est donc pas informé. Certains spécialistes se demandent d'ailleurs ce qu'est la médecine de famille. D'autres ne voient pas la différence entre médecine générale et médecine de famille. Il faut leur expliquer nos attentes, l'utilité de cette médecine de première ligne. "C'est une gageure tant la première semble peu structurée en Guinée. Le rôle préventif du médecin de famille, par exemple, est limité en Guinée. " La première ligne a plus un rôle curatif que préventif ", admet le Dr Diallo. C'est donc l'État et certaines institutions partenaires qui jouent ce rôle à coups de spots de sensibilisation à la radio, à la télévision, en compagnie des associations communautaires et des ONG. " Vous savez, avec un taux si haut d'analphabétisme parmi la population (près de 70 % selon les chiffres de l'Unesco de 2014, nldr) , ce n'est pas facile de réaliser une bonne prévention. Il faut y aller petit à petit. "Résultat des courses, il y a six médecins de famille issus de cette première promotion de 2009. Et depuis, plus rien. Pourtant, la médecine de famille est bien reconnue à l'Université de Conakry comme diplôme d'étude spécialisée (DES). "Le projet de médecine de famille remonte à 2006", informe le Dr Mamadou Saliou Hindé Diallo, également médecin de famille guinéen. " Plusieurs conditions étaient définies pour la promotion et le développement de cette nouvelle discipline de médecine de famille en Guinée : la volonté des autorités guinéennes, la participation des médecins guinéens, l'appui et l'obtention de moyens, l'adhésion et la participation d'autres acteurs partageant les mêmes objectifs tout comme la découverte de réalisations similaires menées ailleurs. Parmi les acteurs impliqués à l'initiative du projet, seul le Dr Abdoulaye Sow de l'ONG Fraternité Médicale Guinée s'est mis en pratique pour accompagner le projet. De ce fait nous avons perdu le contact de plusieurs partenaires annoncés à l'appel d'offre pour soutenir le projet. "" Nous devons interpeller les autres médecins, particulièrement la jeune génération afin de promouvoir la médecine de famille ", reconnaît le Dr Thierno Mouctar Diallo. " À ce manque de visibilité de la profession, il faut ajouter un manque criant de professeurs. Heureusement, nous avons pu compter sur le concours du Professeur Michel Roland (ancien président de Médecins du Monde, ndlr) qui nous a vraiment soutenus. C'est d'ailleurs l'occasion de le remercier. Et de remercier également le Dr Philippe Denoël, de la maison médicale La Passerelle (Liège) , et bien d'autres. Je ne saurais tous les citer. Beaucoup de Belges nous ont apporté leurs connaissances. "Pour pallier la situation, les deux médecins de famille guinéens ont pu bénéficier du Fonds de soutien à la formation médicale (Fosfom) de l'ULB. Ils ont obtenu une bourse pour une formation d'une année en médecine générale en Belgique. Le Dr Thierno Mouctar Diallo espère ramener bientôt ses impressions de notre pays en Guinée. " J'ai vu le rôle que les médecins généralistes jouaient en Belgique. Un rôle très, très important. Je pense qu'ils abattent un travail énorme, et le patient en bénéficie. Il est suivi, la continuité des soins est assurée. Je veux faire comprendre à mes confrères guinéens l'importance de cette médecine générale - médecine de famille chez nous - et appeler la jeune génération à intégrer la première ligne. "Le Dr Hindé Diallo confirme. " En Belgique, quelle que soit le type de pratique, le médecin généraliste joue un rôle très intéressant dans la prise en charge globale des patients tant préventive que curative, psychosociale et dans l'éducation des patients. Les Universités, les fédérations des maisons médicales, les associations de médecins généralistes contribuent toutes à la promotion et au développement de la médecine générale en Belgique. L'État belge joue également un rôle très important dans l'accessibilité financière et géographique des soins de santé. Ceci montre l'importance d'un médecin généraliste bien formé dans un pays : cela diminue non seulement les coûts de soins de santé mais aussi assure le suivi du patient au long cours. La médecine générale est la première ligne de soins dans tous les systèmes de santé bien organisés. Pour y arriver, en Guinée, une réforme en amont et en aval serait la solution. "La politique joue également son rôle dans cette très jeune démocratie qui date de 2010 avec l'élection du Pr Alpha Condé à la présidence. " En 2016, l'ancien ministre guinéen de la Santé, le Dr Abdourahmane Diallo, a déployé beaucoup de moyens pour envoyer les médecins vers la première ligne ", souligne Thierno Mouctar Diallo. Cela concerne le lancement de la Politique nationale de santé communautaire avec le déploiement prévu de 1.800 agents de santé communautaires et de 18.000 relais communautaires devant mettre en oeuvre un paquet intégré de 17 activités préventives, curatives, promotionnelles et de réadaptation dans tous les villages du pays." Le pays dispose actuellement de 10 centres médicaux communautaires gérés par des médecins généralistes et implantés dans des zones rurales grâce au travail de l'ONG médicale Santé Sud ", complète le Dr Hindé Diallo. " Ces centres pourraient devenir des lieux de stage pour les futures promotions de médecins de familles. "" Malgré tout, la demande reste très forte ", regrette pour sa part le Dr Thierno Mouctar Diallo. " Il faut réellement faire comprendre à la jeune génération de médecins que les besoins de la population ne se situent pas qu'en deuxième ou troisième ligne, mais également en première ligne. "Le changement ne sera pas facile. D'autant plus que la couverture des soins de santé n'est pas universelle en Guinée. Un autre cheval de bataille pour le médecin de famille. " Seules les grandes entreprises ou les industriels peuvent se permettre une assurance privée. Il n'y a pas d'accès universel aux soins. Est-ce que nous pourrons y arriver ? Ce ne sera pas facile, mais ce serait salutaire pour le pays. Car la santé n'a pas de prix, mais elle a un coût. En Guinée, pour se soigner, certains sont capables de tout vendre pour recouvrir leur santé. "À ce problème s'ajoutent encore d'autres difficultés à surmonter : l'accès à des médicaments de qualité, contrôlés, l'amélioration de la prévention, l'introduction de la multidisciplinarité au sein des pratiques. " Les défis sont nombreux, mais pas insurmontables ", indique le Dr Diallo, optimiste. " Grâce au concours de l'ULB, mais aussi de l'ULiège, d'universités canadiennes, la faculté de médecine de l'Université de Conakry compte recruter cette année la deuxième promotion de médecins de famille et un appel à candidature sera lancé à cet effet. Je suis optimiste, car la continuité est assurée pour quatre années. Dans un premier temps, un binôme médecin expatrié/médecin local pourra collaborer au sein de la première ligne, avant que nous puissions reprendre la main quand nous sentirons que nous sommes capables. "Le tableau dépeint est sombre. Mais l'optimisme du Dr Diallo et la démocratie naissante en Guinée laissent entrevoir un avenir meilleur. Il y a d'ailleurs des bonnes pratiques à apprendre de la Guinée. Notamment en ce qui concerne le rôle de la famille dans les soins. " En Belgique, la famille n'est pas présente dans les soins alors qu'en Guinée, elle est fortement impliquée. L'entourage du patient est très important. En Belgique, vous avez remplacé la famille par des aides familiales, des assistants sociaux. Soit autant de personnes méconnues du patient. La relation de confiance est difficile à établir. La famille est irremplaçable au chevet du patient. "